Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 09 Juillet 2024
Takemichi fait face à Mikey dans un ultime duel. Le chef du Kanto Manjikai est sur le point de libérer ses pulsions noires, et c'est ce moment que choisit Haruchiyo pour dévoiler la vérité sur le précédent voyageur temporel responsable de l'état de Manjiro Sano : Shin'ichiro lui-même.
Conclure une série est très certainement un exercice complexe pour un auteur, d'autant plus quand son œuvre a gagné une notoriété mondiale. Pour le lecteur, découvrir une telle conclusion est aussi une expérience à part. Difficile de contenter tout le monde, et encore plus quand l'achèvement proposé amène des tournures inattendues et des tons drastiquement différents de ceux appréciés dans l'œuvre jusqu'à présent.
Le dernier arc de Tokyo Revengers a permis à son auteur d'innover l'exploitation des pouvoirs de Takemichi, ce qui pouvait surtout ressembler à un moyen de renouveler le suspense de l'intrigue. Mais est-ce que le lecteur s'attendait à des révélations denses autour de ces dons de voyage dans le temps ? Pas forcément, et c'est pourtant la voie que Ken Wakui choisit pour conclure la bataille finale, et par conséquent son intrigue. On pouvait imaginer une fin par les coups de poing et dans le sang, où l'amour et la raison seraient les armes ultimes pour sortir Mikey des ténèbres.
C'est le cas, en petite partie. Car le point d'orgue vient surtout du flashback autour de Shin'ichiro Sano, le grand-frère de Mikey et fondateur du Black Dragon, qui donne un tout nouveau point de vue sur l'ensemble des événements. À ce titre, Wakui joue un vrai coup de poker qui donne à son manga phare son ultime intensité, avant que le dernier rebondissement soit apporté de manière à mettre un point final à l'aventure. Dans ce parti-pris de mettre le fantastique au cœur du dénouement, chacun sera juge. Lors de la prépublication, les avis furent très critiques envers les choix de l'auteur. Une interview de Ken Wakui par Jérôme Lachasse, fraîchement publiée sur BFMTV, dévoile que l'auteur a dû prolonger son histoire, en partie grâce à (ou à cause de) son grand succès. Difficile de savoir si la pression éditoriale a mené à ces choix, tout en sachant que la tournure optimiste de la fin était chose prévue depuis le départ. Il y a donc un choix délibéré qui ne résulte pas d'un manque de maîtrise de l'œuvre par son artiste, ce qui rendra sans doute cette conclusion encore plus clivante.
Il est donc difficile d'établir une critique objective sur la fin de Tokyo Revengers. Celle-ci paraît emplie de facilités, vient créer une rupture dans la nervosité de la bataille entre Tokyo Manjikai et Kanto Manjikai, joue dans un surnaturel qu'on n'aurait jamais pensé si prononcé et remet en perspective bien des éléments de l'œuvre de par l'importance de Shin'ichiro Sano. Paradoxalement, ces choix viennent créer une mythologie intéressante, si bien qu'une autre œuvre jouant sur ces mécaniques de voyages temporels, dans un cadre différent, pourrait être pertinente. Mais en ce qui concerne le microcosme de la série, on pourra comprendre les frustrations engendrées par un tel point final, ne serait-ce par son caractère hâtif et des choix parfois de mauvais goût, même s'ils peuvent être contrebalancés par l'esprit chevaleresque des héros. Plus que beaucoup d'autres, la fin de Tokyo Revengers a de quoi faire couler de l'encre. Pour autant, cela n'empiètera pas sur notre expérience globale et sur ces plus de cinq années de publication française qui nous seront globalement régalée, en plus d'avoir joué un rôle fort dans la démocratisation du furyo manga chez nous.
Notons que Ken Wakui a déjà repris le crayon pour un autre manga : Negai no Astro (traduit à l'international par Astro Royale). Cette fois publié dans le Shônen Jump, celui-ci couple de nouveau l'univers des malfrats avec des concepts surnaturels, exception faite de pouvoirs qui semblent bien plus assumés dans un scénario post-apocalyptique différent du cadre parfois tranche de vie aux côtés d'un groupe de voyous adolescents. Étant donné le succès de Tokyo Revengers chez nous, il serait étonnant de ne pas voir cette nouvelle œuvre publiée en France. On restera donc curieux de retrouver Ken Wakui sur une nouvelle histoire et aux côtés de personnages différents. Concernant son œuvre phare, un prolongera le plaisir durant un petit moment encore, notamment grâce au très bon spin-off "Letter From Keisuke Baji", et par la suite de l'anime qui nous fera revivre ce final clivant.