Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 04 Mars 2024

L'essentiel d'Osamu Tezuka ayant déjà été publié en France, il devient de plus en plus rare d'avoir droit à des inédits de l'auteur dans notre pays, les éditeurs semblant notamment assez peu enclins à proposer des récits "moins matures" issus de la première quinzaine d'années de carrière de l'artiste, alors même qu'il fut extrêmement actif pendant ces années-là. C'est donc avec plaisir que l'on a vu les éditions Flblb lancer dans notre langue, en novembre dernier, un inédit datant précisément de ces années-là: ZéroMan, qui fut l'une des premières séries hebdomadaires à histoire continue du maître, mais aussi l'une des toutes premières séries du célèbre magazine Shônen Sunday de Shôgakukan, justement lancé cette année-là, en 1959. Comme la majorité des oeuvres de Tezuka, ZéroMan connut au Japon un paquet d'éditions différentes au fil des décennies, après une première édition qui comptait 4 volumes. Quant à la version française, elle est prévue pour compiler l'ensemble en deux gros volumes doubles d'environ 400 pages chacun.

Dans ce manga, Tezuka imagine l'existence d'une espèce animale d'origine écureuil, ayant évolué autant que les humains au fil du temps, mais ayant souvent pris soin de ne pas se mêler à eux à cause de leur violence. Il s'agit des ZéroMen, qui ont une apparence humaine à ceci près qu'ils ont une grande queue d'écureuil dans le dos, et qui sont dotés d'une grande intelligence. Les rapports entre humains et ZéroMen n'ayant jamais pu être très cordiaux au fil du temps, certains ZéroMen aimeraient éliminer les humains qui n'apportent que violence et destruction sur la Terre, tandis que certains humains en ont après les ZéroMen essentiellement par appât du gain. Mais entre ces deux factions, il y a Rikki, jeune ZéroMen qui fut perdu à sa naissance et qui fut élevé par un tigre avant d'être recueilli par un gentil humain.

Quelques années après son célébrissime Astro Boy (Tetsuwan Atom) lancé en 1951, Tezuka nous offre encore un cadre teinté de science-fiction où, une nouvelle fois, il offre comme héros un jeune être coincé entre deux espèces avec lesquelles il a des attaches mais qui se livrent entre elles un conflit prenant de plus en plus d'ampleur, à ceci près que les robots d'Astro Boy laissent ici place aux ZéroMen. Mais par rapport à Astro, deux autres différences majeures sont à noter.

Tout d'abord, Tezuka, comme déjà dit précédemment, propose ici une histoire hebdomadaire continue (ce qui, d'ailleurs, était a priori quasiment une première dans sa carrière, puisque ses précédentes histoires continues n'étaient pas hebdomadaires), là où Astro Boy proposait régulièrement des chapitres plutôt indépendants. A l'arrivée, cela permet à l'auteur de travailler plus en profondeur un fil rouge où, toutefois, il ne lésine jamais sur un grand nombre de rebondissements jouant sur différents registres (y compris le manga-catastrophe via le réveil du Mont Fuji), puisque Rikki devra notamment lever le voile sur un ministre imposteur, faire face à d'autres petites affaires, partir à la recherche de ses origines ou encore voler à la rescousse de ses parents biologiques, tandis qu'en toile de fond apparaissent divers visages secondaires amis ou ennemis et s'installe certains grands méchants. Une galerie de personnages qui a également pour intérêt de nuancer chacun des deux camps, car si certains humains et ZéroMen misent sur la violence et la haine pour détruire l'autre, d'autres préfèrent vivre à l'écart de l'espèce ennemie, et d'autres encore aimeraient qu'une entente soit possible entre les deux espèces.

Ensuite, le mangaka insiste un petit peu plus sur des sujets plus profonds, qu'il avait déjà pu esquisser par le passé, et qui gagneront toujours plus en maturité par la suite, notamment dans ses oeuvres plus adultes. Bien sûr, il y a en premier lieu les thèmes autour du racisme, de la haine de la différence ou d'autres bassesses humaines (appât du gain, violence, guerre) qui sont vraiment évidents. Mais on pourra aussi noter le rapport à la technologie (à l'image d'une capitale finissant par être grandement automatisée), ou même un certain totalitarisme du régime se mettant en place, tout ceci rappelant entre autres Metropolis.

Enfin, quelques mots sur le plan visuel, où l'on sent que Tezuka tend de plus en plus à essayer de se démarquer des découpages très, très académiques et réguliers qui régnaient encore en maîtres à l'époque. Si, avec nos yeux d'aujourd'hui, tout ceci semble encore extrêmement classique, pour l'époque il y avait déjà plus de diversité dans la taille et dans l'agencement des cases (prenez la page 97 et ses cases ni carrées ni rectangulaires, par exemple, ou encore l'étonnante page 319), ainsi qu'un certain goût pour sortir du strict cadre des cases puisque, parfois, les dessins et les bulles en dépassent. A part ça, oeuvre de première partie de carrière de Tezuka oblige, son style arrondi reste encore très marqué par les influences de Disney et de Fleischer Studios (Betty Boop, Popeye...), notamment dans certains nez et dans les mouvements.

A l'arrivée, cette première moitié de ZéroMan est intéressante, surtout quand on est aficionado de Tezuka. En plus d'avoir un charme rétro certain et d'être toujours fluide malgré l'avalanche de rebondissements, la série fait partie de celles où le maître commence à expérimenter certaines choses graphiquement et où il commence à mûrir un peu plus certains sujets, mais dans un style qui reste globalement dans la lignée de ses travaux précédents.

Concernant l'édition française, même si le rapport qualité/prix reste correct pour un éditeur indépendant, avec un pavé de 400 pages en grand format à 23€, on regrettera quand même un papier très transparent, alors même qu'il est souple et agréable à manipuler. A part ça, l'impression est assez honnête malgré des moirages réguliers sur certaines trames, le lettrage est sobre sans être très travaillé, la traduction d'Emmanuel Bochew et Thomas Dupuis est très claire, limpide et agréable, et la postface conçue par Slimane Zouggari et Julien Bernard est très soignée et intéressante, notamment pour sa recontextualisation.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction