3e Gédéon (le) Vol.1 - Actualité manga
3e Gédéon (le) Vol.1 - Manga

3e Gédéon (le) Vol.1 : Critiques

Dai-3 no Gideon

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 08 Mars 2017

En deux oeuvres toutes deux parues en France chez Glénat, à savoir le récit médical Team Medical Dragon et le thriller déviant La Tour Fantôme, Tarô Nogizaka s'est imposé comme un nom à suivre, et c'est donc avec une infinie curiosité que l'on accueille dans notre pays sa nouvelle série, Le 3e Gédéon (Dai-3 no Gideon). D'autant qu'avec ce titre débuté en 2015 dans le magazine Big Comic Superior de Shogakukan, l'auteur change encore totalement de registre en se réappropriant une époque bien connue de l'Histoire de France, la Révolution Française, afin de croquer des héros flous et aux convictions forgées ou mises à mal.

Nous voici donc en octobre 1788, quelque part en banlieue de Paris, sur le domaine d'un certain marquis Arnauld. En compagnie de son éditeur Alain Teuiller, le dénommé Gédéon Aymé tente de joindre les deux bouts en écrivant des romans érotiques mettant en scène de façon à peine camouflée la reine Marie-Antoinette. Le tout, en prenant soin de cacher ce travail à sa fille Solange, enfant qu'il élève seul et pour qui il souhaite le meilleur. Mais tout autour de lui, la misère régnant chez le peuple l'a poussé à se forger des convictions fortes, si bien qu'il est devenu membre du parti patriote, des roturiers réformateurs qui, avec l'appui du roi, se battent pour l'abolition des privilèges de la noblesse et du clergé. Son objectif ? Participer aux prochains états généraux, devenir un député représentant le tiers-Etat, et réformer les lois pour sauver la France populaire de cette misère inacceptable.
Mais ses convictions attirent le mépris des nobles, à commencer par le marquis Arnauld. Et dans un pays où les lois ne sont encore rien face aux desiderata des nobles et du clergé, le voici pris à parti, et son innocente fille menacée de mort, à deux doigts de la pendaison... Le père et la fille ne doivent leur salut qu'à l'irruption à cheval d'un bel homme masqué qu'il ne connaît que trop bien : Georges, Duc de Loire, chez qui il a passé une grande partie de son enfance, et qu'il n'avait pas revu depuis plusieurs années. Issu de la noblesse, Georges semble pourtant nourrir le même type d'ambition que Gédéon en voulant révolutionner le pays, et les retrouvailles sont donc cordiales entre ces deux hommes qui se sont toujours appréciés et qui vont désormais s'épauler. Pourtant, il se pourrait bien que Georges ait des aspirations un brin différentes...

L'entrée en matière de la série est plutôt très rapide et peut déstabiliser quelque peu. Pour un lecteur français connaissant normalement un minimum l'Histoire de son pays, pas de problème, mais l'on peut se demander ce qu'il en fut pour les lecteurs nippons quand ils ont découvert l'oeuvre. Quoi qu'il en soit, Nogizaka arrive sans le moindre mal à poser les grandes lignes du contexte d'alors : cultures ravagées, boeufs malades, pauvreté, famine... la misère du peuple est totale, chose que le mangaka va notamment véhiculer via quelques exemples plus marquants : la fi d'une pauvre femme qui était obligée de vendre son corps dans le froid pour survivre, les horreurs d'un curé intouchable qui aimait un peu trop ses plus jeunes fidèles... sans oublier des taxes qui menacent d'augmenter encore, risquant alors de creuser encore plus le fossé entre le peuple pauvre et les nobles (comme quoi, certaines choses ne changent finalement pas).

C'est dans ce contexte où la colère populaire pourrait éclater si ledit peuple se réunit que l'on fait la découverte de deux personnages principaux prometteurs, Gédéon et Georges. On découvre d'abord leur passé commun, le lien qu'ils avaient plusieurs années auparavant... mais surtout leur souhait qui fera sûrement tout le sel de l'oeuvre. Un souhait de Révolution qui semble aller dans le même sens, mais qui paraît déjà cacher des voies radicalement différentes.
On découvre en Gédéon une idée bien précise de la révolution : une nouvelle ère que personne n'a encore jamais vue, bâtie par les mains du peuple et non par le destin voulu par les plus puissants. C'est bien pour cela qu'il veut rester au plus près du peuple, car c'est lui qui fait un pays. Et c'est aussi pour cela qu'il veut devenir député, changer les lois et mieux rendre la notion de justice afin qu'elle ne s'exerce plus selon le bon vouloir de tel noble. Le pays est actuellement un enfer, et il veut en faire un paradis.
A ses côtés, Georges pourrait être un allié de poids... ou comme peut le penser le lecteur, finir par devenir un danger, car son idée de la révolution semble bien différente : n'hésitant pas à tuer ceux qu'il estime devoir mourir (qu'ils soient nobles ou brigands), visiblement prêt à manipuler les gens si besoin est, il semble petit à petit vouloir faire de ce pays un enfer et, pour cela, détruire jusqu'à ses confins l'ordre établi.
Gédéon se bat avec les mots quand Georges se bat avec sa rapière. Gédéon veut juger selon la loi et éviter tant que possible la peine de mort quand Georges tue sans état d'âme. Leur vision des choses sera-t-elle compatible ? Quel avenir pourrait-il offrir à la France ? Ces interrogations se posent plutôt bien au fil du tome, et l'on se demande forcément jusqu'où pourra aller le lien entre les deux hommes. A ce titre, Nogizaka trouve quelques idées intéressantes pour souligner encore mieux ce lien, Georges affirmant qu'il ne peut montrer son vrai visage qu'à Gédéon... autant physiquement que dans ses ambitions ?

Le mangaka parvient à rendre son univers crédible en ayant bien étudié sa copie du côté de l'Histoire, et cela se ressent autant dans l'architecture des bâtisses que dans nombre de petits détails. Le contexte de l'Ancien Régime est suffisamment exposé et évoquant par exemple les autorités de l'époque. En vrac, il est fait mention du Système de la nature d'Holbach, de l'Egalité devant la loi de Rousseau, du privilège de Saint Romain (une grâce annuelle qui s'appliquait dans le diocèse de Rouen), des satires lubriques de Saint-Just, ou même de l'engouement de l'Europe pour la pomme de terre afin d'essayer de limiter les famines. Nogizaka, évidemment, réexploite aussi des figures historiques célèbres, à commencer par Saint-Just et Robespierre, et de ce fait on a encore plus hâte de voir comment le mangaka mêlera fiction et Histoire sur le long terme.

Visuellement, on retrouve bien le trait fin et détaillé de Nogizaka qui ne laisse que très rarement ses cases trop vides. L'élégance de son coup de crayon sied bien à l'ensemble (notamment à Georges et son masque), les expressions faciales troubles sont un régal d'atmosphère, l'utilisation des trames est soignée... pas grand-chose à redire, hormis peut-être concernant les brèves scènes d'"action" plutôt classiques.

Le 3e Gédéon s'offre là un volume d'introduction globalement réussi, poussant suffisamment bien son contexte et étant porté par ses deux figures principales, dont on suivra avec beaucoup de curiosité le parcours dans une France miséreuse, divisée, et à l'aube de sa révolution.

L'édition est dans la droite lignée de ce que Glénat propose depuis le début d'année sur toutes ses séries : papier trop fin, mais sans transparence et souple, qualité d'impression dans la moyenne... On appréciera la traduction de Yohan Leclerc pour sa clarté et pour les quelques notes parsemant le livre.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs