Dernière Heure Vol.1 - Actualité manga
Dernière Heure Vol.1 - Manga

Dernière Heure Vol.1 : Critiques

Gojikanme no Sensô

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 22 Juin 2017

Sur sa petite île d'Aoshima, non loin de Shikoku, le jeune Saku Futami entre en 3ème année au collège, sans forcément être pleinement emballé. Toujours la même routine, toujours les mêmes repas sommaires, toujours les entraînements en athlétisme où il se débrouille pourtant très bien, toujours le même cadre campagnard... Toujours le même ennui, en somme. Et ce, même si son amie d'enfance la maladroite Miyako Aishima est là, et même si depuis quelque temps il est intrigué par Reina Shinokawa, une camarade de classe évacuée sur l'île depuis Tôkyô pendant l'été de la 2ème année et qui reste froide et distante avec tout le monde.


Dans ce cadre dont il connaît et qui semble inamovible, une nouvelle année scolaire a beau arriver rien ne semble devoir changer. Pourtant, voici le garçon titillé quand il constate qu'une nouvelle matière est apparue dans le planning des cours : "guerre". Que cela signifie-t-il ? La réponse pourrait être bien cruelle...


Car désormais, chaque vendredi, un ou deux élèves de la classe, une fois par semaine et  pour une journée, seront appelés à se rendre sur le continent japonais, en guerre depuis 5 ans contre un ennemi non identifié. Jusqu'à aujourd'hui, sur leur île refuge, Saku et les autres ne se sentaient pas forcément concernés par cette guerre qui leur semblait bien loin. Mais à présent, même Shikoku est attaquée, et il leur faudra se battre sur le front, tous, les uns après les autres, sans avoir le choix puisque c'est un ordre de l'Etat. Tous, sauf Saku et Miyako, exemptés, car déclarés inaptes à être envoyés au combat, sans qu'ils sachent pourquoi...


Il y a quelques années, nous découvrions la mangaka Yû avec une oeuvre dont le nom résonne chez tout fan d'animation : l'adaptation en manga du film Les Enfants Loups de Mamoru Hosoda. Forte de cette première expérience réussie où elle a su retranscrire avec talent l'oeuvre d'origine, la jeune autrice revient désormais avec sa toute première oeuvre originale, conseillée au Japon par Inio Asano et SHin Takahashi (rien que ça). Et pour cela, l'artiste est loin d'avoir choisi le plus facile des sujets... mais comment le traite-t-elle ?


Tout commence de manière très posée, paisible, avec la présentation d'un cadre campagnard calme où vivent des personnages que l'on apprend à connaître au fil des pages. D'emblée, Saku apparaît comme un jeune garçon se sentant à l'étroit sur cette île un peu isolée, tandis que son amie d'enfance Miyako sait se faire attachante pour son côté maladroit, étourdi et un peu naïf, mais plein de bonne volonté. L'autre figure très importante de ce tome n'est autre que Shinokawa, jeune tôkyôïte au premier abord très froide. Autour d'eux viennent vite gravir d'autres figures. Des camarades de classe bien sûr : Kitayama le meilleur ami de Saku, le délégué Kihoku qui prend Saku à parti, car il est exempté, la vice-déléguée Miyakubo, l'intelligent Sekizen qui s'interroge sur ce qu'est l'ennemi contre lequel le Japon est en guerre, Kao et Ema les amies de Miyako... Il y a beau y avoir déjà pas mal de personnages, Yû parvient à tous bien les différencier, en leur offrant des physiques bien variés, mais aussi en espaçant suffisamment les brèves présentations de ces différents enfants qui seront peut-être tous pris dans l'enfer de la guerre.


Une guerre dont, jusqu'à présent, ils n'avaient pas vraiment conscience. Mais le fait est que, petit à petit, elle gagne du terrain jusqu'à déjà bouleverser leurs vies. En dehors du fait qu'ils devront aller au front, Yû propose, tout au long du tome, plusieurs petits éléments laissant bien deviner la façon dont cette guerre s'est déjà immiscée peu à peu dans un quotidien qui s'en trouvera changé. 


D'emblée, il y a la condition de certains personnages : Hasegawa et Tanbara venus sur l'île pour échapper à la guerre, mais surtout Shinokawa, jeune citadine de Tôkyô évacuée après avoir connu un traumatisme encore profondément ancré en elle... Sur ce premier volume, cette jeune fille beaucoup plus attachante qu'il n'y paraît est le personnage véhiculant e plus de choses concernant la guerre : la possibilité que Tokyo soit dévastée, la façon dont le conflit a déjà marqué à vie sa toute jeune existence...


Mais il y a bien d'autres choses : les provisions du continent qui s'amenuisent peu à peu, l'absence de médecin scolaire dans l'école parce que celui-ci  a été envoyé sur le continent, des informations sur le nombre de morts que ce conflit a déjà faits... sans oublier l'énigme sur la nature de l'ennemi. Contre qui vont-ils devoir se battre ? Qu'est-ce que le "fil d'araignée," cette colonne descendant depuis le ciel et se détachant dans le paysage ? Qu'est-ce que ces technologies impensables comme les "anneaux de sagesse", les engins de reconnaissance de l'ennemi ? Et que sont exactement ces étranges lapins en peluche, présents régulièrement comme s'ils envahissaient petit à petit les lieux, et qui semblent animés et pouvoir parler ?


Le parfum de guerre s'installant dans la vie de ces enfants et autres civils se ressent très bien, tout comme le parfum de mystère autour d'un ennemi qui semble venir d'ailleurs. Et pourtant, c'est encore à toute autre chose que Yû devrait visiblement s'intéresser le plus, à savoir ses personnages eux-mêmes, leur quotidien, leurs interrogations, leurs tourments. Ainsi, les enfants vont être confrontés à nombre de choses. Les interrogations sur ce qui les attendra quand ils seront appelés, la peur de mourir, peut-être plus encore la peur d'apprendre la mort des autres, le sentiment d'impuissance face à une situation contre laquelle ils ne peuvent rien, l'incompréhension et le sentiment d'être écartés pour Saku et Miyako qui sont exemptés sans savoir pourquoi... Comment doivent-ils appréhender tout ça, eux qui ne sont que des collégiens ? Que peuvent-ils faire ? Peut-être se soutenir simplement en continuant de vivre normalement. Car Dernière Heure est un manga inscrit dans un monde en guerre, mais la guerre n'est pas son sujet premier. De la guerre, on ne verra d'ailleurs quasiment rien dans ce premier volume. Ce que Yû dépeint avant tout, c'est la vie de ces enfants qui s'y retrouvent inévitablement mêlés, jusqu'à en voir leur vie bouleversée. Dans cette approche, l'oeuvre rappelle volontiers le manga Dans un recoin de ce monde de Fumiyo Kôno, ou encore le Dead Dead Demon's Dededede Destruction d'Inio Asano qui a la même volonté de dépeindre les personnages dans leur société en plein bouleversement. Sont donc au programme, des scènes de cuisine importantes dans l'oeuvre, car elles sont le premier facteur pouvant réunir les personnages, la découverte d'autres habitants de l'île comme l'adorable fratrie de Miyako ou la fringante pêcheuse, certaines interactions... Et c'est bien tout ça, cette vie calme et simple au contact des autres, qui pourrait bien, pour l'instant, sauver certaines figures en proie à l'effroi. On pense bien sûr ici à Shinkawa, qui sera amenée à beaucoup évoluer jusqu'à la fin du tome. La guerre a beau être là, elle lui permettra au moins d'aller outre ses traumatismes et de s'ouvrir.


Le message de Yû est résolument pacifiste, et ça se ressent jusque dans ses choix narratifs et visuels. Côté narration, rares sont les grands chambardements pour l'instant, l'artiste livre un rendu assez posé, comme pour mieux s'intéresser aux personnages et à leur quotidien. Côté visuels, aucune vraie scène de guerre, aucune violence, tout au plus le petit choc de voir une enfant se retrouver avec une arme en mains. Yû adopte un style très clair et aéré qui contraste à merveille à la situation qui se dessine en fond. Les bouilles assez rondes des enfants et leur lueur dans les yeux font des merveilles, car elles sont capables de véhiculer beaucoup de choses. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la très belle première page en couleurs, où les yeux de Shinokawa semblent véhiculer autant de tristesse, de peur et de mélancolie que de soulagement et de bonheur. Les décors insulaires assez calmes sont impeccables, l'utilisation des trames est fine, les petits éléments culinaires donnent envie... il se dégage de l'ensemble comme une atmosphère éthérée et un brin poétique, du plus bel effet.


Si Dernière Heure n'en est encore qu'à ses débuts dans ce premier tome (sur 4 au total), Yû met en place un récit et un univers pleins de promesses. Pacifiste et s'intéressant moins à la guerre qu'à ses lentes conséquences sur ses héros et sur leur lieu d'habitation (signalons qu'au japon, la série est sous-titrée "Home, Sweet Home!", ça veut tout dire), cette série courte a toute notre attention.


Les éditions Akata livrent une excellente copie, portée par une traduction de Claire Olivier et Anaïs Koechlin de B.L.A.C.K Studio très limpide et collant bien à l'ambiance. Le travail sur les onomatopées est impeccable, rien à redire sur le lettrage assuré par Catherine Bouvier (là aussi de B.L.A.C.K Studio). Les 3 premières pages en couleurs sont un très beau petit plus, le papier allie épaisseur et souplesse, la qualité d'impression effectuée en Italie chez Lego est très bonne. Fidèle à la japonaise, la jaquette française s'offre en plus un logo-titre plutôt bien trouvé et ne dénaturant rien.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs