Blackjack, le medecin en noir - Actualité manga

Blackjack, le medecin en noir : Critiques

Black Jack - Kuroi ishi

Critique de la série manga

Publiée le Mercredi, 11 Juin 2014

En l’honneur des 30 ans du célèbre chirurgien balafré, Tezuka Productions a décidé que Black Jack aurait droit à un petit lifting à la sauce shônen. Un remake, best of, hommage qui pose tout de même la question de savoir si le manga d’Osamu Tezuka n’est pas un peu jeune, et unique, pour passer sous le bistouri – enfin la tronçonneuse - d’un autre.

Combien de mangaka peuvent se vanter d’avoir créer, dessiner, un personnage devenu culte, incontournable, une icône ? Akira Toriyama et Sangoku, Yumiko Igarashi et Candy, Gosho Aoyama et Conan, Tsukasa Hojo et Nicky Larson… Un petit brainstorming devrait suffire à allonger encore un peu la liste, mais, par contre, combien ont plusieurs icônes du manga à leur actif ? Pas besoin de se triturer les neurones, un seul dessinateur est capable de cet exploit, et sans surprise ni originalité, c’est bien sûr le papa du manga lui-même, Osamu Tezuka. Astro le petit robot justicier, Léo le lion roi de la jungle et donc Black Jack le médecin de l’ombre. Si les deux premiers sont connus et reconnus de par le monde, du fait qu’ils aient bercé plus d’un imaginaire d’enfant, le dernier, plus sombre et plus adulte, n’a pas la même influence et la même réputation de ce côté de la planète, alors qu’au Japon il est un pan, un miroir de la société. Comme peut l’être par exemple le tueur à gages Golgo 13 de Takao Saito ou Salaryman Kintaro de Hiroshi Motomiya. Mercenaire médical, génie du bistouri, médecin sans diplôme aussi réputé que craint, Black Jack jouit d’une aura puissante et mystérieuse. Tout au long des centaines d’aventures dessinées par Osamu Tezuka, il opéra toute sorte de patients, des pauvres, des riches, des bons, des méchants, des amis, des ennemis, des cas d’école, des missions impossibles, etc. Et s’il demande toujours en échange des sommes mirifiques, cet argent n’a toujours qu’une valeur symbolique. Combien vaut la vie de la personne qu’on aime ? Cette question rituelle de Black Jack est aussi une question piège, puisque le chirurgien hors-la-loi la pose presque exclusivement à des gens de pouvoir, individualistes, avides et qui ont besoin d’une bonne leçon de vie et de morale. Et puis quel meilleur moyen de s’asseoir une réputation, presque une légende, et attirer ainsi de futurs clients, voire de potentiels patients. En fait, dans chacune des ses interventions, Black Jack ne veut pas que ces considérations matérielles et/ou égoïstes ne masquent les réels enjeux, à savoir la santé du corps, et surtout la paix de l’esprit.

Remake

Alors que l’éditeur français Asuka vient de finir de publier les 17 volumes de l’œuvre originale de Tezuka, d’ailleurs réunis dans une jolie malette collector pour Noël, il décide d’enchaîner avec les trois volumes d’un manga de Kenji Yamamoto, sorte de remake ou best of du travail du maître réalisé en 2004 à l’occasion du 30e anniversaire du médecin en noir. Tezuka Productions avait mis les petits plats dans les grands, avec aussi une série TV réalisée par le fils de son père, Makoto Tezuka. Peu avant, en 2003, un autre mangaka rendit hommage à Black Jack, Akihito Yoshitomi, dans Ray, où l’héroïne révèle qu’elle s’est fait opérer des yeux par un certain B.J. L’auteur n’avait en effet par le droit de faire directement référence à cette institution du manga, mais lors de l’adaptation animée en 2006, Black Jack apparaît en plein jour et sous son vrai nom. Tout simplement parce que cette version est produite par Tezuka Productions. Ainsi, le personnage crée par Tezuka, en plus d’être plus vivant que jamais dans le manga et dans l’inconscient collectif, a le droit a un petit lifting shônen pour ses 30 ans. Et pas de doute, le dessinateur chargé de revisiter le grand classique est un fan de la première heure. En effet, Kenji Yamamoto passe chaque fin de chapitre du premier volume à dire combien il est fan de Dororo ou de la poitrine rebondie de Chiyoko dans L’enfant aux trois yeux. Pas de doute non plus, malgré le peu d’infos sur ses précédents forfaits, qu’il a sa propre vision de l’art du manga, loin de la tenue d’un seinen, de la profondeur d’un gekiga, mais plus proche du divertissement d’un shônen de base.

Mission impossible


L’avertissement en début de volume, selon lequel « ce remake a été élaboré dans le respect des histoires originelles du maître » fait doucement sourire. Proche de l’anthologie, son Black Jack reprend en effet les cas les plus connus, les plus extraordinaires et les plus désespérés du médecin en noir, du moins dans les faits, car sur le fond, Kenji Yamamoto expédie ou évacue complètement les résonances morales, sociales, humaines. Le lecteur, averti ou non, se retrouve donc avec une version et une vision tronquées du travail de Tezuka. Pourquoi « moderniser et adapter » Black Jack aux nouvelles générations irait de pair avec le prendre comme un simple consommateur, voire un imbécile ? Pourquoi d’ailleurs le Black Jack de Tezuka ne conviendrait pas au public d’aujourd’hui ? L’adapter en animé ou en live est déjà un défi difficile, mais en refaire un manga est un pari casse-gueule, voire impossible, le parallèle sautant aux yeux à chaque case. Une fois ces considérations et réserves mises de côté, que vaut le manga de Kenji Yamamoto pour lui-même ?

Trahison ?

Première histoire, première surprise. Avec ce cerf meurtrier et cobaye d’expériences sur le cerveau, le mangaka signe des scènes de massacres, de décapitations eu autres tripailles, particulièrement gores et gratuites. Il en sera de même avec un militaire sanguinaire qui massacre tout d’abor un village puis tel Rambo pète les plombs et tire sur tout ce qui bouge. La complaisance de l’auteur est presque gênante, même si la surenchère et la disproportion à la Baki permettent une certaine distanciation. Heureusement que les scenarii de Tezuka sont à l’origine de qualité et d’une grande originalité, ainsi quelle que soit la mise en scène de Kenji Yamamoto, la lecture se révèle ainsi au pire distrayante. Mais il faut d’abord s’habituer, ou passer outre, le trait du mangaka. L’expression « remake shônen » prend en effet tout son sens dès les premières pages, et tend à l’euphémisme lorsque l’on s’attarde sur le character design. Un style de dessin banal, une mise en page formaté, des filles aux gros seins, rien de bien méchant ou de déconcertant a priori, si ce n’est les expressions faciales de Black Jack. Le voir esquissé un sourire narquois une fois pourquoi pas,  mais lorsque ce rictus revanchard devient la marque de fabrique finale de tous les chapitres, cela devient exaspérant et surtout en totale contraction avec le matériau d’origine. A quel moment Tezuka a-t-il une seule fois présenté Balck Jack comme un justicier qui se délecte de sa victoire, ou même de la mort de quelqu’un !?

Si l’esprit de Back Jack n’est donc pas dans les pages de ce remake, et celui de Tezuka encore mois malgré la supervision de ses ayants droits, en trois volumes, le lecteur apprendra plus vite les épisodes clés  de la vie de Black Jack qu’en lisant les 17 pavés originaux. Est-ce une bonne raison, une bonne excuse ? Si cela peut ramener certains lecteurs perdus avec ce remake entre les mains dans le droit chemin vers le vrai, l’unique Black Jack, cela sera déjà ça de gagner. Comment Black Jack a-t-il eu ce visage balafré ? Pourquoi est-il devenu chirurgien ? Qui est exactement Pinoko ? Pourquoi son pire ennemi Kiriko est-il devenu un ange de la mort ? Pourquoi la sœur de ce dernier a-t-elle une si grosse poitrine ? Le Black Jack 2006 répond à quelques-unes de ces questions, mais pour les autres, et le reste, vous savez ce qu’il vous reste à faire.


Hoagie