MAEDA Toshio - Actualité manga

MAEDA Toshio 前田俊夫

Interview de l'auteur

A côté d'invités plus exposés tels que Naoki Urasawa, Tetsuya Saruwatari ou Rei Toma, la Japan Expo accueillait pour son édition 2012 un large panel de mangakas, aux expériences et à la longévité variée. Parmi eux, nous retrouvions notamment Toshio Maeda, l'un des papes du hentai et fondateur du genre "tentacle". Après une conférence publique (réservée toutefois aux majeurs) le premier jour, l'auteur passa la convention sur son stand, proposant de nombreuses esquisses et illustrations à la vente. Ce fut l'occasion pour nous de nous approcher de l'auteur pour un entretien improvisé, sans les habituelles limitations imposées par l'organisation. Le maitre s'est ainsi exprimé très librement sur l'ensemble de sa carrière, qui est loin de se limiter au manga coquin, contrairement à ce que l'on pourrait croire...
   
 



Manga-News: Bonjour, M. Maeda ! En France, on vous connaît surtout pour votre travail dans le Hentaï. Cependant, vous avez également réalisé des titres dans d’autres genres, tels le Ladies ou le manga pour enfants. Pourriez-vous nous parler de votre expérience dans ces différents domaines ?
Toshio Maeda : À mes débuts, je me suis posé la question : devais-je dessiner des titres pour adultes ou à destination de la jeunesse ? Dans cette industrie, il est très difficile de survivre sur la durée – trente ou quarante ans – en dessinant du manga pour jeunes, notamment à cause du rythme hebdomadaire des magazines dans lesquels ils sont publiés. C’est très difficile. C’est pourquoi j’ai décidé de faire du manga pour adultes.
Néanmoins, au début, on n’est pas trop regardant. J’ai reçu plusieurs offres pour des publications jeunesse, et j’ai donc accepté plusieurs travaux pour des magazines shônen, des magazines Ladies ou Shôjo, et beaucoup d’autres choses. J’ai par exemple dessiné des couvertures de magazines, j’ai créé des artbooks jeunesse, j’ai écrit des histoires pour des magazines Ladies. J’ai touché un peu à tout. Je me sentais un peu comme l’homme à tout faire du milieu.
Pour survivre dans cette industrie, je me suis dit que je devais lire beaucoup de livres de toutes sortes. Pas du manga, mais des romans et autres ouvrages sur tous les sujets. J’ai toujours aimé lire depuis mon enfance, je suis un vrai rat de bibliothèque et j’ai dévoré nombre de titres. Mes idées viennent d’horizons très variés et divers. C’est pourquoi je suis capable d’écrire sur beaucoup de sujets et de travailler dans n’importe quel genre.
 
 
Pourriez-vous nous dire un mot de l’influence de l’artiste français Moebius sur votre travail ?
Je devais avoir 20-25 ans quand j’ai découvert le travail de Moebius. J’ai vraiment trouvé son style magnifique et il m’a certainement influencé. Mais pas seulement lui. Quand j’étais jeune, je lisais le magazine Pilote (Célèbre magazine de publication franco-belge, arrêté en 1989, qui aura été le berceau d’Astérix, Achille Talon, Bob Morane ou encore Valérian, pour citer les plus connus, ndlr). La mise en pages, notamment, et surtout la mise en couleur, sont réellement fantastiques dans la BD franco-belge. Comparé aux comics américains où l’utilisation de la couleur y est très simple et un peu trop flashy, la franco-belge utilise la couleur avec beaucoup de sensibilité. En fait, c’est la BD franco-belge dans son ensemble qui m’a influencé.


Comment avez-vous fait vos débuts dans le genre Hentaï ? Était-ce avant tout pour vous un moyen de percer dans le milieu du manga ou une véritable vocation ?
C’est une question que beaucoup de gens me posent : pourquoi me suis-je lancé dans le genre Hentaï. Vous savez, au début, il n’y avait pas de genre Hentaï à proprement parlé, mais du manga érotique. Et il y avait beaucoup de censure et de règles à ce niveau. C’est pourquoi j’en suis venu à créer les scènes de sexe avec des tentacules, car de cette façon, la créature garde ses distances avec le corps de la femme au niveau de la représentation. Ce ne sont pas des parties génitales masculines, donc j’ai pensé que cela passerait la censure et serait accepté. Ce qui a été le cas. C’est ainsi que je me suis lancé dans le genre.


Vous avez discuté durant votre conférence de l’adaptation animée de votre manga Urotsukidôji. Pouvez-vous maintenant nous dire un mot sur l’adaptation animée de La Blue Girl ?
Après le succès de Urotsukidôji, le producteur est venu me trouver pour discuter d’une adaptation de La Blue Girl. L’héroïne de ce titre est une femme ninja, une kunoichi comme on l’appelle chez nous. Et j’ai pensé que c’était une bonne idée de l’adapter en animé, parce que le thème du ninja est un aspect très connu du folklore japonais hors de nos frontières, mais celui de la femme ninja n’était pas encore très répandu. Le thème serait donc accessible et attractif pour un public étranger, tout en apportant quelque chose de nouveau, d’exotique.
        
 

  
 
En 2001, un grave accident de voiture vous a invalidé pendant tout un temps, et vous avez dû faire une pause dans votre travail. Avez-vous aujourd’hui encore des séquelles de cet événement et avez-vous dû modifier votre façon de travailler ?
J’ai gravement souffert du côté droit de mon corps. Mon bras droit était paralysé, parce que j’avais de nombreuses fractures à l’épaule. J’ai passé quatre ans en rééducation avant de retrouver ma mobilité. Aujourd’hui, je ressens encore de temps en temps une douleur aigüe dans le bras, et je me fatigue assez vite. Je suis droitier, et c’est très dur de m’atteler à mon travail comme dans le passé. Mais je persiste néanmoins. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à travailler sur ordinateur, parce qu’il n’est pas nécessaire de faire de larges mouvements de la main pour accomplir une tâche. Pourtant, je suis de la vieille école, et j’apprécie bien davantage de travailler avec un crayon, à l’ancienne. Mais les choses sont ce qu’elles sont, et il faut faire avec. 

À une époque après mon accident, j’avais du mal à bouger correctement, à tenir mes baguettes pour manger. J’utilisais parfois ma main gauche pour compenser et prenais une cuillère, mais j’avais du mal aussi. Je mangeais alors un peu à la façon d’un chien dans sa gamelle. Cela peut sembler drôle aujourd’hui, mais c’était difficile à un tel point que j’avais du mal à me torcher aux toilettes. Heureusement, nous avions des toilettes japonaises équipées de jets, mais c’était très gênant de ne pas pouvoir utiliser mes deux mains correctement à cet effet. Je craignais parfois de devenir totalement invalide, et je me sentais assez misérable, et encore parfois un peu aujourd’hui, parce que c’est toujours difficile de bouger le bras droit correctement.
 

Quelle est votre opinion sur l’évolution du genre Hentaï, depuis vos débuts jusqu’à aujourd’hui ?
Je suis un peu considéré comme le père fondateur du Hentaï, c’est vrai, et ça me fait plaisir d’être considéré tel quel. Cependant, dans le même temps, j’ai un ressenti mitigé sur le sujet, parce que je n’ai pas fait que du Hentaï. Je suis un mangaka qui a travaillé sur de nombreux genres différents. Néanmoins, ça me fait plaisir que certains se lancent dans le genre après avoir lu mes titres. Mais sinon, je n’ai pas d’avis particulier sur la question.
 

Pour vous, quand se situe l’âge d’or du Hentaï ?
Les années 1980, probablement. Mais c’est l’Histoire qui décide de l’âge d’or d’un genre. Nous n’avons pas encore assez de recul pour pouvoir vraiment émettre une opinion à ce niveau. Il faudra attendre 20 ou 30 ans peut-être avant de pouvoir répondre à cette question.
 

Lors de votre conférence, vous avez donné votre point de vue sur les nouvelles lois de censure par rapport aux œuvres à caractère pédopornographique au Japon. Avez-vous discuté de ce sujet avec d’autres mangaka ?
Je sais que je suis un auteur de Hentaï. Cependant, cela n’a rien à voir avec mon statut. Au Japon, on voit parfois des titres où des enfants très jeunes, l’image de l’innocence donc, sont violés par des adultes pervers. Dans mes titres, je ne mets en scène que des filles matures, en âge d’avoir des relations sexuelles. Je suis férocement contre la représentation de très jeunes mineurs dans ce genre de titres !
Je n’ai pas ce genre de débats avec les mangakas concernés. Je me dis aussi qu’ils ont le droit, par la liberté d’expression, de dessiner ce qui leur plaît. Le vrai problème, ce sont les éditeurs qui publient ces titres, et demandent à leurs employés de dessiner ce genre de choses. Ce qui me pose réellement problème, ce n’est pas tant les mangakas qui les dessinent, parce que c’est leur gagne-pain, mais ces éditeurs qui demandent de mettre en scène des jeunes filles innocentes dans ce genre de situations horribles.


Et comment expliquez-vous la montée de ce type de scènes dans le Hentaï ?
Vous savez, je ne lis plus vraiment de manga, et sûrement pas ce genre de titres. Beaucoup de gens sont surpris de l’apprendre, mais dans ma bibliothèque, il n’y a aucun manga. Aucun. Je possède seulement des livres, genre romans ou autres. Par exemple, pour l’instant, même si je ne sais pas trop expliquer pourquoi, j’apprécie beaucoup les livres traitant de médecine. Donc je ne suis pas vraiment au courant de la situation actuelle.
Si je devais néanmoins donner une réponse, je dirais qu’au Japon, les hommes japonais apprécient souvent les jeunes filles. À l’époque d’Edo, les filles se mariaient à l’âge de 13 ans, parfois même 11 ans. Historiquement, cette tendance d’être attiré par les jeunes filles adolescentes, mignonnes et développées sans être vraiment matures, est déjà présente. La pédopornographie est évidemment quelque chose que je désapprouve totalement. Cependant, il est clair que les hommes un peu partout dans le monde apprécient les adolescentes de 16 ans et plus. Personnellement, j’aime les femmes matures. Néanmoins, mes lecteurs apprécient les adolescentes entre 16 et 18 ans, et c’est pourquoi je les inclus dans mes titres, comme dans La Blue Girl. C’était aussi une demande de mon éditeur, que l’héroïne soit une jeune fille.
 
 
 
  
 
Quel regard portez-vous sur vos héroïnes ? Sont-elles simplement les victimes ou bien les vrais protagonistes de vos histoires ?
Mes titres s’adressent aux hommes, adolescents et adultes. Ils veulent y voir des filles violées ou des scènes lesbiennes. Les filles bien sûr n’aiment pas ça, je le sais. Pourtant, je suis parfois surpris que certaines d’entre-elles apprécient mes séries, comme La Blue Girl. J’essaye cependant avant tout d’exprimer mes fantasmes et ceux de mes lecteurs dans mes manga. Les filles sont bien sûr parfois les victimes dans l’histoire, mais c’est « normal », c’est un fantasme de mecs, le public ciblé.


Pensez-vous dès lors qu’il est nécessaire dans ce cas de figure de développer la psychologie de vos héroïnes ?
Oui, bien sûr, c’est très important ! Je souhaite vraiment aller au plus profond de la psyché humaine. Il m’arrive de lire des livres de psychologie, et c’est un aspect très important pour mes titres. Ca ne saute pas toujours aux yeux, mais c’est quelque chose qui me tient à cœur.
 

Une dernière question. Lors de votre conférence, vous avez pu voir des représentantes du genre féminin y assister. Cela vous as-t-il surpris ?
Oui et non. Au Japon, j’ai déjà un fan-club, constitué exclusivement de femmes. Je ne comprends pas très bien pourquoi elles apprécient mes titres. Ca m’intéresserait sincèrement de le savoir. Vous avez une idée ? (rires)
 
 
Je pense que c’est à cause de votre style graphique, très beau et très mature. Généralement, c’est toujours le même genre de graphismes dans ce genre de titres, très formaté manga, mais le vôtre est particulier dans le genre et attire les regards, je pense.
J’ai d’ailleurs encore une question qui me vient à l’esprit. Vous avez dit avoir dessiné du Josei et du Shôjo. Avez-vous adapté votre style de dessin à ce type d’histoires ?

En fait, je ne dessine pas ce genre d’histoires, je ne m’occupe que du scénario. J’ai travaillé un peu sur tous les genres, il m’est donc assez aisé de m’adapter au style « Ladies ». Je suis un créateur, et je sais changer de point de vue selon le style de l’histoire assez facilement.


Thank you very much for your time, M. Maeda !
  
 

 
Propos recueillis à la Japan Expo 2012. Remerciements à Toshio Maeda et à son épouse.