Tokyo Tarareba Girls Vol.1 - Actualité manga
Tokyo Tarareba Girls Vol.1 - Manga

Tokyo Tarareba Girls Vol.1 : Critiques

Tokyo Tarareba Musume

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 04 Septembre 2020

Figure incontournable du paysage féminin du manga au Japon, Akiko Higashimura aura malheureusement mis du temps à s'imposer dans notre pays. Akata, à l'époque de sa collaboration avec Delcourt, avait pourtant déjà essayé dès 2011 de lancer l'autrice en France avec le très bon Princess Jellyfish, oeuvre qui fut adaptée en série animée et qui a gardé sa niche de fans (largement méritée). Hélas, la fin de la collaboration entre Akata et Delcourt (devenu ensuite Delcourt/Tonkam) avait ensuite plombé l'oeuvre, Delcourt n'en ayant pas spécialement pris soin (quasiment 4 ans d'attente entre la sortie du tome 15 en octobre 2015 et celle simultanée des deux opus en juillet 2019...). Heureusement, fin 2018 un autre éditeur, Le Lézard Noir, nous a fait l'excellente surprise de lancer dans nos contrées le passionnant récit historique Le Tigre des Neiges, oeuvre qui n'a pas manqué d'empocher notre 2e Tournoi Seinen 2018 ainsi qu'un fauve au FiBD d'Angoulême, signant enfin une meilleure reconnaissance de cette grande artiste en France. Et en cette période de rentrée, l'actualité française autour de Higashimura est plus belle que jamais, toujours grâce au duo Akata/Lézard Noir (qui, en prime, ont la très chouette idée de se faire de la pub mutuelle pour les oeuvres de mangaka, ça fait vraiment plaisir à voir). Ainsi, tandis qu'Akata a lancé la semaine dernière l'excellent récit autobiographique Trait pour trait, Le Lézard Noir nous amène cette semaine non seulement le 6e opus du Tigre des Neiges, mais aussi le premier tome de Tokyo Tarareba Girls.

Tokyo Tarareba Girls, c'est tout simplement l'un des mangas cultes de l'autrice dans son pays d'origine. Dessinée de 2014 à 2017 pour le magazine Kiss de Kôdansha (le magazine de Princess Jellyfish, Perfect World, Nodame Cantabile...) sous le nom Tôkyô Tarareba Musume, ce titre bouclé en 9 volumes a ausis fait du bruit hors du Japon, en remportant en 2019 aux USA l'Eisner Award dans la catégorie "Best U.S. Edition of International Material-Asia", entre autres choses. La série fut adaptée en 2017 en drama dans son pays, et elle a connu plusieurs dérivés manga toujours dessinés par Higashimura: en 2017 Tôkyô Tarareba Musume Bangai-hen: Tarare Bar (histoire courte), en 2018 Tokyo Tarareba Musume Returns (autre histoire courte), et depuis 2019 Tokyo Tarareba Musume Season 2 (toujours en cours).

Nous voici en 2014, l'année où Higashimura a commencé à dessiner ce manga donc. Tandis que l'organisation des Jeux Olympiques vient juste d'être donnée à Tokyo, la dénommée Rinko vaque à ses habituelles occupations: quand elle n'effectue pas son travail de scénariste freelance de webséries depuis son bureau d'un immeuble vintage d'Otomesando (un quartier chic de la capitale, dont l'avenue principale est même surnommée les "Champs-Elysées de Tokyo"), elle fait les 400 coups avec ses deux fidèles amies du lycée, Kaori (qui tient un salon de manucure) et Koyuki (fille unique d'un patron de bar). Toutes trois trentenaires et célibataires, elles se murgent volontiers tout en se gavant de laitance de morue ou de foie, et en parlant de leur quotidien. Pendant l'une de ces soirées, suite au "retour en force" d'un ancien prétendant de Rinko qu'elle trouvait ringard il y a 10 ans mais qu'elle commence à trouver classe aujourd'hui, la conversation des trois femmes tourne plus que jamais autour du mariage, une chose qu'elles ont négligées ou rejetées pendant des années, mais auxquelles elles commencent à penser, se disant qu'il faut qu'elles soient casées d'ici les J.O. de 2020, avant d'avoir 40 ans ! Mais n'est-il pas déjà trop tard pour elles ? Entre des jolies petites jeunettes qui arrivent avec plus de "fraîcheur" qu'elles, une grosse désillusion risquant d'abattre Rinko, et surtout la présence dans leur bar fétiche d'un client régulier qui leur envoie ses 4 vérités à la figure parce qu'elles parlent trop fort comme des vieilles commères à base de "y a qu'à - faut qu'on", les trois amies si longtemps indépendantes risquent fort de se confronter au fait qu'elles ont laissé passer leur chance... Il va donc falloir sérieusement se réveiller si elles ne veulent pas finir leur vie toutes seules !

Des récits sentimentaux où des femmes recherchent l'amour, quoi de plus classique ? En effet. Mais pas avec Akiko Higashimura ! Car en nous plongeant dans le quotidien de trois trentenaires loin d'être parfaites, la mangaka nous offre un portrait de la chose bien moins idéaliste, et bien plus réaliste, si tant est que l'on excepte le cadre un peu luxueux (avec ce quartier d'Otomesando, ses bijoux et fringues de luxe...) qui ne parlera pas forcément à tout le monde même s'il se prête très bien au récit (d'autant que Higashimura a régulièrement un fort goût pour la mode dans ses récits). Rinko, Kaori et Koyuki ont leur charme, ça oui, mais leurs exigences élevées (Rinko avait envoyé bouler le très gentil et sincère Hayasaka dix ans avant car elle le trouvait ringard et chiant), leur travail, leur désintérêt pour le mariage, et leur conviction pendant des années qu'elles ont encore le temps devant elle, font que ce temps en question est bien passé et qu'à 33 ans elles se complaisent dans leur joyeuses soirées alcoolisées sans rien de plus. De ce fait, essentiellement à travers les différentes désillusions de Rinko dans ce premier tome, la mangaka nous immisce dans une difficile prise de conscience de ces femmes, comme un "état des lieux" de leur vie jusqu'à présent.

Le tout se fait sur un ton résolument moderne, que ce soit pour le cadre ou pour ce que les trois miss véhiculent jusque dans leurs petites imperfections ou dans leurs petites activités comme tout un chacun peut en avoir. Il faut les voir s'emporter dans leurs soirées alcoolisées, se crisper face aux mignonnes petites jeunettes au look parfois trop spécial pour elles (mais c'est aussi la preuve que l'époque évolue, et qu'elles sont peut-être déjà dépassées), mais aussi prendre conscience qu'elles ne sont plus des jeunes filles, qu'à force de repousser certaines choses ou de les prendre de haut/de loin elles sont passées à côté... Autant de remises en question crédibles, dans lesquelles un paquet de trentenaires célibataires (et pas uniquement des femmes) pourraient éventuellement se reconnaître, et qui paraissent d'autant plus vraie que l'autrice, comme elle l'explique dans sa postface, s'est beaucoup inspirée d'anecdotes obtenues auprès de ses amies célibataires. Seule petite nombre éventuelle au tableau: le fait que Key soit comme par hasard un jeune mannequin hyper beau gosse.

A cela, il faut ajouter le style unique d'Akiko Higashimura, à commencer par son style visuel toujours plein de peps, où chaque héroïne a bien sa propre allure. Mais c'est surtout par sa narration enlevée et pleine de petits blablas que la mangaka brille, ainsi que pour ses nombreux élans d'inventivité, à l'image de ses différentes métaphores visuelles soulignant de façon forte et drôle l'état d'esprit de Rinko face aux épreuves (immeuble qui explose, sol qui s'effondre sous ses pieds, match de baseball...). La mention spéciale reviendra aux deux "confidents intérieurs" de Rinko, Yaka ("Y a qu'à") la laitance de morue et Fokon ("Faut qu'on") le foie qui parlent, le genre de petit délire qui nous rappelle un peu l'adorable méduse Clara de Princess Jellyfish.

Soulignosn asis la très chouette postface de la mangaka. Higashimura est une artiste habituée à ne pas vraiment avoir sa langue dans la poche, et c'est tant mieux. Ici, en plus de parler des influences de son entourage, elle évoque volontiers sa propre expérience du mariage, sa vision de la chose qui en découle...

Enfin, tout ceci est servi dans une édition largement à la hauteur, et qui doit vraiment beaucoup à la traduction de Miyako Slocombe, traductrice habituée aux oeuvres de Higashimura puisqu'elle s'occupe aussi du Tigre des Neiges et de Trait pour trait. Celle-ci livre un copie très vive et enlevée, avec un langage bien naturel et fleuri quand il faut, et un lot de bonnes petites inspirations (Yaka et Fokon en tête) totalement dans le ton de la mangaka. Si elle n'est pas en lice au prochain prix Konishi de la traduction, ce serait vraiment étonnant. A part ça, Le Lézard Noir livre son habituel grand format souple, avec une bonne qualité de papier et d'impression et un lettrage soigné.

Au bout du compte, Tokyo Tarareba Girls débarque dans notre langue en n'ayant pas volé sa réputation: Akiko Higashimura livre le début d'un portrait de trentenaires célibataires capable d'être aussi drôle qu'inventif, un peu excessif ou réaliste, ce qui nous promet le meilleur pour la suite.
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs