Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 14 Mai 2020
Surtout connue chez nous pour avoir signé la version manga de la série culte Utena, Chiho Saito est une mangaka très prolifique au Japon: depuis le début de sa carrière dans les années 1980, elle a conçu plusieurs dizaines de mangas. Touchant beaucoup à des thèmes comme la romance et la fiction historique, elle voue notamment un certain intérêt à l'Occident, et a ainsi adapté en manga pas mal de récits occidentaux. Cela passe pas plusieurs adaptations de romans anglophones à l'eau de rose, mais aussi par VS Lupin, une vision d'Arsène Lupin basée sur les romans de Maurice Leblanc, qu'elle poursuit à son rythme depuis 2012. Enfin, il y a l'oeuvre qui nous intéresse aujourd'hui, à savoir Shishaku Valmont - Kiken na Kankei, une série en 2 tomes qu'elle a dessinée en 2010-2011 pour le magazine Rinka de Shôgakukan (magazine pour femmes adultes ayant aussi vu passer la série Heartbroken Chocolatier par exemple), et dans laquelle elle a entrepris une tâche ambitieuse dont elle rêvait depuis longtemps: adapter le classique de la littérature française Les Liaisons Dangereuses, sulfureux roman épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos (qui était avant tout un officier militaire avant d'être un écrivain) paru en 1782, et abordant de façon provocante libertinage et manipulations amoureuses en défrayant la chronique à son époque.
D'abord paru début 2013 chez Soleil Manga dans son édition originelle en 2 petits tomes, le manga a ensuite été réédité en novembre 2017 dans la collection Classiques de l'éditeur, mais dans un format toutefois différent des autres titres de cette collection: à l'instar du manga Orgueil et préjugés de Po Tse paru chez l'éditeur fin 2016 lui aussi dans la collection Classiques, on a là une intégrale en grand format, avec vernis sélectif et dorures sur la jaquette, pour un rendu assez élégant. Ce pavé de plus de 370 pages reste facile à prendre en mains grâce à un papier léger, souple et sans transparence. L'impression elle, est d'honnête qualité, tandis que la traduction de Julie Gerriet se veut assez fidèle et précise malgré quelques écarts de langage (surtout dans la première moitié).
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient toujours pas le roman d'origine ou qui n'auraient vu ou lu aucune de ses nombreuses adaptations, l'oeuvre nous plonge dans le Paris de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, avant l'arrivée de la Révolution française, à une époque où la société est très cadrée, très stricte, très hiérarchisée, y compris pour les femmes qui ont beaucoup moins d'autorité que les hommes et doivent souvent suivre leurs règles. La Marquise de Merteuil, elle, est une femme noble qui ne s'entend pas vraiment dicter sa conduite, et qui, tout en soignant son image publique, prend plaisir à défier la société pudibonde en s'adonnant à l'art du libertinage, dans tout ce qu'il peut avoir de plus vicieux, quitte à briser des vies... Alors quand elle repère la jeune Cécile de Volanges, pure et douce adolescente sur le point d'être livrée à la société via un mariage qu'elle n'a pas choisi alors même qu'elle est amoureuse d'un autre homme, le chevalier Danceny, Merteuil élabore un stratagème: convaincre le Vicomte de Valmont, un homme lui-même libertin et dont la réputation est déjà salie, de séduire Cécile et de la faire tomber dans la luxure. Valmont a beau s'intéresser à une autre femme, la vertueuse et mariée présidente de Tourvel, le petit jeu est trop tentant, si bien qu'il accepte. C'est là le début d'un engrenage infernal dont la conclusion, au bout de nombreuses stratégiques et manipulations, ne pourra qu'être fatale pour chacun des personnages...
Saito avoue être tombée amoureuse de l'oeuvre tout d'abord en voyant le film de 1988, qui est devenu son film préféré, puis elle a poursuivi sa passion en lisant le roman d'origine qu'elle a tout autant adoré, mais aussi en parcourant nombre d'autres adaptations. Il s'agit donc d'une vraie passionnée de l'oeuvre, et cela se ressent énormément à la lecture, tant elle prend soin de rester très fidèle aux nombreux événements du roman (qu'elle suit à la lettre, le roman étant son support et non les adaptations) mais aussi à son atmosphère immorale et sulfureuse. Bien sûr, on notera quelques petites différences: la mangaka a décalé de six ans la date de l'histoire pour mieux faire un petit écho à l'arrivée de la Révolution française, elle a également décidé de préciser certains noms... et enfin, comme le nom de son manga l'indique, elle a souhaité mettre un petit peu plus l'accent sur Valmont, personnage bien souvent détestable mais qu'elle a voulu présenter un peu plus comme un héros. Mais concrètement, ces quelques différences ne changent quasiment rien au contenu, et finalement le plus grand changement est forcément d'ordre narratif.
En effet, comme déjà dit, l'oeuvre de Laclos est un roman épistolaire: à l'instar d'autres oeuvres connues comme Les Lettres Persanes de Montesquieu (je viens de vous rappeler des heures d'études au lycée ? Ne me remerciez pas), les échanges entre les personnages, et donc les avancées de l'histoire, sont présentées sous forme de lettres à travers lesquelles ils se répondent. Difficile d'adapter un tel procédé en manga, or Saito s'en sort très bien en ne le respectant évidemment pas à la lettre (sans mauvais jeux de mots). Tout en reprenant régulièrement l'essence épistolaire dans la plupart des échanges entre Valmont et Merteuil (puisque ce sont surtout eux deux qui communiquent par lettres dans le roman), elle adopte une narration somme toute plus classique et assez posée, au fil de laquelle elle retranscrit avec une certaine rigueur les nombreux échanges des personnages.
Ce procédé a toutefois une limite: si adapter fidèlement un roman si dense en environ 370 pages de manga était déjà un vrai pari, cela se ressent forcément ici, tant certaines pages peuvent être verbeuses en alourdissant quelque peu le rythme. Il ne s'agit toutefois pas de l'élément pouvant être le plus rédhibitoire: si Saito livre une copie très soignée où l'on ressent bien sa passion pour l'histoire d'origine, son dessin est parfois trop froid, voire un peu trop statique dans le découpage et les expressions. Ca reste toujours soigné, certes, et assez riche jusque dans les costumes élégants, mais a manque donc parfois un peu d'immersion, d'envolées et de tension.
Heureusement, les qualités du récit d'origine sont bel et bien là pour pallier ces quelques petites faiblesses. Ainsi, on retrouve et ressent bien toutes les manipulations et stratégies des personnages, que Laclos, dont on rappelle qu'il était surtout officier, pense comme autant de manoeuvres tactiques militaires ou de jeux sans morale. Les principaux personnages sont aussi suffisamment travaillés, et même si Valmont est sur le devant il n'empêche aucunement l'infâme Merteuil, la pure Cécile ou la vertueuse Tourvel d'être également bien en vue et de connaître des évolutions marquantes.
Au final, ce manga a bien quelques petites limites, mais il s'agit surtout d'une adaptation très soignée et passionnée, permettant de redécouvrir (ou de découvrir) avec réussite le récit de Laclos, ici dans une édition intégrale à la qualité tout à fait satisfaisante.
D'abord paru début 2013 chez Soleil Manga dans son édition originelle en 2 petits tomes, le manga a ensuite été réédité en novembre 2017 dans la collection Classiques de l'éditeur, mais dans un format toutefois différent des autres titres de cette collection: à l'instar du manga Orgueil et préjugés de Po Tse paru chez l'éditeur fin 2016 lui aussi dans la collection Classiques, on a là une intégrale en grand format, avec vernis sélectif et dorures sur la jaquette, pour un rendu assez élégant. Ce pavé de plus de 370 pages reste facile à prendre en mains grâce à un papier léger, souple et sans transparence. L'impression elle, est d'honnête qualité, tandis que la traduction de Julie Gerriet se veut assez fidèle et précise malgré quelques écarts de langage (surtout dans la première moitié).
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient toujours pas le roman d'origine ou qui n'auraient vu ou lu aucune de ses nombreuses adaptations, l'oeuvre nous plonge dans le Paris de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, avant l'arrivée de la Révolution française, à une époque où la société est très cadrée, très stricte, très hiérarchisée, y compris pour les femmes qui ont beaucoup moins d'autorité que les hommes et doivent souvent suivre leurs règles. La Marquise de Merteuil, elle, est une femme noble qui ne s'entend pas vraiment dicter sa conduite, et qui, tout en soignant son image publique, prend plaisir à défier la société pudibonde en s'adonnant à l'art du libertinage, dans tout ce qu'il peut avoir de plus vicieux, quitte à briser des vies... Alors quand elle repère la jeune Cécile de Volanges, pure et douce adolescente sur le point d'être livrée à la société via un mariage qu'elle n'a pas choisi alors même qu'elle est amoureuse d'un autre homme, le chevalier Danceny, Merteuil élabore un stratagème: convaincre le Vicomte de Valmont, un homme lui-même libertin et dont la réputation est déjà salie, de séduire Cécile et de la faire tomber dans la luxure. Valmont a beau s'intéresser à une autre femme, la vertueuse et mariée présidente de Tourvel, le petit jeu est trop tentant, si bien qu'il accepte. C'est là le début d'un engrenage infernal dont la conclusion, au bout de nombreuses stratégiques et manipulations, ne pourra qu'être fatale pour chacun des personnages...
Saito avoue être tombée amoureuse de l'oeuvre tout d'abord en voyant le film de 1988, qui est devenu son film préféré, puis elle a poursuivi sa passion en lisant le roman d'origine qu'elle a tout autant adoré, mais aussi en parcourant nombre d'autres adaptations. Il s'agit donc d'une vraie passionnée de l'oeuvre, et cela se ressent énormément à la lecture, tant elle prend soin de rester très fidèle aux nombreux événements du roman (qu'elle suit à la lettre, le roman étant son support et non les adaptations) mais aussi à son atmosphère immorale et sulfureuse. Bien sûr, on notera quelques petites différences: la mangaka a décalé de six ans la date de l'histoire pour mieux faire un petit écho à l'arrivée de la Révolution française, elle a également décidé de préciser certains noms... et enfin, comme le nom de son manga l'indique, elle a souhaité mettre un petit peu plus l'accent sur Valmont, personnage bien souvent détestable mais qu'elle a voulu présenter un peu plus comme un héros. Mais concrètement, ces quelques différences ne changent quasiment rien au contenu, et finalement le plus grand changement est forcément d'ordre narratif.
En effet, comme déjà dit, l'oeuvre de Laclos est un roman épistolaire: à l'instar d'autres oeuvres connues comme Les Lettres Persanes de Montesquieu (je viens de vous rappeler des heures d'études au lycée ? Ne me remerciez pas), les échanges entre les personnages, et donc les avancées de l'histoire, sont présentées sous forme de lettres à travers lesquelles ils se répondent. Difficile d'adapter un tel procédé en manga, or Saito s'en sort très bien en ne le respectant évidemment pas à la lettre (sans mauvais jeux de mots). Tout en reprenant régulièrement l'essence épistolaire dans la plupart des échanges entre Valmont et Merteuil (puisque ce sont surtout eux deux qui communiquent par lettres dans le roman), elle adopte une narration somme toute plus classique et assez posée, au fil de laquelle elle retranscrit avec une certaine rigueur les nombreux échanges des personnages.
Ce procédé a toutefois une limite: si adapter fidèlement un roman si dense en environ 370 pages de manga était déjà un vrai pari, cela se ressent forcément ici, tant certaines pages peuvent être verbeuses en alourdissant quelque peu le rythme. Il ne s'agit toutefois pas de l'élément pouvant être le plus rédhibitoire: si Saito livre une copie très soignée où l'on ressent bien sa passion pour l'histoire d'origine, son dessin est parfois trop froid, voire un peu trop statique dans le découpage et les expressions. Ca reste toujours soigné, certes, et assez riche jusque dans les costumes élégants, mais a manque donc parfois un peu d'immersion, d'envolées et de tension.
Heureusement, les qualités du récit d'origine sont bel et bien là pour pallier ces quelques petites faiblesses. Ainsi, on retrouve et ressent bien toutes les manipulations et stratégies des personnages, que Laclos, dont on rappelle qu'il était surtout officier, pense comme autant de manoeuvres tactiques militaires ou de jeux sans morale. Les principaux personnages sont aussi suffisamment travaillés, et même si Valmont est sur le devant il n'empêche aucunement l'infâme Merteuil, la pure Cécile ou la vertueuse Tourvel d'être également bien en vue et de connaître des évolutions marquantes.
Au final, ce manga a bien quelques petites limites, mais il s'agit surtout d'une adaptation très soignée et passionnée, permettant de redécouvrir (ou de découvrir) avec réussite le récit de Laclos, ici dans une édition intégrale à la qualité tout à fait satisfaisante.