Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 30 Juillet 2010
Intrigante couverture que celle de ce Ya San. Un manhua, en noir et blanc, un auteur réputé pour son sens de la révolte et un jeune dessinateur très talentueux pour l'assister, voila qui promet. Plongée dans un monde brumeux et rempli de mystères au programme. Beaucoup de mystères, un peu trop de mystères... Quoi que...
Ya San est un adolescent vivant dans un village de pêcheurs devenu le refuge d'une population abandonnée par le gouvernement dans un monde où seuls les riches parviennent à vivre décemment. Notre jeune homme a toutefois une particularité ou, plutôt, une maladie peu commune: il supporte très mal la lumière du soleil. Il est donc contraint de passer la plupart de son temps chez lui, à l'abri des rayons de celui-ci. Tout ce passe relativement bien, jusqu'au jour où une série de morts étranges décime la population du village. Ya San, victime de rêves étranges, décide de mener l'enquête...
Dès les premières pages, deux choses retiennent notre attention. La première étant le style graphique de Wei Huang Jia. Contrairement à ce que l'on a droit habituellement avec les manhuas, celui-ci est intégralement en noir et blanc, et l'on comprend rapidement pourquoi. Le travail du dessinateur n'est pas sans rappeler celui de Q-Hayashida sur Dorohedoro, en un peu moins barré. Il adopte un style crayonné du plus bel effet dans lequel la couleur n'aurait vraiment pas eu sa place. Sombre, expressif, jouant entre différents styles. Tantôt proche du genre horrifique, tantôt beaucoup plus poétique. Créant des décors d'une froideur totale, des personnages à l'allure spectrale. Mais avec une constante cependant, des pages chargées mais toujours lisibles et d'une qualité impressionnante pour ce qui peut encore s'apparenter à un débutant dans le métier. Et, une chose est certaine, les dessins contribuent grandement à donner à l'œuvre son indescriptible atmosphère qui n'est autre que son principal atout.
La seconde particularité du titre est sa narration. On se trouve en effet plus face à un roman illustré qu'à une véritable bande dessinée dans le sens où, en finalité, il n'y a que très peu de dialogues et c'est le narrateur qui est le plus présent. Un choix qui peut perturber au début, surtout de part la succession très hachée de scènes sans véritable rapport entre elles dans la première partie du manhua, mais qui s'impose petit à petit comme une évidence au fur et à mesure que l'on progresse dans la lecture. Et il en va de même pour l'intérêt que l'on porte au titre. Dans un premier temps sceptique, on s'aventure graduellement et de plus en plus profondément dans un monde à la fois glauque, inquiétant, par moment malsain mais dans lequel on ne trouvera finalement que très peu de réponses. La scénariste dépeint une société à la dérive, dans laquelle la plus grande partie de la population vie dans des bidons-villes, et où les plus riches se renferment dans de gigantesques palaces tout en jouant sans gène aucune avec la vie de ceux qu'ils considèrent comme inférieurs.
C'est ce qu'on pourra reprocher à Ya San une fois la lecture terminée. Son côté un peu trop ouvert. Chacun pourra se faire sa propre interprétation de l'histoire et des enseignements à en tirer. C'est probablement une bonne chose, mais l'on ne peut néanmoins nier que l'on reste un poil sur sa faim. La légende des insectes à l'imperméable est par exemple très intéressante mais reste assez nébuleuse. Et ce côté trouble se ressent aussi au niveau des personnages. Si ce n'est pas le cas du principal protagoniste, nombre d'entre eux restent des inconnus pour le lecteur, pratiquement aucune information n'étant donnée à leur sujet. Être un peu plus explicite par moment n'aurait sans doute pas fait de mal à Bang Wang, mais cela ne veut pas dire pour autant que l'on est frustré une fois le livre refermé. Simplement, on en ressort avec une légère pointe de déception compte tenu du fait que l'intensité du titre est allée en montant pour finalement finir un peu à plat. Rallonger le tout de quelques dizaines de pages n'aurait été que bénéfique.
Au niveau de l'édition, il n'y a rien à redire. Kana fournit du bon boulot et l'on appréciera notamment les annotations nous expliquant comment se prononcent les noms en chinois. Une bonne initiative.
Bien que certains risquent de trouver le final quelque peu décevant et que d'autres seront surement rebuté par la narration atypique du titre, Ya San reste un manhua à découvrir malgré son accessibilité réduite, ne serait-ce justement que pour son style unique, les superbes illustrations de Wei Huang Jia, et la réflexion libre d'interprétation sur l'humanité qu'il contient.