Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 28 Mai 2025
Six ans avant le lancement de ‘Détective Conan’ son œuvre phare, Gosho Aoyama rencontre un premier grand succès avec ‘Yaiba’, un titre qui connaît une étonnante remise en avant en ce moment, à commencer par son adaptation animée d’excellente facture par le studio Wit. Publié entre septembre 1988 et décembre 1993 dans l’hebdomadaire Shônen Sunday (le même qui accueillera les aventures de Conan Edogawa plus tard), le manga compte 24 volumes. En 2006, les éditions Soleil s’emparent de cette œuvre de jeunesse d’Aoyama, sans doute avec l’espoir d’un beau succès étant donné l’importante de Conan au Japon. Mais, entre temps, la notoriété de ‘Détective Conan’ s’est étiolée chez nous. La série animée a disparu des écrans de télévision et malgré la poursuite sans halte de la parution chez Kana, ce ne fut peut-être pas suffisant pour garantir un succès de ‘Yaiba’. Aussi, certains tomes sont tombés en rupture, jouant le jeu des spéculateurs et rendant inaccessible une grande partie des opus à une heure où les fans de Conan se faisaient de plus en plus entendre sur les réseaux sociaux, notamment via le retour du pan animé grâce aux films édités en DVD et Blu-ray chez IDP Home Vidéo pour les 22 premiers, puis distribués au cinéma par Eurozoom à partir du 24e métrage (le 23e, lui, fut proposé plus tardivement sur la plateforme ADN). Il y a fort à parier que la nouvelle adaptation animée du premier hit de Gosho Aoyama a contribué au retour du manga chez Soleil va une nouvelle version double intitulée ‘Complete Edition’. Cette mouture prend comme base la wide-ban japonaise qui regroupe l’intégralité de la série en 12 volumes, sans d’autres suppléments. En somme, une pure édition double puisqu’il ne semble pas exister de kanzenban au Japon à l’heure actuelle. On comprend alors le choix de Soleil de ne pas opter pour un mensonger ‘Perfect Edition’, ce dont un autre éditeur du même groupe ne se prive parfois pas.
Dans la jungle s’entraînent deux samouraïs : Yaiba et Kenjuro Kurogane. Père et fils affinent leur art dans un monde sauvage et sans pitié… jusqu’à se retrouver embarqués au Japon par un pur concours de circonstances abracadabrantesque ! Sur place, ils rejoignent la résidence Mine appartenant à un vieux rival de Kenjuro. Sayaka a bien du mal à composer avec le tempérament fougueux et imprévisible de son jeune colocataire qu’il est impossible de tenir en laisse. Pire encore : Yaiba en vient même à connaître une vie lycéenne, lui qui ne connaît que la jungle ! Le club de kendo est l’occasion pour lui de trouver de solides adversaires dont Takeshi Onimaru, un combattant rigoureux qui n’a que faire de Yaiba dans un premier temps… jusqu’à ce que leur relation évolue vers une rivalité survoltée et qu’une dose de surnaturel vienne s’insérer dans l’équation !
Avec ce premier tome, ‘Yaiba’ présente une fraîcheur typique des années 80. À vrai dire, il est plus qu’aisé de rapprocher ce premier épais opus des débuts de Dragon Ball puisque l’humour absurde côtoie en permanence le récit d’arts martiaux, les combats au corps à corps étant ici remplacés par des combats au sabre. Aussi, le caractère sauvage de Yaiba semble indiquer les influences d’époque de Gosho Aoyama. Pourtant loin de tomber dans l’écueil du plagiat, cette amorce pousse le côté survolté de la proposition à son paroxysme avec un récit sans temps mort. Les premières aventures du jeune Yaiba Kurogane vont à cent à l’heure, profitent du découpage extrêmement vif du mangaka et ne lésine jamais sur la surenchère de péripéties tout en apportant constamment une dose de farfelu. Même lorsque des enjeux beaucoup plus sérieux imprègnent le scénario, le titre demeure aussi intense que drôle, ce qui se marque notamment par des personnages hauts en couleur qui jonglent entre les poncifs et les trouvailles délirantes de Gosho Aoyama. Si le manga peut aujourd’hui paraître comme un OVNI du fait de son ton, il fait office d’un vent de fraîcheur, paradoxalement étant donné son côté daté.
Cette jolie réussite tient notamment dans l’équilibre de l’évolution du récit. Yaiba aurait très bien pu se contenter d’aventures en milieu scolaire en jouant sur le décalage entre le jeune héros et son nouvel environnement. Au lieu de ça, l’intrigue opte d’abord pour une rivalité détonante entre le protagoniste et le charismatique Takeshi Onimaru, jusqu’à totalement basculer dans le fantastique en développant un folklore librement inspiré de figures historiques telles que Musashi Miyamoto. Cette évolution constante empêche un quelconque ennui en plus de permettre au récit d’affirmer une vraie couleur et de ne pas être qualifié d’ersatz. Indéniablement, Yaiba a son atmosphère, son univers, ses personnages déjà attachants, ses propres concepts et sa dynamique qui lui est propre. À ce sujet, le style d’époque de Gosho Aoyama, plus simple et épuré que celui qu’il a développé sur Conan, joue comme une capsule temporelle, sert une esthétique rondouillarde vraiment agréable et colle aux intentions comiques du manga. À l’heure où l’œuvre phare de l’auteur a battu des records et a dépassé le cap exceptionnel des cent volumes, pouvoir découvrir ses débuts plus excentriques, peut-être maladroits, mais toujours sincères, est aussi plaisant dans l’optique historique de la lecture.
Reste que l’œuvre devra accomplir un défi, et pas des moindres : tenir sur 11 tomes supplémentaires sans créer la lassitude. Car si ce premier opus se débrouille très bien dans son renouveau incessant, il existe le piège d’une œuvre qui restera sur ses acquis, ce qui pourrait le desservir à terme. À voir ce qu’il en sera, donc. Mais, pour l’heure, quel plaisir de lire ou relire les débuts de l’œuvre de jeunesse de Gosho Aoyama, bien plus dans le ton de ‘Magic Kaito’ que de ‘Conan’ ! Notons d’ailleurs que la traduction a été entièrement refaite par le Studio Charon et colle parfaitement à l’énergie de ce premier volet. En termes de fabrication, Soleil propose une copie tout à fait honorable et fait le choix d’un effet métallisé pour sa couverture, ce qui donne un joli effet, bien que moins coloré que ce qu’ont proposé les couvertures nippones. À la décharge de l’éditeur, la wide-ban optait pour une sobriété et un blanc pur qui auraient peut-être fait défaut sur une réédition de l’œuvre en France, en 2025.