HARA Keiichi - Actualité manga

HARA Keiichi 原 恵一

Interview de l'auteur

Publiée le Mardi, 15 Novembre 2011

Après Un été avec Coo, Keiichi Hara était à Paris pour l'avant-première parisienne de son nouveau long-métrage, Colorful, récompensé par le Prix du Public et la Mention Spéciale du Jury au Festival International du Film d'Animation d'Annecy en juin 2011. Rencontre avec un réalisateur dont la mise en scène à dimension humaine propulse une fois encore l'animation japonaise au-delà de ses clivages habituels…

Le thème abordé dans Colorful, le suicide, est très fort. Comment avez-vous choisi son approche ?


Keiichi Hara : Il était déjà évoqué dans le livre comme l'un des thèmes principaux (le long-métrage est adapté du livre pour enfants Colorful signé Eto Mori, NDLR). En tant que réalisateur, j'ai souhaité le garder tel quel et l'aborder pleinement dans son adaptation en film d'animation. Le sujet n'y est pas souvent représenté, et il faut du courage pour communiquer dessus. C'est justement un point fort du livre que d'en parler sans avoir de jugement excessif. Je voulais lui rester fidèle tout en m'impliquant dans ce thème, sachant qu'au Japon il y a plus de 30 000 suicides par an, enfants et adultes compris. Il y a d'ailleurs de plus en plus d'enfants touchés, c'est un véritable problème de société.

Vous êtes-vous inspiré de votre propre adolescence pour construire l'identité de certains personnages du film ?


(Pensif) Je ne me suis pas inspiré de personnages réels de mon enfance, mais j'ai peut-être été influencé par mes propres souvenirs en ce qui concerne l'apparence. Quant aux brimades que Makoto subit dans le film, je n'en ai jamais vécu d'aussi fortes, donc je n'ai pas pu tirer quoi que ce soit de mon expérience personnelle à ce niveau-là.
En revanche, je pense que je dois beaucoup aux vieux films japonais des années 50, qui sont pour moi des références dans la façon de penser la mise en scène. Il y a un réalisateur que je considère un peu comme mon maître, il s'agit de Keisuke Kinoshita. Il est de la même génération qu'Akira Kurosawa et, à cette époque-là, c'était vraiment les deux grands réalisateurs japonais, même si maintenant on évoque surtout Kurosawa. D'ailleurs, je trouve ça dommage qu'aujourd'hui on ne se souvienne plus du travail de Kinoshita.

Ce sont les films de Keisuke Kinoshita qui vous ont donné envie de vous lancer dans le cinéma ?


Quand j'étais jeune, j'étais très cinéphile, je l'ai toujours été en fait. À l'époque, je ne regardais que les films hollywoodiens comme ceux de Spielberg, Lucas, Coppola. C'est lorsqu'ils ont parlé de Kurosawa que j'ai commencé à m'y intéresser, ainsi qu'à d'autres réalisateurs de la même période. J'ai découvert Keisuke Kinoshita de cette manière. Maintenant, ce n'est pas à lui que je dois d'avoir commencé cette carrière. À la base, je souhaitais devenir animateur, j'avais fait une école d'animation. Sauf que dans tout le Japon, il y a beaucoup de gens qui dessinent… et bien mieux que moi. Du coup, je me suis intéressé à la mise en scène, j'y ai été sensible, et c'est pour cette raison que je suis devenu réalisateur.

À partir de là, avez-vous suivi un cursus particulier, ou bien êtes-vous autodidacte ?


(Songeur) Ça a été un long parcours. Quand je suis sorti de l'école d'animation avec mon diplôme, le monde de l'animation n'était pas aussi florissant qu'aujourd'hui. Je n'avais donc pas beaucoup de travail, je faisais des petits jobs, j'essayais de rencontrer des gens… (S'arrête un instant, puis reprends) La première société dans laquelle je suis entré faisait de la publicité, c'est là où j'ai commencé à apprendre sur le tas. Je ne faisais pas du tout de mise en scène, j'étais plutôt l'homme à tout faire. Mais grâce à cela, j'ai pu rejoindre SHIN-EI ANIMATION, qui faisait notamment Doraemon et Crayon Shin-chan. Là, j'étais une fois encore un homme à tout faire, mais j'ai petit à petit gravi les échelons, je suis entré dans l'équipe de mise en scène, je suis devenu assistant. Je suis ensuite passé réalisateur sur une série d'animation pendant quelques années, puis sur des longs-métrages. À présent, je suis freelance.

Puisque vous avez pu à la fois travailler pour la télévision et pour le cinéma, quel est votre ressenti sur ces deux mondes ?


Pour un cinéphile comme moi, un film représente une plus grande part de challenge et de responsabilité, en plus d'être un plaisir… Faire un film, c'est aussi avoir la chance de pouvoir le voir avec son public, le ressentir avec lui. Avec Crayon Shin-chan, j'ai eu la chance de faire six films. Tous les ans, je pouvais observer comment l'audience réagissait et c'est en essayant différentes choses que j'ai pu véritablement saisir les clés de la mise en scène.

Le public est donc très important pour vous. Avez-vous des appréhensions par rapport aux réactions des Français sur Colorful ?


(Rire) J'ai le cœur qui bat, j'appréhende un peu. Mais lors de la projection au Festival d'Annecy, j'avais trouvé les réactions des spectateurs positives, avec un bon ressenti. Après, c'est vrai que ça ne sera pas forcément le même public, la même tranche d'âge, mais j'espère que ça plaira.

L'affiche du film, avec son opposition de couleurs, est vraiment magnifique. Est-ce vous qui avez choisi cette composition particulière ?


Il y a eu plusieurs propositions d'affiches de la part d'un des designers, mais pour moi celle-ci était vraiment la meilleure. C'est pour ça que nous l'avons choisie, c'est une très belle image, très forte, et l'on y sent également l'empreinte de la mort, ce qui m'a beaucoup plu.

L'esprit, sous les traits du jeune Makoto, qui essaye de trouver sa place parmi les autres, dans la société d'aujourd'hui, c'est également une très belle image…


(Réfléchi) Cette idée d'une âme qui se réincarne était déjà présente dans le livre, mais le fait d'avoir une seconde chance, de repartir dans une nouvelle aventure, c'est ça qui m'avait beaucoup plu. J'ai essayé de retranscrire au mieux cette idée-là dans le film. Il y a beaucoup de jeunes au Japon qui ont l'impression de ne pas trouver leur place que ce soit à l'école, dans leur vie de tous les jours ou au travail. En règle générale, ils essayent d'effacer leur personnalité pour s'adapter à leur environnement, le groupe, l'entreprise, la société à laquelle ils appartiennent. Au fur et à mesure, ils ont l'impression d'étouffer. J'ai eu envie de m'adresser à eux et de leur dire qu'il y a un endroit où ils peuvent trouver leur place sans devenir une victime.

Après les évènements du 11 mars dernier, pensez-vous que les jeunes Japonais réfléchissent différemment, en particulier ceux qui n'avaient plus foi en l'avenir ?


J'ai l'impression que ce ne sont pas seulement les jeunes, ou les adultes, ou les enfants. Je pense que ces évènements ont touché tout le monde. Ça a été un choc tellement énorme sur le coup que ça a été très dur pour nous tous. Même si la tristesse est encore présente, il y a vraiment ce sentiment de vouloir recommencer, ou commencer, de ne pas s'arrêter, de faire que les choses s'arrangent petit à petit. Il y a eu un soutien international, les gens se sont entraidés, les jeunes sur place ont fait du bénévolat… Il y a eu beaucoup de démarches, d'actions, qui font que même si notre tristesse est à la mesure d'une telle catastrophe, on va de l'avant. On n'a pas envie de baisser les bras, bien au contraire.

Merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview.