OCHIAI Naoyuki - Actualité manga

OCHIAI Naoyuki 落合尚之

Interview de l'auteur

Naoyuki Ochiai était l'invité d'honneur de la dernière Japan Touch, qui s'est tenu à Lyon-Villeurbanne les 27 et 28 novembre derniers. L'auteur de Syndrome 1866, signait là sa première venue en Europe! Malgré les nombreuses sollicitations du festival, l'auteur a accepté de revenir avec nous sur son manga, qui parait en France depuis mars 2010 aux éditions Akata/Delcourt.
 
 
Manga-News: Bonjour, pouvez-vous vous présenter en quelques mots aux lecteurs de Manga-News ?
Naoyuki Ochiai: Bonjour, je m'appelle Naoyuki Ochiai et je suis mangaka, métier que j'exerce depuis bientôt vingt ans. Je suis très honoré que mes œuvres soient lues jusqu'en France!
 



La Japan Touch constitue votre première visite en Europe. Avez-vous eu l'occasion d'aller visiter le festival ? Comment trouvez-vous l'ambiance, et l'accueil du public français ?
Oui, j'ai pu faire un tour. Tout le monde a l'air de beaucoup s'amuser ! J'ai été surpris de voir par exemple, que pendant le show de cosplay, le public connaisse par cœur les musiques d'anime des différentes prestations. Cela m'a assez ému de voir un tel enthousiasme de la part des visiteurs.


Parlons un peu de vos débuts : comment avez-vous commencé votre carrière de mangaka ?
Après avoir terminé mes études, j'ai d'abord travaillé en tant qu'assistant pour le mangaka Noboru Rokuta. Un an plus tard, j'ai enfin connu la chance de voir enfin publié mon premier manga.


Quelles sont vos références, vos mangas préférés ?
Dans ma jeunesse, j'ai d'abord été un grand fan d'Osamu Tezuka, comme beaucoup de japonais. En revanche, pendant mes années lycée, je me suis mis à lire beaucoup de shojos : les séries de Jun Mihara, Minako Narita, Satoru Makimura,... je pense que ce sont les auteurs qui m'ont le plus influencé dans la suite de ma carrière.


Comment est né le projet de faire une adaptation de Crime et Chatiment ?
Lors de ma lecture de l'œuvre originale, j'ai été profondément touché, j'ai ressenti une émotion très familière. Je me suis également senti très proche du héros et de ses tourments. De plus, les thématiques abordées ne semblaient pas ancrées dans le passé mais au contraire, très contemporaines. C'est ainsi qu'il m'est venu l'idée d'en faire une adaptation dans un contexte moderne.
Dostoïevski est un auteur toujours très populaire au Japon, mais ses ouvrages ont pour défaut d'être un peu trop épais, trop longs. De ce fait, les gens rechignent à lire les romans de l'auteur. J'ai donc aussi pensé qu'une version manga, avec une parution en chapitres, serait plus abordable pour les lecteurs, qui pourront ensuite s'intéresser à l'original plus facilement.
Quand j'ai été contacté par mon éditeur actuel, qui travaille pour le magazine Manga Action, je lui ai soumis cette proposition. Il a été très emballé par l'idée, et c'est ainsi que Syndrome 1866 a vu le jour.
 


         
Quels sont les points communs entre la Russie du 19ème siècle et le Japon du 21ème ?
Il y a vraiment beaucoup de différence dans la structure des deux sociétés, mais on y retrouve dans chacune les dérives liées à l'urbanisme, qu'il s'agisse de Saint-Saint-Pétersbourg, plus grande ville de Russie à l'époque, ou de Tokyo. Les deux héros se ressemblent beaucoup, deux anciens étudiants très intelligents, qui ont un point de vue très réfléchi sur la société, mais dont les univers s'assombrissent peu à peu malgré toutes leurs connaissances. On retrouve aujourd'hui beaucoup de jeunes gens très doués, mais qui ont le même point de vue négatif sur la société qui les entoure.


Vous avez modernisé la plupart des scènes, mais avez pourtant gardé un seul passage exactement comme dans le livre: celui du rêve de Miroku, où un cheval se fait battre à mort, que l'on voit dans le premier chapitre. Pourquoi avoir gardé cette scène en particulier ?
De mon point de vue, c'est une scène marquante de l'œuvre originelle. Mais je voudrais aussi rappeler que la série est publiée toutes les deux semaines dans le magazine, et que je dois garder un certain suspense au fil de la publication. Dans les deux histoires, le héros met du temps avant de passer à l'acte. Cette scène est vraiment intrigante et j'ai pensé qu'elle accrocherait le lecteur, plutôt que de décrire ses simples hésitations qui auraient pu devenir redondantes. J'avais peur que le public se désintéresse de l'histoire avant que l'on arrive au meurtre, et ce passage, très choquant, reste à l'esprit et permet de le tenir en haleine.
De plus, à ce moment-là, je ne savais pas quelle direction allait prendre mon récit. Au début, je pensais rester plus proche du roman, d'où le fait que l'on retrouve cette séquence similaire. Au fur et à mesure, j'ai gagné assez de confiance pour m'en éloigner et pour introduire de nouveaux thèmes.
 



Les victimes du héros sont très différentes entre le roman et le manga. Pourquoi avez-vous décidé de développer cette scène dans le monde de la prostitution et des yakuzas ?
Encore une fois, c'est une manière d'intéresser d'avantage les lecteurs, en présentant des victimes de leur âge plutôt qu'une vieille dame. De même, les prêteurs sur gage ne sont plus vraiment répandus au Japon, et j'ai opté pour des thèmes plus modernes. Le milieu de la prostitution m'a permis de montrer comment certaines personnes se blessent mutuellement, tandis que d'autres sont dans le métier parce qu'elles n'ont plus d'autre alternative. Ces gens-là sont blessés dans leur fierté, dans leur orgueil.
Quant aux yakuzas, ils remplacent quelque part l'influence de la religion. En effet, cette thématique de culpabilité, de pêché est très présente dans le récit de Dostoïevski, mais la société japonaise ne connait pas vraiment cette notion. Les yakuzas représentent ainsi une autre forme de pression pouvant faire agir les gens contre leur volonté.


Vous arrivez à rendre certains passages encore plus tragiques que dans le roman d'origine. Et pourtant, ces moments paraissent malheureusement trop réalistes. Est-ce que vous vous inspirez de faits réels pour vos histoires ? Est-ce là votre vision de la société ?
Pas spécialement, les histoires sont principalement issues de ma propre imagination. Je ne pense pas que le monde soit aussi corrompu et qu'il y ait des faits aussi exagérés. Cela reste avant tout de la fiction.


Est-ce que vous vous imposez des limites dans les thèmes à aborder ?
J'essaie de faire attention quand je dessine des passages ayant un rapport au sexe. Je n'avais surtout pas envie que la mise en scène soit vulgaire, et laisse une impression scabreuse. Pour une séquence de viol, par exemple, je voulais à tout prix garder une écriture qui ne soit ni trop violente ni trop explicite, pour appuyer le côté psychologique plutôt que voyeuriste.


Nous avons appris que la série allait se terminer dans les mois à venir. Sans trop nous en dire, pour ne pas gâcher la surprise, la fin prendra-t-elle une tournure vraiment différente de celle du roman ?
Ce que je souhaite, c'est que lorsqu'en arrivant à la fin du manga, on retrouve le même sentiment que dans Crime et Châtiment, à savoir de l'espoir, malgré tous les évènements tragiques qui auront marqué le récit. J'espère arriver à un résultat similaire.
 



Avez-vous déjà d'autres projets en têtes ? De nouvelles adaptations de romans, par exemple ?
Si j'en ai l'occasion, pourquoi pas? Mais je pense que ce ne sera pas pour tout de suite : je ne sais pas encore quel sera le thème de ma prochaine série, mais si je dois revenir à une adaptation, ce sera après celle-ci.


Etes-vous vous-même un grand amateur de littérature européenne classique ?
Pour être honnête, j'en suis pour le moment resté aux œuvres de Dostoïevski. J'ai notamment lu Les carnets du sous-sol, et je suis en train de lire Les Possédés.


Pour conclure, une question plus légère : dans le manga, on peut entendre très souvent le chant des cigales. Avez-vous une affection particulière pour cet insecte ?
Au Japon comme ailleurs, les cigales chantent très fort aux mois de juillet et d'août. Comme je ne pouvais retranscrire la chaleur et l'humidité sur papier, elles me permettent de retranscrire tout le côté accablant et étouffant de l'été au Japon !


Merci !



Remerciements à M. Ochiai et ses traducteurs, à l'association Asiexpo ainsi qu'aux éditions Akata Delcourt.