Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 20 Mars 2023

Chronique 2 :


Malgré son succès assez timide, Kenta Shinohara est un auteur dont les deux œuvres les plus importantes sont arrivées chez nous. Le délirant Sket Dance, gag manga du Jump des années 2000-2010, s'est ainsi conclu chez nous l'an dernier sous la bannière de Kazé (juste avant un massacre évident des collections de par la transition vers Crunchyroll et les changements de jaquettes), tandis que le passionnant space opera Astra – Lost in Space a trouvé sa place chez nobi nobi !.

En 2021, le mangaka fait son retour dans le Jump, avec une nouvelle tranche de vie mêlant surnaturel et comédie, Witch Watch. Du fait de son retour au gag manga, on pouvait craindre que le titre n'atteigne pas nos contrées. À la surprise assez générale, Soleil a pris le risque d'acquérir les droits du récit, pour une parution lancée dans sa collection « shônen » en septembre dernier.

Après avoir achevé sa formation, la sorcière Nico Wakatsuki est de retour au Japon, prête à retrouver son ami d'enfance, Morihito Otogi. Ce dernier est un ogre, possédant ainsi une force surhumaine qu'il a toujours cachée à son entourage, de peur d'être marginalisé. Aujourd'hui, l'adolescent doit devenir le familier de Nico, ce afin d'éviter une sombre malédiction qui plane sur son amie d'enfance. Malgré cette tâche sérieuse, la cohabitation du duo ne sera pas de tout repos, notamment parce que Nico peut se montrer maladroite avec sa magie, tout en étant prête à conquérir le cœur de Morihito, dont elle est amoureuse...

Il existe ainsi différentes manières de connaître l'œuvre de Kenta Shinohara : Suivre son parcours dans son ensemble, connaître son sens de l'aventure spatiale aux côtés de personnages pleins de justesse, ou apprécier son don de la comédie lycéenne, absurde à souhait, mais néanmoins touchante par son casting. Après un passage sur le space opera avec Astra, c'est donc sur ce registre plus libéré et humoristique que revient l'auteur, en y ajoutant cette fois une pointe de fantastique.

Witch Watch reprend donc l'idée de la relation en deux amis d'enfance, mais en jouant sur leurs natures d'entités surnaturelles et, ainsi, renouveler sa touche de la comédie scolaire. Car si les premiers chapitres jouent sur la tranche de vie, le milieu lycéen finit par être pleinement embrassé, permettant au mangaka de multiplier ses idées de gag tout en développant la relation entre Nico et Morihito dans des environnements différents. Et clairement, on sent le plaisir qu'a le mangaka à jouer sur le côté fantastique de son œuvre, sans s'enfermer dans certains carcans. Plutôt que de nous imposer l'histoire classique de personnages qui doivent cacher leurs natures véritables, Kenta Shinohara va à contre-courant, de manière à ce que les pouvoirs des héros amènent un burlesque totalement émancipé, et encore mieux jouer avec les psychologies loufoques des camarades des deux têtes d'affiche. Un entourage scolaire pour l'heure relégué au rang de figures très secondaires, voire tertiaires, mais dont la légèreté d'esprit aboutit à des interactions toujours croustillantes et à des gags délicieusement débiles comme on les aime chez Shinohara. Il crée parfois des rapports sincères, notamment en fin de volume, tout en jouant sur le comique qui lui est propre. Pour ce premier tome, il multiplie même les références culturelles, à certains titres phares du Jump. Plus qu'une volonté de flatter ses camarades, on sent surtout que le mangaka se fait plaisir et joue sur des mangas qui sont devenus de véritables icônes du manga.

Outre l'humour, excellent dans son timing, son absurde et sa représentation visuelle, c'est bien la relation entre Nico et Morihito qui donne du charme à cet opus de démarrage. Une relation d'amis d'enfance assez classique, garnie par la touche comique de l'auteur visant à créer un décalage entre ces deux figures, l'amour qu'éprouve la sorcière pour l'ogre devenant un leitmotiv sentimental donnant une énergie à leur cohabitation. Et en dehors de cette légèreté, la question de l'enjeu qui gravite autour de Nico est aussi utilisée à bon escient, ne donnant pas de réponses immédiates, mais semblant réserver une facette plus sérieuse à Witch Watch. Mais est-ce que Shinohara ne jouerait-il pas avec nos attentes, pour mieux les désamorcer dans la crétinerie totale ? C'est tout à fait possible, et chaque réponse correspondrait bien au mangaka !

Côté édition, Soleil livre une belle copie, avec ne fabrication tout à fait solide, un lettrage du studio Charon bien calibré, et une traduction de Sophie Piauger qui sait entretenir l'humour propre à l'auteur, ce qui est loin d'être une mince affaire ! Mais pari réussi, puisqu'on rit à de nombreux instants, tant pour la représentation visuelle de l'absurde que pour le texte français proposé.



Chronique 1 :


Kenta Shinohara est un auteur qui a tout de suite su nous taper dans l'oeil ici grâce à Sket Dance, la première série de sa carrière, une comédie souvent enlevée et inventive, bourrée de personnages truculents, qui aura fait le bonheur du Shônen Jump à son époque pendant plus de 30 tomes, et qui s'est achevée en France il y a à peine quelques jours chez Kazé Manga au bout d'une publication plutôt laborieuse (mais au moins, on a eu la fin). Puis avec l'excellent Astra - Lost in Space sorti dans notre langue aux éditions nobi nobi! le mangaka, le mangaka n'a fait que confirmer tout le bien que l'on pense de lui, grâce à ce qui est sûrement l'un des courts shônen d'aventure les plus maîtrisés et malins de ces dernières années. On attendait donc avec une certaine impatience l'arrivée en France de sa dernière oeuvre en date, Witch Watch, une comédie fantastique ayant marqué son retour au Japon dans le Shônen Jump à partir du mois de février 2021, et étant toujours en cours à l'heure actuelle ! Et pour sa troisième série publiée dans nos contrées, l'auteur se retrouve chez un troisième éditeur, à savoir Soleil Manga.

Witch Watch nous immisce dans un japon en tous points similaire à la réalité, à ceci presque certains êtres surnaturelles y existent et que leur existence est globalement acceptée par le commun des mortels, même si leur rareté en fait parfois des phénomènes de foire. Descendant d'une famille d'ogres de son état, le néo-lycéen Morihito Otogi fait partie de ces êtres à part, mais tâche autant que possible de garder en lui la force colossale que lui confère son statut, car le passé lui a appris que la puissance physique ne sert apparemment à rien, en provoquant des bagarres inutiles et en risquant de blesser les autres au lieu de les protéger.

Et pourtant, son quotidien sérieux risque bien de changer du tout au tout lorsque, pour respecter un serment fait autrefois, il va devoir vivre en colocation avec Nico, son amie d'enfance elle-même un peu particulière puisqu'elle est une sorcière, et qu'elle veut désormais faire du jeune garçon son familier, en plus d'espérer pouvoir conquérir son coeur puisqu'elle l'aime éperdument depuis toujours. Après 6 ans d'absence passés à se former en magie sur la terre des sorcières, la jeune fille semble effectivement prête pour réintégrer le monde humain, pile pour les années lycéennes. Mais les choses risquent bien de ne pas être aussi idéales que ce que la jeune fille espère. Non seulement parce que là où elle attendait des retrouvailles romantiques voire très fleur bleue avec Morihito, le taciturne garçon ne semble en réalité pas franchement emballé par son retour, ni excité à l'idée de vivre sous le même toit qu'une jolie jeune fille. Mais aussi parce que, d'après un nébuleux présage de la mère de Nico, un désastre va s'abattre sur l'adolescente dans l'année à venir, chose que Morihito devra empêcher en bon familier. Et, surtout, parce que la pire menace pour la mignonne sorcière est peut-être bien elle-même ! En effet, Nico étant d'une nature extrêmement maladroite depuis toute petite, les différents sorts magiques qu'elle lance de temps à autre ont tendance à ne pas tout à fait se passer comme prévus...

Après l'aventure SF Astra, Shinohara renoue donc ici avec un registre mêlant la tranche de vie, la comédie farfelue et un peu romantique ainsi qu'une part de surnaturel, finalement plutôt dans la lignée de Sket Dance (rappelons que Sket Dance proposait régulièrement aussi une part fantastique, notamment via les inventions improbables du professeur Chûma). Le récit démarre alors sur des premières étapes classiques mais indispensables: la présentation des deux personnages principaux et de leur personnalité, le retour fracassant (c'est le cas de le dire, pauvre vitre !) de Nico en ville, les débuts d'une colocation à deux rigolote où la jeune fille espère toujours séduire Morihito en s'enfonçant dans ses fantasmes romantiques tandis que lui reste impassible, des courses animées pour acheter ce dont la jeune fille aura besoin dans sa nouvelle vie, les premiers pas au lycée qui ont vite fait de déraper en dehors de ce que le jeune garçon espérait (il voulait que Nico cache sa nature de sorcière pour éviter nombre de soucis, ce sera trèèèès vite raté !), la mise en place de premiers personnages secondaires aux traits de caractères déjà définis comme la prof Makuwa (cachant son côté otaku derrière son allure sérieuse et canon) ou l'amie au grand coeur Kara (dont l'excellent caractère très marqué ruine les rêves de relation amoureuse)...

Des premiers éléments classiques, oui, mais qui jouissent bel et bien d'un rendu particulièrement efficace grâce à différents éléments, à commencer par les talents narratifs de Shinohara: le mangaka a déjà bien prouvé dans ses précédentes séries qu'il est un excellent conteur, et il récidive ici, tant tout est clair et coule de source pour nous immiscer au mieux dans une lecture fraîche et sans prise de tête. C'est également le léger approfondissement déjà apporté aux personnages principaux qui fait mouche, car tandis que l'on découvre à quel point l'attachante Nico rêve de devenir une excellente sorcière capable de toujours aider les autres, on cerne aussi un début d'évolution en Morihito: lui qui a toujours tâché de ne pas faire de vagues et de garder sa force colossale pour lui, il risque bien de s'ouvrir un peu plus grâce à sa mission de protection envers Nico, lui qui a visiblement souffert par le passé de sa condition d'ogre lui ayant valu d'être qualifié d'anormal. Et enfin, c'est avant tout le flot d'humour qui fonctionne tambour battant. On a déjà évoqué, entre autres, les désirs sentimentaux de Nico, l'impassibilité de Morihito face à ça ou encore les premiers personnages secondaires sympathiques, tout ceci offrant une ambiance toujours légère. mais un autre élément vient faire la différence: le statut de sorcière maladroite de Nico, bien sûr ! Car la jeune fille, alors qu'elle n'hésite jamais à utiliser sa magie en espérant bien faire, a décidément un don pour que ses sorts dérapent: elle s'aplatit elle-même, "allège" le cerveau de notre héros, n'agrandit pas l'objet qu'elle visait initialement, ce qui donne souvent lieu à nombre de situations ubuesques, à une succession de petits gags témoignant d'une inventivité assez présente chez l'auteur, un passage comme le vomi de confettis en étant une bonne preuve.

Retrouver les talents narratifs et humoristiques de Shinohara s'annonce donc déjà plaisant au fil de ce premier volume rondement mené. Dans une atmosphère assez cool, l'auteur n'a aucun mal à poser des personnages déjà assez attachants et hauts en couleurs, servant son humour typique souvent loufoque. Witch Watch semble avoir les cartes en mains pour nous ensorceler sans autre prétention, et c'est bien tout ce que l'on demande ici !

Du côté de l'édition française, on soulignera une seule limite: des références typiquement japonaises qui sont rarement expliquées comme il faut, notamment au niveau des contes du début, et plus encore concernant les noms des différents camarades de classe qui sont des jeux de mots non-expliqués, ou en tout cas qui ne sont expliqués quand il faut (il y a une page entre deux chapitre qui explique ces jeux de mots à un moment, mais c'est trop tard). A part ça, Soleil Manga offre une bonne copie: le papier est souple et sans transparence, l'impression est de bonne qualité, le lettrage du Studio Charon est soigné, la traduction de Sophie Piauger s'en sort généralement bien, la jaquette aux tonalités pop est très proche de l'originale japonaise... Soulignons également une première page proposant de découvrir la magie de l'oeuvre en réalité augmentée via l'application pour smartphones/tablettes de l'éditeur, une idée somme toute sympathique.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

15 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction