Je voudrais être tué par une lycéenne Vol.1 - Actualité manga
Je voudrais être tué par une lycéenne Vol.1 - Manga

Je voudrais être tué par une lycéenne Vol.1 : Critiques

Joshikousei ni Korosaretai

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 07 Mars 2017

Artiste touche-à-tout et au parcours résolument atypique (avant de se lancer dans le manga, il a étudié la peinture à l’huile, la sculpture, le théâtre, la danse butô, l’expression corporelle...), Usamaru Furuya nous a déjà offert en France un bon petit nombre d'oeuvres originales et intéressantes, passant par bien des styles : l'inventivité hors-norme et son tout premier manga Palepoli, la vision plutôt pessimiste de l'homme dans Je ne suis pas un homme (adaptation libre de la Déchéance d'un homme d'Osamu Dazai), les troubles d'une jeunesse un peu paumée dans le Cercle du Suicide ou L'âge de déraison, une plongée régulière dans les déviances via des oeuvres comme Litchi Hikari Club... Malgré ses talents et son intérêt certain, l'auteur n'avait pourtant plus eu droit à la moindre parution française depuis 2012, année de sortie de Palepoli aux éditions Imho et de la fin de Genkaku Picasso chez Tonkam. Et c'est chez ce dernier éditeur, devenu Delcourt/Tonkam, qu'on le retrouve enfin avec Je voudrais être tué par une lycéenne, un titre qui ne ment pas.
De son nom original Joshi Kousei ni Korosaretai, cette oeuvre en 2 tomes reliés fait partie de celles qui ont inauguré le lancement en octobre 2013 du magazine Go Go Bunch de Shinchôsha, et s'est poursuivie jusqu'à sa conclusion en 2016. Au programme, un récit qui, nous allons le voir, est d'une grande qualité et constitue un petit melting-pot abouti de ce qui peut faire la richesse de cet auteur.

Dans un premier temps, on commence par retrouver une ambiance un peu déviante, ou en tout cas éloignée de la notion de "normalité", à travers la découverte d'un personnage principal à l'apparence classique, mais aux fantasmes atypiques : jeune homme de 34 ans, Haruto Higashiyama est autassassinophile, c'est-à-dire qu'il est sexuellement attiré par le risque d'être tué. Comment en est-il arrivé à développer cette particularité ? Il ne le sait pas trop. Il dit lui-même avoir vécu une enfance classique ni joyeuse ni triste, une adolescence sans remous, une vie universitaire studieuse et marquée par ses premières sorties amoureuses... mais en parallèle, pendant toutes ces années depuis le lycée, est née en lui l'idée que quitte à mourir un jour, autant que ce soit en étant tué le plus lentement et longtemps possible par une jolie et frêle lycéenne. Car son fétiche est décidément très précis (une lycéenne, et personne d'autre) et l'a même poussé à laisser tomber son doctorat en psychologie clinicienne pour devenir enseignant au lycée de Nitaka.
L'objectif du bonhomme : pousser une jeune fille à le tuer, et éviter qu'elle en souffre et que son crime soit démasqué, ce qui fait qu'il se doit de préparer son propre assassinat futur à la perfection... Pour cela, il a déjà trouvé sa candidate idéale en la personne de Maho Sasaki, une 2nde de 16 ans, aussi studieuse et gentille que belle...

On pense en premier lieu retrouver une part de la déviance insolente et trash d'un Litchi Hikari Club, ainsi que le ton dérangeant d'un Cercle du Suicide, mais on comprend très vite que la lecture ne s'arrêtera pas du tout à ça, loin de là. Et que Haruto, notre enseignant très populaire auprès de ses élèves (surtout féminines) qui le surnomment Higashi, ne sera pas le seul personnage-phare du récit.

En effet, on commence par un premier chapitre certes centré exclusivement sur le prof trentenaire, que l'on suit au plus près via une narration introspective : c'est lui-même qui nous raconte son histoire, son passé, la naissance de son fétiche, son objectif, ses tentatives d'analyser lui-même son trouble, le tout via une narration posée et propre (les explications que nous donne le personnage sont inscrites dans des bandes blanches séparées des dessins et pas dans des bulles, procédé narratif et visuel très clair). Mais Furuya ne s'arrête pas à ce personnage, et dans la première partie du tome les personnages "secondaires" d'un chapitre deviennent les personnages principaux d'un autre.
Ainsi, après avoir découvert en profondeur Higashiyama dans le chapitre 1, le 2ème chapitre, lui, nous plonge aux côtés de Maho Sasaki, qui se présente de la même manière. Cette adolescente de 16 ans tout ce qu'il y a de plus classique a pourtant un loisir qui peut paraître étonnant, car bien qu'elle plaise énormément aux garçons, elle se contente de créer un mur entre elle et eux et préfère passer l'essentiel de son temps avec sa meilleure amie Aoi Gotô, demoiselle atypique que nous découvrons via le regard que Maho a sur elle. Atypique, car Aoi est scolarisée à l'infirmerie, la faute à des troubles psychologiques qui la font paniquer quand elle est au sein d'un groupe. Incapable d'afficher ses émotions, elle souffre d'une forme d'autisme (le syndrome d'Asperger) qui fait qu'elle est fermée à nombre d'interactions sociales. Préférant passer pour plus débile qu'elle ne l'est en réalité (par exemple en s'exprimant avec des "Poyo", elle est en réalité l'un de ces esprits brillants se cachant derrière leur autisme : elle a un QI très élevé, se rappelle de tout ce qu'elle entend avec précision, est capable de faire depuis l'enfance des dessins originaux et inventifs, anticipe l'arrivée de séismes grâce à des bourdonnements dans ses oreilles... Tout cela, on le découvre via Maho, ce qui laisse parfaitement cerner toute l'amitié que les deux jeunes filles entretiennent. Mais Maho elle-même est-elle aussi "normale" qu'elle le semble ? Furuya glisse vite quelques indices intrigants liés au fait qu'elle recherche quelqu'un capable de l'accepter telle qu'elle est, et il faudra attendre la suite du tome pour découvrir chez elle un trouble dont elle-même ne peut avoir conscience...
Avant cela, un troisième chapitre, toujours en se basant sur le même procédé narratif, nous invite à suivre Yukio Kawahara, camarade de classe de Maho, fan de skate, amoureux de Maho depuis le collège... Moins atypique que ses prédécesseurs, ce lycéen témoigne pourtant d'un autre fétiche, car son amour vieux de 4 ans pour Maho tourne presque à l'obsession : il s'est mis à étudier sérieusement pendant un an et demi uniquement pour parvenir à intégrer le même lycée qu'elle, s'est inscrit dans le même club qu'elle, aime la renifler pour ensuite tenter de retrouver son shampoing en magasin... Une sorte de gentil stalker inoffensif.

C'est à partir du chapitre 4 (un peu avant la moitié de ce premier tome de 240 pages), et de l'arrivée au lycée d'une psychologue que Haruto connaît bien, que le tome s'emballe un peu plus et change de schéma narratif, après des débuts ayant brillamment posé les principaux personnages. Tandis que Higashiyama entame les préparatifs de son plan d'assassinat, on peut alors continuer d'y découvrir en profondeur des personnages qui, au-delà de leurs troubles en eux-mêmes, nous présentent bien d'autres choses pertinentes. A commencer par un certain portrait de jeunes quelque peu égarés et ayant parfois du mal à faire le point sur eux-mêmes, comme il y en avait dans L'âge de déraison ou dans le Cercle du suicide. Au-delà de leur trouble que le commun des mortels qualifiera d'anormal, on cerne des personnages qui ont du mal à se comprendre eux-mêmes, voire qui ont peur d'eux-mêmes et peuvent avoir du mal à s'accepter et à avoir confiance en eux. Dans ce cadre, on remarquera que Furuya, même brièvement, ne manque pas d'évoquer le rôle de l'entourage proche à commencer par les parents. Higashiyama a grandi certes sans gros remous, mais seul, sans réel amour parental, si bien qu'il s'occupait de lui-même sans rien attendre de ses parents. Le cas de Maho est un peu l'inverse, empreint d'une violence tragique qui l'a sans doute conditionné dans sa façon de fuir la réalité. De par ses troubles autistes, Aoi a grandi avec des parents constamment inquiets pour elle, au point de lui conseiller de se faire passer pour une "débile" à l'école alors qu'elle renferme des talents fous dont seule Maho a conscience : sa différence, quelque part, l'oblige à s'aliéner pour ne pas trop être remarquée. Quant à Yukio, ses propres parents se demandent ce qui lui arrive quand il se met à étudier.

Il serait presque étonnant de voir cette sortie se présenter si bien comme une sorte d'écho à un autre manga débuté en France un mois auparavant aux éditions Le Lézard Noir : Tokyo Kaido de Minetarô Mochizuki. Dans les deux titres, on nous présente des personnages souffrant de troubles qui peuvent nuire à leurs interactions sociales et les mettre à mal eux-mêmes, des jeunes quelque peu en marge des "normalités" sociétales, qui peuvent se sentir incompris, ne pas chercher à ce qu'on les comprenne en cachant leurs problèmes, ou ne pas forcément se comprendre eux-mêmes ou comprendre l'autre (on prendra l'exemple de Yukio, qui se fait des idées sur Maho et Aoi simplement en les voyant se tenir la main). Mais les deux séries inscrivent leurs personnages dans leur propre contexte, et l'approche est différente tout en pouvant être complémentaire.

Visuellement, Furuya est en grande forme, ne serait-ce que pour son trait maîtrisé, ses personnages aboutis, ses trames fines, ses décors omniprésents et participants beaucoup à l'immersion. Mais l'artiste a aussi pour lui un excellent sens de la mise en scène. A de nombreuses reprises il alterne vues de devant et de derrière sur une même scène pour qu'on en saisisse tout (ne serait-ce que dès les pages 5 à 7), offre aussi quelques vues par-dessus ses personnages (notamment quand Maho et Aoi mangent... ce qui nous rappelle un brin certaines scènes de repas de Ritsu dans le Chiisakobé de Minetarô Mochizuki, encore lui), nous fait ressentir les mouvements alentour dans les cases et hors-champs pour un rendu plus réaliste (comme en page 70, où d'autres silhouettes continuent d'avancer, disparaissent ou apparaissent tandis que Maho et Aoi poursuivent leur discussion dans le couloir)... Son découpage est généralement très propre, avec des cases rectangulaires bien délimitées, sauf quand Higashiyama part dans ses fantasmes d'assassinat qui du coup sont très marquants. On peut aussi ressentir un héritage théâtral par moments, par exemple quand Furuya joue avec les rideaux de l'infirmerie.

On attendait impatiemment le retour de Furuya dans les librairies français, et le mangaka ne déçoit aucunement en offrant une première moitié de série captivante, intelligente, plus riche qu'il ne pourrait y paraître, et impeccable dans son rendu visuel. On attend impatiemment de voir dans le 2ème et déjà dernier tome ce qui attend les personnages et quelles leçons en tirer dans le portrait que l'auteur nous offre.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs