Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 24 Août 2023
Les concepts d'otome game (jeu vidéo de séduction) et de protagoniste réincarnée en vilaine sont aujourd'hui courants dans le genre vaste de l'isekai. Souvent publiés comme shôjo ou jôsei, ils ont rapidement piqué l'intérêt des éditeurs francophones. Parmi les dernières parutions de ce registre, Soleil Manga propose depuis peu l'adaptation manga d'un light novel écrit par Satori Tanabata et illustré par Tea.
Ce roman, comme beaucoup d'autres de l'isekai, est né sous une forme indépendante, en étant publié dès 2018 par son autrice sur le site Syosetsu, avec près de 140 chapitres en ligne à l'heure actuelle. L'année suivante, l'éditeur Kadokawa publie la version physique, qui compte cinq tomes au Japon pour l'heure. La parution semble être couronnée de succès, puisqu'une adaptation animée est en cours de production.
Mais avant cette version audiovisuelle, c'est dès 2020 que Kadokawa met sur le rails une adaptation manga, confiant celle-ci à l'artiste Nocomi dont un s'agit de la première oeuvre professionnellement publiée. La parution se fait dans le magazine B's-LOG Comic, et compte à ce jour trois volumes au Japon.
La jeune Eumiella Dolkness, âgée de 5 ans, appartient à la noblesse du royaume de Varschine. Malgré son statut, sa chevelure noire est signe de malheur, et nuit à sa réputation. Mais plus important : la petite fille se souvient de sa vie antérieure, celle d'une adolescente d'un autre monde jouait à un jeu de drague qui semble être l'univers dans lequel elle existe désormais ! D'après sa mémoire, elle incarne un boss caché, une vilaine qui n'est pas vouée à connaître un heureux bonheur. Passionnée par la partie RPG du jeu, elle atteint dès son enfance le niveau 99, et se fait remarquer d'emblée lors de sa rentrée à l'académie royale. Si Eumiella voulait couler des jours paisibles, sa puissance attire les convoitises, certains la prenant pour le Roi Démon, tandis que d'autres cherchent à utilise sa puissance pour le royaume...
Les concepts de "vilaine" et de "niveau 99" sont récurrents dans les mangas isekai et de fantasy. Ainsi, l'histoire conçue par Satori Tanabata gravite autour de ces mécaniques afin d'établir sa propre aventure, un récit assez séduisant sur ce premier volet.
Récit de fantasy dans une cour royale où les éléments de RPG flirtent avec ceux du jeu de drague, Villainess Level 99 a pour lui son héroïne, Eumiella, qui s'impose par son perpétuel détachement. Incarnant réellement un personnage au coeur d'un univers qu'elle connaît et qu'elle a rejoint matériellement, c'est par ses connaissances qu'elle atteint un niveau de puissance rare, faisant d'elle un véritable enjeu de ce monde, bien plus que dans le soft auquel elle a joué dans sa précédente existence. On sent alors que l'autrice d'origine a pris plaisir à jouer avec ces mécaniques, en donnant une importance à celle qui devait être la vraie héroïne du jeu et au harem qui l'entoure, tout en considérant Eumiella dans la dimension "politique" du pays. Mais la jeune fille a son caractère détaché et un tempérament de marbre, créant un vrai fossé vis-à-vis de ce qui l'entoure, et aboutissant à un récit tout en humour et légèreté. Pas de quoi rire aux éclats, mais la mangaka Nocomi sait jouer avec cette tonalité dans son dessin, de manière à retranscrire cette comédie scolaire et de fantasy. L'artiste signant son premier manga professionnellement publié, son style est bon, certes un peu trop sage pour le moment, mais ses traits fins et élégants. En somme, il gagnera à évoluer par la suite.
C'est donc un récit plutôt posé qui nous est offert, certes drôle, mais moins extravagant par rapport à d'autres œuvres du même genre. Pourtant, pas de quoi s'ennuyer avec ce premier tome qui nous expose comme il se doit tous les éléments de l'histoire, que ce soit le rôle de doit jouer Eumiella vis-à-vis du Roi Démon et par rapport à Alicia, celle qui doit être l'héroïne du jeu. A ce propos, il est même bien vu de donner cette place au personnage, permettant de déjouer tout aspect romantique du récit, qui devient plus comédie plus qu'une histoire d'amour, le sentiment n'intéressant guère la protagoniste.
Alors, sur ce tome de démarrage, Villainess Level 99 n'a pas de quoi renouveler son genre, mais utilise astucieusement quelques poncifs pour créer sa propre sauce et proposer un début prenant, amusant et prometteur. Pour les amateurs du récit de vilaine et d'isekai, la lecture se fait toute seule.
Du côté de l'édition, Soleil Manga offre une copie simple, mais efficace, incluant une page couleur et un papier de bonne facture, au même titre que la qualité d'impression. Le lettrage est solide et la traduction pertinente, le tout étant signé par le studio Charon qui n'a plus rien à prouver. Saluons aussi le travail de Solène Pichereau sur la conception graphique, l'ouvrage étant particulièrement ravissant par les effets métallisés de sa couverture et un cadre mauve qui donne du relief à l'illustration initiale de la mangaka pour l'édition nippone.