Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 10 Novembre 2023
Shinji Mito a une carrière balbutiante, ce qui ne l'empêche pas d'être un auteur assez présent dans nos contrées depuis plus de deux ans. Panini nous fait découvrir l'artiste avec Alma, dystopie SF en 4 tomes, avant que Pika ne publie Ex Nihilo, sa première série et récit d'action SF en deux tomes.
Récemment, Shinji Mito a conclu au Japon son troisième manga : Atarashii Kimi he. C'est sous le titre "To A New You" que Panini l'édite chez nous dès ce mois de novembre 2023, prouvant son attachement à l'auteur. La série étant la plus longue de la carrière de l'artiste avec ses 6 tomes, il y a de quoi être au moins curieux, tandis que le postulat de base pourra apporter un certain scepticisme qui a son intérêt dans la découverte du premier tome.
L'intrigue se déroule au Japon, en 2014. Satoru Sakuma est un professeur de sciences assez quelconque, dont le mariage semble être tombé dans une routine ennuyeuse. Alors qu'il surprend sa femme aux bras d'un autre homme, ce qui s'avèrera n'être qu'un immense quiproquo, Satoru décide de fuir à travers le Japon. Dans ses pérégrinations, il fait la rencontre d'une demoiselle à laquelle il se confie, leur relation allant jusqu'au flirte, jusqu'à ce que l'homme renonce à une relation sexuelle par sa volonté de rester fidèle à son épouse, malgré le malentendu avec cette dernière. De retour chez lui, Satoru retrouve sa routine et semble même se rapprocher de sa femme. Mais son quotidien prend un autre tournant lors de la rentrée scolaire, quand le professeur découvre l'une de ses nouvelles élèves : Aki Aioi. L'adolescente n'est autre que la fille avec laquelle l'enseignant a failli coucher, et force est de constater que la concernée compte bien mettre le grappin sur son professeur, en dépit de tout sens morale...
Et effectivement, une très grosse part de ce volume d'introduction se dédie à cette relation très particulière entre Satoru, un homme mûr et accompli, avec son élève qui transpire la fougue de l'adolescence. Chez elle, on sent une certaine effervescence et le modèle amoureux d'une jeune fille éprise d'une sorte de modèle adulte. Shinji Mito a bien conscience du souci éthique derrière ce pitch, puisqu'il ne manque pas de développer le protagoniste à travers plusieurs réflexions, des introspections comme des tentatives de calibrer son statut avec son élève. À côté, Aioi est beaucoup plus désinvolte, tantôt touchante et tantôt espiègle. On ne sait jamais vraiment sur quel pied danser avec elle, chose totalement volontaire tant ces premiers instants de "To A New You" se nimbent dans une ambiance mystérieuse, voire grave. Pourtant, la notion de jeu interdit est bien là, et tout est mis sur les épaules d'une lycéenne qui apparaît presque comme une veuve noire pour son enseignant. Et malgré la conscience du récit pour les aspects problématiques posés, on reste partagés entre curiosité et scepticisme aux termes de ce volume, sans savoir vraiment où se positionner.
La force véritable de l'ouvrage vient de sa manière à créer un climat lourd tout le long du titre, en plantant en filigrane un cadre qui semble totalement aux antipodes de la romance dramatique. C'est même dès le départ que l'intrigue plante des éléments de mystère, que ce soit par rapport à la fille qui apparaît dans les rêves de Satoru, l'étrange comportement d'Aioi qui semble connaître son professeur bien plus qu'elle ne le laisse croire, mais aussi la sous-intrigue d'une épidémie qui prend une telle importance qu'elle en devient un vrai point de suspense sur les dernières pages. En tenant compte de ces éléments, on se questionne sur les ambitions de Shinji Mito. Ce dernier semble sur le point de faire basculer son histoire dans un tout autre registre. On pourrait même imaginer sur le postulat de base, très sensible, qui pourrait cacher des vérités qui feraient sortir "To A New You" de cette sorte de zone problématique. Pour ces raisons, il y a de quoi être intrigué par l'idée de lire au moins le deuxième volume. Car si Panini a publié les deux premiers tomes en simultanée, ce n'est sans doute pas un hasard. Mais si jamais la suite parvient à totalement détourner les enjeux problématiques du début de l'histoire, pourra-t-on pardonner au mangaka d'avoir voulu jouer avec notre sens de l'éthique ? Sur ce point, chacun sera le juge.
Côté édition, Panini livre une très belle copie, notamment par une couverture métallisée rosée du plus bel effet, preuve que les petits plats sont mis dans les grands pour Shinji Mito. Pour rappel, Alma profitait aussi de couvertures avec un certain relief, pour en faire de jolis ouvrages.
On saluera aussi la traduction de Guillaume Mistrot, assez habile pour entretenir le climat presque inquiétant de ce premier tome, ainsi que les personnalités ambiguës de la jeune Aioi.