Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 25 Mai 2011
Ce nouveau recueil issu de l'anthologie Junji Ito nous propose de découvrir cinq nouvelles histoires du maître de l'angoisse. Cinq nouvelles ayant d'ores et déjà pour qualité d'être toutes issues du début des années 90, offrant à l'ensemble une continuité cohérente au niveau de la qualité graphique. De plus, on appréciera d'avoir quatre histoires plus longues que la moyenne de ce que nous avons pu découvrir de l'auteur avant, allant de 30 à 70 pages, exception faite de la deuxième histoire du recueil qui ne comporte que dix malheureuses pages. En ce qui concerne le fond, on reste plutôt séduit par un certain éclectisme.
La première histoire, offrant son nom au recueil, est également la plus longue de l'ouvrage.
Saiko, une lycéenne, soupçonne Kishimoto, un camarade de classe, d'utiliser sur elle la méthode d'Aristote: il pénétrerait incognito dans sa chambre pendant qu'elle dort pour murmurer des mots à son oreille dans le but de l'obliger à rêver de lui pour finir par en tomber amoureuse. Mais bientôt, Saiko rêve de la mort de Kishimoto, et le lendemain, le corps du jeune garçon est retrouvé en pleine rue...
Quelque temps plus tard, Saiko se retrouve dans une situation insupportable: elle ne reconnaît plus ses parents et ses frères, qui passent leur temps à faire des trous dans sa chambre pour l'observer, l'épier. Se sentant étouffée, elle décide de partir chez sa tante, mais là-bas, une nouvelle surprise l'attend: le quartier où habite sa tante a vu apparaître des maisons au beau milieu des rues, qui obligent désormais les passants à traverser les habitations pour se rendre d'un point à un autre. Dès lors, plus aucune vie privée n'est possible...
La vie privée, c'est bien là tout le sujet de cette longue histoire on ne peut plus malsaine. Il ne faudra pas chercher ici une quelconque cohérence dans les faits. Junji Ito est connu pour susciter l'angoisse en faisant apparaître comme par magie des événements étranges auprès de ses héros, et c'est plus que jamais le cas ici. Là où le tout se fait réellement intéressant et captivant, c'est dans la manière qu'a l'auteur d'exploiter son sujet, à travers plusieurs étapes allant crescendo: le camarade de classe entrant dans la chambre de Saiko la nuit, puis sa famille l'épiant sans cesse, puis cette ville où le respect de la vie privée ne peut guère plus exister qu'en portant un masque... Ici, Ito crée à merveille un malaise qui va en grandissant au fil des pages et des découvertes de Saiko, dont on partage totalement la sensation de malaise et, surtout, d'étouffement. Le sujet est bien exploité, est plutôt plaisant à suivre à une époque où les débats sur le respect de la vie privée restent bien présents.
Après cette entrée en matière très prometteuse, on ne fait que survoler la deuxième histoire, courte nouvelle de dix pages sur la disparition d'un avion qui n'a rien de bien original ou de très palpitant. On passe.
La troisième histoire, "La Ville aux plans", nous propose de suivre pendant une trentaine de pages un couple en voyage de noces qui arrive dans une ville jonchée de plans dans tous les sens, pour faciliter la vie aux habitants qui n'ont aucun sens de l'orientation. Bientôt, les deux jeunes gens découvrent l'indication d'un trésor sur un des plans, et décide de la voler aux habitants qui l'avaient indiqué pour être sûrs de pouvoir le retrouver. S'engage alors une course-poursuite au coeur d'une ville plus labyrinthique qu'il n'y paraît...
Commençant doucement, "La Ville aux plans" prend le temps d'intriguer le lecteur quant à cette bizarrerie qu'est cette ville alimentée de nombreux plans. La curiosité du lecteur est titillée, puis le tout finit par exploser à partir du moment ou s'entame la course-poursuite. On suit alors les errances des personnages dans la ville, le couple étant incapable de retrouver son chemin après avoir gribouillé tous les plans. Petit à petit, on voit la folie s'emparer d'eux tandis qu'ils se perdent. On regrettera un aspect un peu trop bref de l'ensemble, mais l'angoisse de se perdre reste plutôt bien exploitée par l'auteur.
La quatrième histoire, "Le village aux sirènes", fait appel à des peurs plutôt liée aux croyances démoniaques. Rappelés par leurs parents dans leur village natal, Kyoîchi et Shoko décident d'y retourner, mais une fois sur place, tout a changé. Les habitant semblent tous métamorphosés, comme drogués, et travaillent tous pour le compte d'une étrange usine, tandis qu'au-dessus d'eux, d'étranges diablotins volent dans le ciel...
Une nouvelle fois, c'est petit à petit que l'ambiance se crée, d'abord à la vision des habitants, puis à celle des diablotins , avant que le tout ne finisse pas s'accélérer dans une fin emprunte de folie. Le fond fait de réveil du démon est ici beaucoup plus classique, mais l'ambiance malsaine et peu ragoûtante, faite notamment de sacrifices de nouveaux-nés, fait son effet.
Enfin, la dernière histoire, "Le nouvel élève aux dons surnaturels", nous plonge auprès de quatre lycéens fans de tout ce qui est paranormal, certains d'entre eux ayant eux-mêmes des pouvoirs télékinésiques ou mystiques. L'arrivée d'un nouvel élève dans leur lycée puis dans leur club va voir apparaître nombre de faits étranges, comme l'apparition soudaine d'une cascade ou de statues géantes à proximité ou au beau milieu de la ville...
Malgré de bonnes idées comme le fait que le nouveau venu peut rendre vrai les choses qu'il imagine, cette histoire a un peu plus de mal à captiver. Avec les apparitions de cascade et autres statues, les événements étranges sont là, mais l'ambiance n'y est pas vraiment, la faute étant sans doute due au manque de folie des personnages, ou à une folie représentée de manière trop succincte. Quoi qu'il en soit, le tout reste plaisant à parcourir, mais moins marquant que "La ville sans rue" ou "La ville aux plans".
Malgré quelques baisses de régime, surtout pour les histoires deux et cinq, La Ville sans rue constitue un volet de bonne facture dans l'anthologie Junji Ito. L'ensemble est varié, les thèmes abordés bien trouvés et parfois étrangement contemporains, et l'auteur conserve généralement son talent pour créer l'angoisse et les ambiances étouffantes ou malsaines. Un bon cru.
Comme toujours sur les volets de l'anthologie Ito, les éditions Tonkam se sont fait plaisir en offrant une couverture assez travaillée. Au niveau de l'intérieur, il n'y a rien à reprocher.