Emerald - Actualité manga

Emerald : Critiques

Emerald

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 19 Octobre 2016

En plus de ses talents graphiques qui ne sont plus à prouver, Hiroaki Samura est un artiste qui possède aussi la faculté de nous étonner à chacun de ses récits. Ainsi, après nous avoir longtemps séduits avec la fresque de samouraï L'habitant de l'infini, l'auteur a déjà pu nous montrer en 2016 son don pour varier les plaisir, avec Snegurochka, un fascinant thriller politico-historique bien plus profond qu'il n'y paraît, puis Halcyon Lunch, une comédie SF absurde qui demandait un effort pour entrer dans son génial trip. Le troisième round de l'année Hiroaki Smaura chez Casterman arrive en ce mois d'octobre avec un recueil qui, une nouvelle fois, témoigne de toute l'inventivité du mangaka.

Paru au Japon en 2009 sous le titre Sister Generator, Emerald se compose de 7 histoires courtes de longueurs très variables (on va de quelques pages à une soixantaine de pages), auxquelles il faut rajouter une mini-série faite de 8 petits chapitres disséminés tout au long des 220 pages du livre. Celles-ci furent dessinées entre 2004 et 2009 pour différents éditeurs (Kôdansha principalement, mais aussi Media Factory, Ohta Shuppan, Take Shobo et en auto-édition), et chacune d'entre elles s'avèrent totalement différente de la précédente. On passe ainsi d'un récit Western sur fond de vengeance à une chronique familiale retorse aux élans SM, aux délires de trois lycéennes commentant l'actualité en partant dans tous les sens, au destin étrange et presque malsain d'une jeune fille après la guerre, à la brève comédie sur fond de musique...

Evidemment, toutes ces histoires ne se valent pas.
"Emerald", le récit western donnant son nom au recueil, s'avère impeccable dans la gestion de son récit de vengeance aux différentes embouchures et aux rebondissements parfois surprenants. C'est un pur western dans son atmosphère, mais qui parvient à tirer son épingle du jeu grâce à ses quelques touches d'originalité qui font toute la différence. L'inquiétant drame familial à tendance SM "Le grand show de la famille Kuzein" et la chronique aux élans SF "Shizuru Kinema" sont typiquement le genre de récits qui parviennent à étonner de par leur mélange de tonalités (l'humour est là par touches, par exemple) et leurs avancées mêlant les genres. La mini-série "Cet uniforme qui nous colle à la peau" est un petit régal grâce à ces trois héroïnes déjantées et à la façon dont l'auteur y explore à sa façon des sujets d'actualité, en n'ayant parfois pas sa langue dans la poche.
A contrario, "Le Festin de de Brigitte" part sur une excellente idée en puisant dans un contexte historique d'après-guerre pour livrer un récit à la fois malsain et envoûtant, mais on y ressent de plus en plus un aspect très expéditif, ce que confirme Samura dans sa postface, concédant qu'il a dû écourter son histoire. De même, le bref récit autour du mahjong, malgré ses quelques inspirations véridiques, n'a pas le temps de décoller et reste peut-être le plus anecdotique des récits de ce recueil.

Mais dans tous les cas, on trouve ici la confirmation que le mangaka peut toucher à bon nombre de genres avec aisance, qu'il aime se réapproprier des choses assez classiques en y apportant sa touche d'originalité (parce que ce n'est pas encore ici qu'on verra Samura faire comme les autres, la 2ème histoire en est sûrement la meilleure preuve !), et qu'il se plaît à expérimenter un peu certains style et certaines idées.

S'il fallait trouver un point commun à quasiment toutes les histoires, il s'agirait sans doute de l'impact fort des personnages féminins. On découvre des femmes fortes et intelligentes (ne serait-ce que dans la première histoire), au regard intense, au caractère affirmé, y compris les trois lycéennes de la mini-série. Même quand, à l'image de Brigitte, elles sont ballotées par les événements et ne contrôlent pas vraiment leur vie, elles ne se morfondent pas.

Pour le reste, il y a la patte visuelle de Samura, une nouvelle fois impressionnante. L'artiste aime souvent dénicher des petits angles de vue qui font la différence (par exemple, la vue en plongée légèrement de biais au début de la 2ème histoire), et se plaît à offrir par-ci par-là de petites fantaisies (à l'image de l'oeil de Kaori qui part en vrille façon machine à sous). Ses planches profondes et parfaitement ancrées, son travail manuel dense, ses effets un peu crayonnés, la richesse et la variété des décors et des tenues d'une histoire à l'autre (ouest sauvage, bâtisses d'époque, tenues d'aujourd'hui ou du passé...)... ne sont que quelques éléments faisant les qualités d'un dessinateur qui semble à l'aise quel que soit le domaine. A tout cela, il faut ajouter les quelques magnifiques illustrations parsemant le tome.

Quant à l'édition, elle est impeccable. Le grand format, le papier assez épais et l'impression sans couacs et sans bavures fait pleinement honneur au travail de l'auteur. Désormais habitué aux travaux de Samura (il a aussi traduit Snegurochka et Halcyon Lunch), Aurélien Estager livre une traduction limpide, collant bien aux différentes tonalités, et ponctuée de quelques jeux de mots sympathiques.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs