Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 12 Février 2016
Toshio Saeki est une figure culte du milieu de l'ero-guro ayant largement contribué à la diffusion du genre. Pourtant, il est relativement peu connu en France, et surtout peu publié. Albin Michel publia Japon Intime dans les années 90, Tête Rock Underground édita Les premiers dessins de Toshio Saeki (en deux versions, une standard et une deluxe limitée à 100 exemplaires, avec un ex-libris numéroté et signé par Saeki lui-même) en 2006, et il faudra attendre ce mois de février 2016 pour que Cornélius entame son anthologie chronologique de l'auteur, en commençant par Rêve Écarlate.
Il s'agit donc ici des premiers travaux de l'auteur, publiés dans le magazine SM Selecto entre novembre 1970 et juillet 1972. On retrouve ainsi une bonne partie des illustrations déjà présentes dans Les premiers dessins de Toshio Saeki, ici dans leur version colorisée, là ou Tête Rock Underground les publiait en noir et blanc.
Le style de Saeki prend la forme d'estampes traditionnelles peuplées de Yokaï, auxquelles il incorpore son univers névrotique et obsessionnel. Le sexe est omniprésent, mettant souvent en scène des écolières, mais également des femmes plus mûres, voire vieilles, et la gente masculine est également représentée à tous les âges, du nourrisson au vieillard. Rien de pornographique toutefois, les sexes n'étant pas visibles, censure oblige, et Toshio Saeki sait faire preuve d'imagination lorsqu'il s'agit de masquer les parties génitales, de façon à conserver au maximum la teneur érotique et provocatrice de ses illustrations. L'amour et la mort se mêlent de façon inextricable, et l'ensemble baigne dans un symbolisme aux degrés d'interprétation plus ou moins accessibles, en grande majorité sociale et sociétale. Il est question de découverte de sa sexualité bien sûr, mais également de deuil, de rapports familiaux, de religion et de nationalisme. Je n'affirmerais pas qu'il y a une portée critique, il s'agit à mon sens davantage d’extériorisation du malaise de l'auteur vis-à-vis du contexte dans lequel il évolue, et la critique m'apparaît comme indirecte, mettant en exergue les névroses qui découlent des travers de la société plus que de la société elle-même. C'est également une ode et une condamnation de la nature humaine, et de ses dérives qui sont tout à la fois belles et méprisables.
Le trait de Saeki est épais et précis, une ligne claire et épurée d'une parfaite netteté. La colorisation n'est faite que d’aplats sans nuances, dans des couleurs très vives, parfois presque criardes, très denses. Le résultat est particulièrement impactant, et imprime instantanément l'image sur la rétine, dans toute sa simplicité et son étrangeté propice au malaise et à la gêne. On aurait presque envie de fuir ces images malsaines, mais elles fascinent et attirent l’œil implacablement.
Si vous connaissez et appréciez Saeki, cet ouvrage est un indispensable, si vous souhaitez le découvrir, c'est l'occasion rêvée, Japon Intime étant épuisé depuis longtemps, et Les premiers dessins de Toshio Saeki étant relativement difficile à se procurer sans aller directement dans la librairie de l'éditeur, à Paris. Une simple commande à votre libraire (s'il ne l'a pas déjà) suffira dans le cas de Rêve Écarlate, et à vous ce magnifique ouvrage, recueil d'illustrations stupéfiantes et fascinantes, dans une édition de Cornélius comme toujours d'une qualité exemplaire.