SAKAI Stan - Actualité manga

Interview de l'auteur

Nous vous proposons aujourd'hui une interview de Stan Sakai, le créateur de Usagi Yojimbo, le célèbre lapin samouraï dont les aventures sont disponibles en France aux éditions Paquet. Monsieur Sakai vivant aux Etats-Unis, cet entretien a été réalisé par mails interposé, grâce à l'aide précieuse de Stéphane Heude, créateur du site Usagi Yojimbo Dojo, la référence web pour les aficionados de cette série.


     
      


Manga-news: Bonjour, Stan Sakai. Rappelez-nous pourquoi et comment vous êtes arrivés dans le monde du comic?
Stan Sakai: J’ai grandi en lisant des BD. La bande dessinée m’a donné mon amour pour les livres en général. Je lisais principalement des histoires de super-héros alors : Spiderman, les 4 Fantastiques, Superman, Batman. J’aimais aussi dessiner, et je pensais que j’en ferai mon métier. C’était donc naturel que je commence éventuellement à faire de la bd. J’étais artiste freelance à Los Angeles, quand j’ai entendu parler d’une compagnie à Seattle qui voulait publier un magazine de bd et cherchait des histoires. Je leur ai envoyé une histoire de 8 pages de Nilson groundthumper pour le premier numéro. La première histoire d’Usagi Yojimbo est apparue dans le numéro suivant, Albedo #2.
    
Photo ci-dessous: Nilson groundthumper (et hermy) dans Albedo.
    
   
    
Il y a plusieurs versions différentes de votre rencontre avec Sergio Aragones. Avez-vous vraiment pris son numéro de téléphone dans le bottin pour l'appeler?
J’ai grandi à Hawaï, et ensuite j’ai déménagé à Los Angeles (il y a plus de 30 ans, ndlr), où je ne connaissais réellement personne. Un ami de Hawaii avait rencontré Sergio une fois, et m’avait dit qu’il vivait dans la région de L.A. J’ai cherché son nom dans le bottin, et lui ai envoyé une lettre en utilisant le nom de mon ami comme introduction. Sergio m’a appelé, et nous sommes amis depuis. Il a enlevé son nom de l’annuaire téléphonique très peu de temps après cependant.
     
Photo ci-dessous: Sergio Aragones est le créateur de la série Groo the wanderer, dont Stan Sakai assure encore le lettrage à ce jour.
      
                     
                                     
Votre façon de lettrer a-t-elle changé depuis vos débuts sur Groo? Travaillez-vous maintenant sur ordinateur avec une version digitalisée de votre lettrage?
Je continue de faire le lettrage à la vieille école, en utilisant un guide de lettrage et des  stylos, directement sur les planches originales. Je n’utilise pas du tout l’ordinateur que ce soit pour le lettrage ou le dessin. Je n’ai pas le temps ou le désir d’apprendre plus que le traitement de texte et internet. J’ai Photoshop depuis 5 ans, mais ne l’ai jamais utilisé.
                       
                     
En jetant un œil sur votre bibliographie, j'ai remarqué que vous aviez lettré une histoire qu'Hiroshi Hirata a dessiné spécialement pour le marché américain: Samurai, son of death, parue chez Eclipse en 1987. Vous souvenez-vous de la façon dont vous avez eu ce travail et si cela vous a apporté quoi que ce soit pour vos propres histoires d'Usagi Yojimbo?
Je suis un fan du travail d’Hiroshi Hirata depuis que j’ai découvert son œuvre. Un de mes amis, Sharman DiVono, était le scénariste. C’était la première collaboration en bande dessinée entre un artiste américain et japonais. Je faisais aussi du lettrage pour Eclipse à cette époque, donc j’étais un choix plutôt évident quand ils ont du se décider pour choisir un lettreur. Hirata a mis des années à dessiner l’histoire, et il en a modifié beaucoup. Je suis désolé qu’il ne fût pas possible de poursuivre la série comme publication régulière.
     
Photo ci-dessous: Visuel de Samurai: son of death (Eclipse graphic novel 14, 1987)
     
                  
                        
Avez-vous aussi lu sa série sur Satsuma parue chez Dark horse? (la série est disponible chez disponible chez Delcourt sous le nom de Satsuma: l'honneur des samouraïs, ndlr)
J’ai les livres, mais je n’ai pas eu le temps de les lire.
       
     
Cela nous amène à votre œuvre principale, Usagi Yojimbo. Avez-vous choisi le lapin sur la seule idée graphique des oreilles nouées en natte ou avez-vous essayé d'autres animaux-Miyamoto? En dehors du lapin des Monty Pythons, ce sont des animaux pacifiques et craintifs...
Non, tout a vraiment commencé avec le dessin d’un lapin avec les oreilles attachées que j’ai dessiné dans un livre de croquis, quoiqu’il en soit les lapins (ou lièvres) ont toujours eu un rôle important dans le folklore japonais, et sont toujours les gentils de l’histoire. Par exemple, dans l’histoire de la Montagne Kachi Kachi, un lapin venge un pauvre fermier en tuant un blaireau. Et au lieu d’un homme dans la lune, la tradition japonaise dit qu’il y a un lapin dans la lune en train de pétrir une boule de  riz (mochi).
      
    
Aviez-vous en tête le Cerebus de Dave Sim comme modèle quand vous avez pensé à faire un comics avec des personnages anthropomorphiques?
Je connaissais le travail de Dave, mais je ne l’ai jamais réellement lu. Cela n'a pas été une influence pour moi.
             
Visuel ci-dessous: Cerebus est une remarquable série s’étalant sur 300 comics autoédités par son créateur, Dave Sim. La série met en scène un ornithorynque barbare et escroc.
      
              
                       
Voyez-vous l'usage d'animaux comme un code à la façon du maquillage du théâtre Nô pour identifier le caractère des personnages? Les lions sont sages et courageux, les rhinocéros sont forts, fonceurs, ombrageux et pas bien malins, les taupes et chauves souris sont des créatures nuisibles...
J’utilise parfois les attributs d’un animal quand je crée un personnage, comme vous le dites un lion doit être fort et sage. Cependant, de nombreuses fois, je suis allé à l’encontre de ce que l’animal représentait dans Usagi. Les lapins sont perçus comme faibles et effrayés, mais mon Usagi est tout sauf ça. La plupart du temps, cependant, je dessine juste un animal que j’aime bien.
              
            
La plupart de vos personnages sortent totalement de votre imagination et ne sont plus du tout liés à l'Histoire, n'est-ce pas? Vous ne comparez plus du tout les aventures d'Usagi à la vie de Miyamoto Musashi. Il n'y a aucune chance pour qu’Usagi se mette à écrire un "traité des 5 roues" dans ses vieux jours?
Mon Usagi a été inspire par l’histoire de Musashi mais n’a jamais été basé sur sa vie. Il y a de nombreux parallèles, mais depuis le début, les histoires viennent totalement de moi.
    
    
Ce que j’aime particulièrement parmi vos histoires, c’est la place offerte pour nous apprendre la façon de vivre de l’époque et les différents métiers d’art. On a vu les fabricants de cerfs-volants, les forgerons et les potiers. Ce sont de fabuleuses histoires complètes qui prennent place au sein de vos longues sagas. Ces histoires doivent vous demander des tas et des tas de documentations. Comptez-vous faire d’autres de ces histoires? Peut-être sur les geishas ou les peintres sur soie?
Je suis actuellement en train de faire des recherches sur la fabrication de la sauce de soja à l’époque, et j’espère écrire cette histoire en 2010. J’aimerais aussi en faire une sur l’histoire des toupies au Japon.
     
   
Laissez-nous rentrer maintenant dans votre atelier et votre esprit. Vous avez la réputation d’être un auteur ponctuel et régulier dans la réalisation de vos comics Usagi yojimbo toutes les 6 semaines. Comment concevez-vous vos histoires ? Vous devez encore étudier beaucoup le début de la période Edo pour éviter les anachronismes?
Heureusement, je travaille sur Usagi depuis suffisamment longtemps pour ne plus avoir besoin de faire des recherches sur la vie de tous les jours durant l’époque Edo. Cependant, ce sont les spécificités, qu’elles soient culturelles ou historiques, qui nécessitent le plus de recherche et de temps. Mais c’est ce qui fait les meilleures histoires.
                     
                    
Avez-vous des tas d’intrigues et d’idées devant vous et choisissez-vous ce qui vous fait le plus envie sur le moment?
Je fais des courtes histories qui mènent à des histories plus longues. Le Duel à Kitanoji (dans le tome 17, ndlr) a premièrement été prévu dans le Champ desséché (première histoire du tome 11, ndlr). Cela a pris des années pour conclure cette histoire. Je sais maintenant quelle histoire plus longue je vais faire d’ici deux ans, mais penser à l’histoire que je dois faire pour le mois prochain, c’est la partie difficile. (Dans la continuité des comics parus chez Dark horse, il y a plus de 50 numéros entre le « champ desséché » et le « duel à Kitanoji ». Ça, c’est une vue à long terme d’une série! ndlr)
              
     
Quand les personnages sont bien conçus ils finissent par dicter l’histoire, j’imagine. Planifiez-vous votre travail comme un rituel de 6 semaines. Comme, par exemple, une semaine pour le script, une pour le découpage, une ou deux pour les crayonnés et 2 autres pour l’encrage?
Cela ne se passe pas toujours aussi facilement. Parfois, l’écriture prend beaucoup plus de temps, alors qu'à un autre moment histoire se raconte par elle-même. Cela dépend également de ce qui se passe dans ma vie  - si j’ai beaucoup d’autres travaux, si je voyage…
Le dessin prend définitivement plus de temps, mais, pour moi, l’écriture est plus dure et me demande plus de concentration. Je ne peux pas être interrompu quand j’écris, alors qu’en général je dessine avec de la télévision ou de la musique.
       
                     
Pourquoi avoir choisi les yokais comme thème pour le graphic novel événementiel des 25 ans de Usagi Yojimbo?
J’avais trois conditions pour l’album spécial. Puisque il allait être en couleur, cela devait être visuellement intéressant. Cela devait aussi être une histoire complète, afin que quelqu’un qui n’a jamais lu Usagi avant puisse la lire et l’apprécier. Et cela devait s’inscrire dans la continuité d’Usagi afin que les anciens lecteurs puissent l’apprécier aussi. J’ai toujours aimé les histoires de fantômes japonais, gobelins, et autres créatures du folklore – pas que celles qui font peur mais les absurdes aussi. Usagi Yojimbo: Yokai reprend l’histoire de la Parade de Nuit des 100 Démons, et c’est une histoire avec Usagi et Sasuke le Tueur de Démons. Il y a plein de monstres soignés (quelques uns que j’ai fait car j’adore dessiner des monstres), et on en apprend plus sur Usagi et Sasuke aussi.
    
Photo ci-dessous: L’album Usagi Yojimbo: Yokai est prévu pour une sortie en VO aux USA en Novembre.
           
         
                      
Un projet de livre de croquis pour la France comme celui que vous avez fait pour l’Espagne?
Il n’y a pas de projet pour le moment. Peut-être un éditeur voudrait en faire un... Je suis ouvert aux propositions.
                  
Photo ci-dessous: Le sketchbook espagnol réalisé pour son passage au festival de Madrid en 2004.
       
                          
                       
Vous avez fait un certain nombre d’histoires sur Usagi jeune. Avez-vous déjà pensé à réaliser une histoire avec un Usagi âgé et son fils, Jotaro, en adulte?
Une histoire intitulée « la Guerre des Mondes » que j’aimerais faire prendrait place une vingtaine d’année dans le futur d’Usagi, et donc on verrait un Usagi plus âgé et un Jotaro adulte.
                 
     
Vous êtes maintenant venu plusieurs fois en France et en Belgique. Qu’appréciez-vous le plus dans ces pays?
SS: Je prends plaisir à voyager, et j’ai visité la France plusieurs fois. L’un de mes voyages préférés a été celui où j’ai visité le Mont Saint Michel. J’adore le sens de l’histoire que les autres pays ont. Les États-Unis, en tant que pays, n’ont qu’un peu plus de 230 ans d’histoire, alors que j’ai visité des églises européennes qui ont été construites au huitième siècle. J’adore l’Histoire, et c’est quelque chose que de pouvoir se promener dedans! J’adore la nourriture aussi, et qui cuisine mieux que les français?
                     
            
Interview réalisée par néun11septembre.
    
Remerciements à Stan Sakai et à Stéphane "Fanfan" Heude du site http://usagiyojimbo.fr/