Nobody Knows - Actualité anime

Critique du dvd : Nobody Knows

Publiée le Lundi, 11 Avril 2011

A Tokyo, Keiko, mère célibataire, vit seule avec ses quatre enfants de quatre pères différents. Afin d'avoir un logement plus spacieux, Keiko fait croire au propriétaire qu'elle n'a qu'un fils en lui cache l'existence des trois autres enfants. Pendant que la mère part travailler, l'aîné, Akira, avec l'aide de sa sœur Kyoko, assument les tâches ménagères. Mais un jour, la mère ne revient pas du travail. Akira reçoit un courrier lui demandant de s'occuper de ses frères et soeurs, ainsi qu'une somme d'argent. Les enfants se retrouvent livrés à eux-mêmes.

Le scénario est inspiré d'un fait réel : en 1988, à Sugamo (quartier au nord de Tokyo), quatre enfants avaient été abandonnés par leur mère pendant 9 mois.

Nobody knows est le quatrième long-métrage d’Hirokazu Kore-Eda, cinéaste qui a pour thème de prédilection la disparition. Il filme ici une enfance abandonnée avec une justesse et une tendresse remarquables. Pas de bons sentiments, pas de pathos. Kore-Eda montre l’intimité entre frères et soeurs. Il s’intéresse aux sentiments des enfants, à leurs richesses, leurs capacités. La caméra se pose avant tout sur les visages, mais aussi sur leur environnement (l'appartement et l'extérieur, soit un Tokyo dont l'immensité impressionne). Cette dualité entre intimité (les visages des enfants) et grandeur (l'environnement), est l'une des forces du film. L’utilisation du lieu clos est une constante dans le cinéma de Kore-Eda. Du studio de cinéma dans Afterlife à la cabane de Distance, Kore-Eda utilise ici l'appartement. L’appartement est un lieu protecteur, mais on ne peut y survivre sans aller à l'extérieur. Le cinéaste compose avec des éléments fondateurs de la culture japonaise de groupe : l’uchi (intérieur) et le soto (extérieur).

Kore-Eda explore les gestes quotidiens les plus insignifiants. Mais tout cela ne tourne jamais à l'obsession. Le film reste simple et pur, sans jamais devenir lourd, insistant ou trop long. Le film fait de même office de conte méditatif sur l’apprentissage. Ne pouvant plus payer les factures, les enfants se débrouillent pour trouver de l'eau et des moyens pour se chauffer. L'ouverture vers l'extérieur devient vite nécessaire. La recherche d'aide extérieure passera par une demande d'Akira envers l'un des quatre pères, mais poussera aussi le jeune garçon à chercher des enfants semblables. Il fera ainsi la connaissance d'une collégienne, Saki, martyrisée par ses camarades. Lors de la perte de repères, on se raccroche à ce qui rassure. Et lorsque l'argent manquera, le recours à des moyens extrêmes, l'enko (prostitution infantile), face à la nécessité, s'imposera. Kore-Eda expose là deux comportements humains instinctifs, expérimentés par les enfants.

Kore-Eda profite de Nobody knows pour glisser subrepticement une critique de la société japonaise.
L'attitude des adultes (l'un des pères, le patron de supérette, un employé de pachinko) signale une indifférence quotidienne. Le réalisateur met en exergue la contradiction entre le culte des apparences et les souffrances dissimulées, la perte des repères, l'égoïsme viscéral de la mère préférant pointer le fait qu'elle n'est pas heureuse, rejetant ainsi toute responsabilité d'avoir quatre enfants. Une critique fine parce qu'elle transparaît à travers tout le film sans jamais paraître trop directe ou volontairement dénonciatrice.

Tandis qu'ils sont confrontés au monde extérieur, sans leur mère, l'unité entre les quatre enfants va être bouleversée. Car Kore-Eda dresse quatre portraits d'enfants qui, confrontés à la solitude, vont changer. La soeur aînée, Kyoko, ne parvient plus à gérer le foyer. Elle prendra conscience la première de la perte de cohésion de la communauté, remettant en cause le rôle de chef de famille tenu par son frère. Shigeru, qui, lorsque la mère était encore présente, aimait tenir le rôle d'enfant turbulent, va acquérir une maturité étonnante. Yuki, la benjamine de quatre ans, à qui la mère manque le plus, ne peut plus se satisfaire de la seule présence de sa soeur Kyoko. Enfin, Akira, l'aîné, héritant du rôle de chef de foyer, va céder aux tentations de la jeunesse : jeux vidéo et sorties entre amis, argent dépensé facilement. L'abandon par la mère signifie aussi pour lui liberté, donc bonheur, mais un bonheur bien éphémère. La recherche d'un modèle par Akira est admirablement mise en scène lorsqu'au cours d’une partie de baseball, il bénéficiera des gestes attentionnés d'un entraîneur. Lorsque le pilier de l'unité, Akira, cède, car sa fragilité est corruptible, c'est toute la communauté qui sera en perdition. Lorsqu'il réalisera la difficulté de remettre en place l'unité perdue, la déchéance de la petite communauté sera presque aboutie. Avec le temps qui passe, l’inexorable chute de la petite communauté se fait sentir. Kore-Eda fait une utilisation intelligente du temps, puisque Nobody knows s'étale sur plusieurs saisons. On l'attend cette chute. Et elle arrive, dans tous les sens du terme. Kore-Eda choisit presque d'être prévisible, optant pour une victime innocente de la démission parentale et sociale. C'est finalement ce qui émeut le plus qui va disparaître. Le cinéaste est bien cruel, mais évite, toujours, même lors d'une fin poignante, le pathos. Comme dans la Chambre du fils de Nanni Moretti, Nobody kwows s'achève avec un voyage, un quasi-rituel, dont l’aboutissement est l’unité retrouvée d'une communauté qui a été confrontée au drame.

A noter que Yuya Yagira, qui tient le rôle d'Akira, a eu les honneurs d'un fait inédit au festival de Cannes : la remise du prix d'interprétation masculine à un acteur japonais mais surtout à un acteur aussi jeune. Kore-Eda a trouvé dans Yuya Yagira, non un futur top modèle nippon, mais un jeune au regard perçant. La personnalité frivole de la mère est parfaitement retranscrite à travers l'interprétation de l’animatrice populaire You (avec sa voix si particulière cassée-aiguë), qui rentre parfaitement dans le rôle.

L'ambiance sonore est discrète. Seuls les moments graves sont ponctués de mélodies employées à propos. A noter, fait exceptionnel, que la VF est plutôt bonne. Côté bonus, le making-of est très intéressant pour voir comment sont dirigés les enfants.

Le ton « semble » beaucoup plus léger dans Nobody knows que dans les précédents films de Kore-Eda. « Semble » seulement, les apparences sont trompeuses. Nobody knows porte bien son nom : ne pas savoir, et surtout ne pas chercher à savoir. Se contenter du silence est souvent plus facile. Comme le chef d'oeuvre d'Isao Takahata Le tombeau des lucioles, Nobody knows est à la fois empreint de mélancolie et de dureté. On a là un chef d’oeuvre de sensibilité, dans lequel la souffrance est muette.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
RogueAerith

18 20
Note de la rédaction