Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 03 Septembre 2024
Chronique 2 :
"Pourquoi as-tu tant envie de mourir ?"
Après l'avoir encore protégée d'une nouvelle attaque de yôkai où Hinako ne semblait à nouveau pas faire grand cas de son propre sort, la sirène Shiori a fini par poser cette question fatidique à sa proie. Un peu déboussolée puisqu'elle avait toujours pris soin jusque-là de cacher le plus possible son profond mal-être et son désintérêt pour la vie, l'adolescente choisit alors de se confier en cette créature à l'apparence humaine, qu'elle voit comme son futur salut pour enfin en finir avec cette existence qui ne semble rien lui apporter de bon. Et cela donne lieu à un tout début de volume particulièrement. En effet, si l'on connaissait déjà les grandes lignes du profond mal-être de Hinako via le tome 1 qui était assez introspectif sur elle, le choix de la jeune fille de se confier un peu plus à Shiori n'est pas anodin, non seulement car ça traduit bien ce qu'elle voit en cette sirène à la fois terrifiante et peut-être salutaire pour elle, mais aussi parce que cela permet à Sai Naekawa d'apporter des précisions plus claire sur les circonstances de la disparition tragique de ses parents et de son frère. Enfin, l'autrice s'applique aussi, soigneusement, à nous faire comprendre pourquoi la jeune fille, alors qu'elle ne pense qu'à mourir, ne s'est jamais tuée elle-même, en vivant alors depuis tout ce temps son obligation de vivre comme une sorte de malédiction.
Toute cette séquence, sans avoir besoin de traîner en longueur, s'avère très bien menée et soigneusement écrite, tant Hinako sonne juste jusqu'à présent dans tout ce qu'elle peut ressentir à l'égard de son passé traumatisant et de la vie de manière générale. Dans ce contexte où elle n'a jamais été heureuse, l'adolescente n'oublie toutefois pas tout ce qu'a pu lui apporter son amie d'enfance Miko, qui a toujours été là pour elle et qui fut la seule à ne jamais changer à son égard. Mais même là, de nombreux faux-semblants risquent bien de se révéler, suite à deux éléments: le choix de Hinako de taire certaines choses à Miko par amitié, et le désir de Shiori d'en découvrir plus sur cette jeune fille qui n'est peut-être pas tout à fait ce qu'elle semble être. A partir de là, il est difficile d'en dire plus sans spoiler, donc économisons nos mots afin de ne pas trop en dire, et soulignons simplement deux choses. Premièrement, la façon dont la mangaka évite soigneusement de tomber dans un poncif simpliste (à savoir la jalousie de l'amie d'enfance), car la situation se révélera plus complexe. Deuxièmement, tout ce que l'on découvre au sujet de Miko, l'adolescente si pétillante et positive cachant donc elle aussi un paquet de choses plus ou moins surprenantes mais qui convergent toutes habilement vers Hinako et vers le douloureux drame qui a brisé sa vie. Non seulement l'autrice fait preuve d'un vrai souci de cohérence via les petits détails anodins du tome 1 (en tête, la raison pour laquelle Miko est si souvent malade), mais en plus elle souligne avec une certaine puissance émotionnelle le background de Miko, une figure dont l'ambiguïté n'a rien à envier à celle de Shiori, pour un résultat d'autant plus captivant et intrigant.
Définitivement sur de très bons rails après deux volumes, ce début de série peut, en plus, à nouveau compter sur le travail visuel et narratif d'une mangaka qui n'est pas en manque d'idées de ce côté-là. On peut souligner l'aspect toujours assez littéraire (que la traductrice rend décidément très bien), ainsi que certaines séquences particulièrement bien découpées et mises en scène, ne serait-ce que le bref flashback du début du chapitre 8 qui fait bien ressortir la solitude de Hinako. mais ce qui marque le plus, ce sont bien, toujours, les références, métaphores et autres allusions, aussi graphique que littéraires, à l'eau, ce qui a d'autant plus de sens quand on pense à la façon dont la famille de Hinako a disparu, au sentiment que cette dernière se noie dans ses traumatismes et dans un deuil qu'elle n'arrive pas à faire, et enfin aux origines marines de Shiori.
L'aspect intrigant et réussi du premier tome n'était donc pas un leurre: après la phase de mise en place soignée, This monster wants to eat me s'affirme et décolle même avec ce deuxième tome, que les éditions Meian ont vraiment bien fait de publier en simultané. Le concept est intrigant et jusque-là efficacement dirigé, les personnages sont pour le moment très bien écrits, l'atmosphère teintée de spleen et de mélancolie reste bien présente et assez travaillée, la mangaka ne manque pas d'idées narratives et visuelles pour porter son oeuvre un cran au dessus... En somme, parmi les nombreuses nouveautés de cet été au sein de la collection Yuri de Meian, il s'agit d'une excellente surprise.
Chronique 1 :
Shiori a vu clair dans les intentions de Hinako : loin d'être attachée à la vie, sa proie cherche à mourir et semble attendre la Faucheuse avec impatience et quiétude. Mais pourquoi ? En se livrant, Hinako ne s'attendait certainement pas à ce que sa nouvelle amie, et prédatrice, lui apporte la réponse qui apaiserait son cœur...
Après un premier volume plaisant par sa mélancolie ambiance et son pitch à la fois doux-amer et sordide, la série phare de Sai Naekawa va bien plus loin dans un second opus qui, loin de se contenter des intentions de base de l'œuvre, vient pousser celle-ci vers des sentiers que nous n'attendions peut-être pas.
Pourtant, le début de la lecture est fidèle à nos attentes, puisque le passage du feu d'artifice s'achève sur une concrétisation du passé de Hinako tandis que l'étonnant équilibre glauque entre elle et Shiori atteint un degré assez étonnant. La psychologie de l'héroïne est plus nébuleuse que jamais, celle-ci étant désormais partagée entre la volonté d'être heureuse et celle de mourir, pour un mélange de tons bien particulier, mais qui fait son effet.
Dès lors, le lecteur s'attendait peut-être à ce que la suite reste dans cette mélancolie couplée à un parcours de vie qui permettrait à la protagoniste de surmonter son passé, mais le programme proposé par l'autrice est assez différent, et particulièrement alléchant. Sans trop en dire, c'est le personnage de Miko qui prend une densité nouvelle. La meilleure amie de Hinako sort de ce simple rôle passif pour montrer une autre facette d'elle, à travers une "confrontation" particulièrement intense, qui nous fait languir de sa finalité jusqu'au bout, et qui permet à folklore introduit par Sai Naekawa de prendre une autre dimension. Il est plaisant de voir que les mythes que réinterprète l'artiste prennent davantage d'ampleur, que ce soit par rapport au scénario ou à l'égard des messages développés en filigrane. Ainsi, la quête de deuil de Hinako pourrait prendre un tout autre jour, tandis que le récit se dote de promesses nouvelles. De là à penser que ces enjeux pourraient être encore poussés plus loin par la suite, il n'y a qu'un pas. Et si la mangaka pouvait tomber dans une certaine facilité du manga fantastique, sa capacité à garder le doux-amer de son récit prouve la belle maîtrise de ce début de récit.
Il fallait donc lire les deux premiers opus pour comprendre pleinement les capacités de l'œuvre. Et force est de constater que "This Monster Wants to Eat Me" est déjà une belle surprise, étonnante dans son atmosphère, à l'univers bien trouvé et dont le terrain a de la place pour une suite aux nombreuses possibilités. On attendra la suite avec une grande curiosité !