LAM Dimitri - Actualité manga

Interview de l'auteur

Si la Japan Expo est le rendez-vous incontournable pour pouvoir approcher quelques grands noms du manga où de l’animation japonaise, elle donne aussi l’occasion de rencontrer quelques talents bruts en devenir. L’espace amateurs/fanzines est un lieu haut en couleurs où des dessinateurs remarquables commencent peu à peu à s’affirmer, vers la voie de la professionnalisation et de la notoriété. Parmi eux, nous vous invitions à découvrir l’univers de Dimitri Lam, auteur que vous avez peut-être déjà remarqué au sein de son blog sur Têtu avec sa série Josh, ou déjà croisé au sein de nombreuses conventions sur le stand de l’association Babylon Chronicles, signant ici son premier déplacement au sein du plus grand festival manga de France.
 

 
Manga-News : Bonjour Dimitri, peux-tu te présenter en quelques mots aux lecteurs de Manga-News ?
Dimitri Lam : Bonjour, je m'appelle Dimitri Lam, j'ai 31 ans et je suis originaire de Dijon. Je fais partie d'une association qui s'appelle Babylon Chronicles, qui a pour but de promouvoir et soutenir de jeunes artistes, que ce soit en musique, dessin, photo,... Nous voulons les accompagner du début de leur projet jusqu'à l'aboutissement, comme la publication d'un livre par exemple. On s'occupe également de la promotion, sur des salons comme la Japan Expo. La finalité, c'est aussi d'établir une gamme de produits pour se faire connaitre du public, et se constituer un réseau petit à petit.


Parlons un peu de Josh, ton premier titre. Est-ce que tu considères que la série est un représentant du yaoi français ? S'inscrit-il vraiment dans ce registre ? A quel public s'adresse-t-il ?
A vrai dire, quand j'ai créé Josh, je ne pensais pas au départ faire un yaoï à la française. J'étais surtout dans l'idée de raconter le récit d'un jeune gay et de ses meilleurs amis, sans réfléchir à une catégorie particulière pour le ranger. Si on veut chercher la comparaison, le yaoï est plus destiné à un public exclusivement féminin, alors qu'à mon avis Josh est plus accessible : il peut autant s'adresser aux personnes qui restent dans les clichés sur les homosexuels comme toucher un public gay. C'est d'ailleurs aussi dans ce but que la série avait été pré publiée sur le site du magazine Tétu. Je ne pense donc pas avoir vraiment fait du yaoi, et cela suscite quelquefois des débats chez mes lecteurs venant de ce genre-là. Certains sont décontenancés à la lecture, ne retrouvant pas les codes habituels du boy’s love dans ma série. 


En quoi le personnage de Josh te ressemble-t-il ? Plus généralement, quelle est la part de ta propre personnalité que tu peux mettre dans tes protagonistes ?
Il m'arrive souvent de reprendre de mon vécu pour créer mes différents personnages. Il y a toujours une petite part de moi, si l'on met de côté tout l'aspect fictionnel. Concernant Josh, j'ai commencé à écrire cette histoire en 1997-1998, d'abord sous forme d'une nouvelle. C'était une façon à l'époque de faire mon coming-out, d'extérioriser les choses sur le papier. Étant dans mes années lycée, cette première version était assez sombre, et pas vraiment constructive, je l'ai donc mise de côté, jusqu'au moment de la publication dans Têtu. J'ai réactualisé mon histoire à partir de mon vécu, de mes expériences, pour offrir un récit plus réaliste et personnel. D’ailleurs, c'est pour cela que le premier tome de Josh se concentre surtout sur le personnage principal, sa manière de vivre, ses bons moments, et surtout sa manière de fuir la réalité. Cela m'amusait de détruire tout cela et de passer aux côtés négatifs ! La suite devrait déstructurer tout ça, en mettant en avant ses responsabilités, et je compte également m'attarder plus longuement sur les deux autres protagonistes. Sur la première partie, je mettais en scène la vie classique d'un jeune gay moyen, mais il ne faudrait pas que ce soit trop classique !
 


Ton héros accumule les histoires sans lendemain, et rencontre de nombreux personnages aux attitudes très différentes. Parmi toutes ces rencontres, certaines sont-elles inspirées de vraies anecdotes ?
Certaines sont du vécu, d'autres sont beaucoup plus exagérées. Je tire cela de mes propres expériences mais aussi de ce que certains de mes amis ont pu me raconter. La tromperie sur son identité sur les sites de rencontre est un cas très récurrent, mais pour les homos comme pour les hétéros ! Beaucoup de personnes mentent aussi sur leur vie pour arriver à leurs fins…


Quel a été le parcours de la série Josh, de sa première version jusqu'à la publication en volumes reliés ? As-tu eu des difficultés particulières pour te faire connaitre ?
Quand je fais quelque chose, je suis assez critique avec moi-même. Il faut du temps avant que les choses ne me plaisent totalement, et jusque là, je réécris, je refais mes dessins,... Pour Josh, j'avais fait un premier essai en version BD d'une trentaine de pages, mais ça ne me plaisait pas, ça partait un peu trop dans le fantastique. Le but que je m'étais fixé était de garder le récit ancré dans la réalité pour que les lecteurs puissent se reconnaitre dans le personnage, et ceci indépendamment de leur sexualité. Quant à la réalisation du projet, j'ai eu de nombreuses difficultés à imposer mon travail : un dessinateur français proposant du manga, c'était plus vu comme un passe-temps qu'autre chose… On subissait encore les clichés et la mauvaise réputation du genre : sexe, violence, personnage à gros yeux,... Mais finalement, quand je suis arrivé à Têtu, ils m'ont donné carte blanche. Je me suis dit : "Tu fonces, tu proposes ce que tu veux et tu vois après si ça plait ou pas avant de continuer !". C'est comme cela que ça a vraiment commencé.


As-tu eu des retours des lecteurs pendant cette phase de publication ? Est-ce que ça a pu aiguiller tes choix scénaristiques ?
Le challenge, avec Têtu, c'est que j'avais un public qui ne connaissait pas ou peu le manga, et qui n'allait pas forcément aimer le style. Mais il y eut rapidement des échos favorables, notamment de néophytes en manga qui avaient quand même accroché au dessin. Par la suite, j'ai sollicité les internautes pour connaitre un peu les avis, pour voir ce qui plaisait dans l'histoire et ce que je pouvais mettre en avant, pour m'améliorer aussi,... J'ai eu pas mal de critiques constructives ! J'ai également lancé quelques concours, après avoir demandé aux lecteurs s'ils voulaient apparaitre dans l'histoire dans le second volume, sous forme de petits clins d'oeil. J'avais peur que cela tourne à la bataille, mais finalement, tout le monde a été solidaire. Cela générait une mise en avant aussi bien pour la bd que pour eux-mêmes, et ils motivaient aussi les gens à voter pour les autres. C'était une très bonne expérience, non seulement pour le côté divertissant, mais aussi car c'étai assez symbolique pour la série qui réunissait pas mal de monde, et ou chacun peut apporter une petite pierre à l'édifice !
 


Tu t'es aussi lancé dans l'autoproduction de tes mangas. Y a-t-il eu un déclic particulier qui t'a poussé à te lancer dans cette aventure ?
J'avais vraiment cette idée en tête depuis le début. Mais au départ, je ne croyais pas encore suffisamment en moi, jusqu'à ma rencontre avec Cyrille Verdilyon, le président de Babylon Chronicles, qui était là pour m'épauler, m'aiguiller sur certains choix,... C'est avec cette équipe que nous avons commencé à faire différents salons manga et BD. On est passé d'une ou deux conventions par an à une quinzaine aujourd'hui ! Les rencontres avec les lecteurs  m'ont beaucoup aidé pour prendre confiance en moi, mais aussi pour réaliser qu'il y a un véritable public qui suit et qu'il y a sans doute quelque chose à tirer de cette effervescence. On s'est donc dit : "C'est maintenant ou jamais !". La maison d'édition a été créée l'année dernière, suite au buzz généré par Têtu et cette expérience sur les conventions. Cela a toujours été mon but d'éditer à la fois mes propres séries, mais aussi d'aider les jeunes auteurs aux œuvres "typées manga" qui ont souvent des difficultés pour percer. Si nous pouvons les pousser jusqu'à une reconnaissance similaire, on en sera très heureux.


Quels autres auteurs et styles pourra-t-on trouver au sein de Babylon com ?
Pour l'instant, nous n'avons que deux titres, Josh et Delirirum. On essaie pour l'instant de se limiter à pas plus de trois artistes par association lors de nos déplacements, pour que chacun ait suffisamment de visibilité et d'espace pour présenter ses travaux. On travaille néanmoins sur d'autres projets, notamment Somewhere Over The Light (par Adrien Chenet), une série d'action qui est proche du style de D-Gray Man. C'est une histoire qui se passe au dix-neuvième siècle, avec des archanges qui s'affrontent. Par la suite, on aimerait également aller vers de l'héroic-fantasy, mais pas forcément dans le même format manga. Nous espérons plutôt faire de la BD couleurs d'ici deux ans...
 
 
 
As-tu approché d'autres stands, d'autres auteurs, durant cette Japan Expo ?
Vu que c'est notre toute première Japan Expo, on est surtout là pour découvrir J'ai eu très peu de temps libre, au vu des dédicaces ! Pour l'instant, on se fait connaitre, on présente l'association, mais pour les collaborations, on verra un petit peu plus tard...


Parlons un peu de Delirium, ta nouvelle série. Qu'est-ce qui a pu t'inspirer le personnage de Pearce et pour l'univers déjanté de la série ?
Dans Delirium, c'est un univers très fantaisiste, un peu sans queue ni tête, et on peut croire que tout est imaginé... Mais en fait, mes inspirations viennent surtout d'expériences et de personnes que j'ai pu connaitre ! Pearce est une sorte de condensé de quelques-unes de mes connaissances qui sont assez extrêmes dans leurs réactions. Je me suis vraiment amusé à prendre leurs traits de caractères et à les insérer un peu partout dans les personnages. C'est une manière très délirante de déformer la réalité et de caricaturer leurs excès !
 


On remarque en (re)lisant Josh et en découvrant Delirium qu'il existe un cross-over entre les deux histoires. Est-ce que tu comptes faire de cette idée un fil conducteur des deux séries ?
En fait non, c'était surtout un petit clin d'oeil. Pour la sortie Délirium, je voulais offrir cette petite surprise, une sorte de "cerise sur le gâteau" pour les lecteurs qui me suivent depuis longtemps et qui apprécient le personnage. Mais je n'ai pas l'intention de faire une croisée des univers plus poussée que ça ! En revanche, pour Josh, c'est un peu plus réfléchi, car Pearce y apparait aussi, mais dans un contexte totalement différent, sans pouvoir dire qu'il s'agit du même personnage… Enfin, au final, je m'amuse plus qu'autre chose ! En cela, Delirium est en quelque sorte un défouloir : les univers de Josh et du monde gay en général peuvent s'y retrouver tournés à la dérision et à la caricature. C'est aussi une manière de montrer mon recul et le fait que je puisse aussi me moquer de cette communauté !


Tes fans attendent également le tome 2 de Josh, notamment pour savoir si le personnage de Yuri sera plus présent. Peux-tu nous en dire un peu sur le contenu de ce deuxième volume ?
Oui, Yuri sera plus développé dans le second tome ! Le premier était surtout consacré au personnage de Josh, ainsi qu'un peu à Talia qui lui rend visite. Jusqu'ici, Josh prend de la distance avec ses amis, de manière un peu égoïste, suite à un certain évènement. Il est vrai que même sans être mis en avant, Yuri reste très présent dans le récit, sa personnalité plane dans l'atmosphère ambiante. Donc il était normal de le développer d'avantage dans la suite... vous pourrez notamment suivre quelques moments présents et passés entre lui et Josh, et tout ce qui peut les lier ! Il était aussi important pour moi de développer Yuri dans le prochain volume, pour que mes lecteurs ne s'arrêtent pas au contenu du premier, axé sur les rencontres, sur l'éphémère et la légèreté. J'ai envie d'apporter de la diversité, et de montrer une autre facette du milieu gay.


Sur ton blog, on peut également découvrir un autre projet prometteur, "May"... peux-tu nous en dire plus ?
May est avant tout une série d'illustrations que j'ai débuté en 2005, qui sont basées sur une coloration type "sépia", où l'on retrouve une femme avec un caractère assez sensuel et une connotation plutôt fantastique et asiatique. De fil en aiguille, quand je crée une illustration, je vois aussi une histoire autour, et c'est ainsi que peu à peu un scénario s'est établi. Nous avons donc le projet d'en faire une BD où l'on retrouverait la même palette de couleurs. Le concept serait basé sur un format de chapitres indépendants d'une quarantaine de pages, entrecoupés d'articles de presse, d'extraits de journaux  intimes,... venant des différents protagonistes pour offrir plusieurs points de vues, et enfin de terminer par des esquisses et des illustrations. J'ai vraiment envie de faire un projet hybride entre BD, roman et artbook. Voilà pour l'idée, mais au vu du temps et du financement, cela ne devrait pas se faire avant deux ans. Le personnage et cette gamme de visuels plaisent déjà énormément à ceux qui viennent sur le stand, et il y a beaucoup d'attente autour. Aussi ce projet me tient beaucoup à cœur, pour exprimer une autre facette de ce que j'aimerais faire, après Josh qui revient sur mes expériences et Delirium qui me sert de défouloir. Avec May, je serais plus dans une optique d'un récit fantastique, presque d'horreur, qui serait plus raconté que lu. Je voudrais m'inspirer des univers gothiques, un peu de Lovecraft, mais remis dans un univers plus japonais ou asiatique, avec une histoire sur plusieurs époques et qui se passerait aussi dans le monde des esprits.
 


Concernant la Japan Expo, quel est ton ressenti sur ta rencontre avec le public parisien ? Que penses-tu du salon en général ?
Ce n'est pas ma première rencontre avec eux, vu que j'ai déjà participé à Paris Manga, Epitanime, la Chibi JE,... cependant il y a quand même un autre public, qui ne fait le déplacement qu'à la Japan Expo et à rien d'autre. C'est un peu la Mecque du manga, l'évènement incontournable ! C'était vraiment important pour nous de faire cette convention-là, car avant nous estimions ne pas avoir les reins assez solides, nous n'étions pas assez sur de nous... Nous attendions d'avoir assez de choses à montrer sur le stand, et nous sommes plutôt satisfaits de l'expérience. On est tout de même assez surpris de la superficie de l'ensemble, on se croirait dans un labyrinthe ! Pour l'instant, j'ai à peine eu le temps d'aller voir un peu du côté des jeunes créateurs et des produits dérivés, mais vu le monde, je suis vite revenu ! Mais le fait d'y aller par intermittences permet aussi d'y voir un peu plus clair…


Que penses-tu de l'évolution de la communauté amateur et fanzines depuis les dernières années ?
Je trouve qu'il y a une sorte d'hybridation depuis quelques mois : avant, le fanzinat était surtout quelque chose fait pour le fun, avec une ambiance rappelant plus des clubs de dessin que des associations. Aujourd'hui, que ce soit nous ou d'autres associations, on peut voir que des projets de BD ou de manga plus sérieux sont vraiment en train d'émerger, et que certains tendent vers le monde professionnel.


Il faudrait donc changer l'intitulé "Amateurs" ?
Oui, je pense qu'il faudrait créer une nouvelle catégorie pour les créateurs axés vers le monde des pros, pour que le public s'y retrouve d'avantage !


Plus personnellement, as-tu des références et inspirations particulières pour tes oeuvres ? On peut y retrouver notamment quelques ressemblances dans ton dessin avec le style de Yukito Kishiro, l'auteur de Gunnm...
C'est vrai, il s'agit d'une de mes principales sources d'inspiration. Cet auteur m'a vraiment bluffé par son graphisme, mais surtout sur la création de ses personnages. Pour Gunnm, outre le cyberpunk et la violence, j'ai été époustouflé par son souci du détail, et par la description de la psychologie des personnages, qu'ils soient principaux ou secondaires, gentils ou méchants,...On comprend immédiatement leur motivation, et l'humanité qui s'en dégage malgré leur apparence. C'est ce genre d'expérience en tant que lecteur qui m'a poussé à créer des personnages vraiment charismatiques et à la psychologie profonde, car ils font la force d'un récit, même lorsque la base scénaristique est simple. Dans Gunnm Last Order, j'ai remarqué qu'il avait changé de technique de dessin en travaillant informatiquement et en donnant encore plus de détails dans ses planches. Parmi les autres artistes, mais dans un tout autre contexte, j'aime particulièrement Junji Ito qui pour moi fait figure d'ovni dans le genre. Son imagination est vraiment débordante ! Ayant été bercé par des séries comme X-Files, j'y ai retrouvé quelques éléments et découverts d'autres choses encore plus intriguantes dans ses histoires courtes. Sinon, je peux aussi citer quelques classiques comme Dr Slump, Dragon Ball,... ainsi que le travail de Rumiko Takahashi. Ce que je respecte le plus chez elle, c'est sa capacité à pouvoir aller vers tous les genres, de l'action fantastique à la tranche de vie. D'ailleurs, pour revenir sur May, j'aimerais beaucoup faire quelque chose dans la lignée de Mermaid Forest. J'adore l'atmosphère de ses récits et de ses petites saynètes !



Tu as souligné la différence de technique entre Gunnm et Gunnm Last Order. De ton côté, comment travailles-tu ?
J'utilise les deux techniques, manuelle comme informatique. J'essaie tout de même de faire le plus possible de choses à la main, en utilisant des stylos bille ou de l'encre de chine, et les crayons de couleurs estompés pour les illustrations couleurs. Je scanne ensuite sur ordinateur, où j'utilise mes propres textures, mais je vois l'outil informatique comme un complément au reste. Je trouve que les récits réalisés entièrement sur tablette graphique perdent en émotion et en chaleur. Cela m'avait notamment sauté aux yeux à l'époque où les comics étaient colorisés à la chaine, avec des effets Photoshop très perfectibles. On perdait énormément en intérêt et dans l'envie de continuer à suivre les séries.
Je pense aussi avoir évolué dans mon dessin, car aujourd'hui je mets beaucoup plus de détails et j'appuie d'avantage mes traits. Ainsi, je culpabilise moins quand je passe à l'ordi, en me disant qu'il ne fait pas tout à ma place ! Je m'en sers aussi, par la suite, pour tout ce qui est cadrage, tramage, lettrage, mais chaque dessin est avant tout fait à la main, à raison d'une feuille pour une case.


Merci beaucoup !


Remerciements à Dimitri Lam ainsi qu'à l'équipe de Babylon Chronicles.