This Monster Wants to Eat Me Vol.1 : Critiques

Watashi wo Tabetai, Hitodenashi

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 30 Août 2024

Chronique 2 :


S'enrichissant considérablement pendant cet été 2024 avec pas moins de sept lancements, la jeune collection Yuri des éditions Meian accueille en ce mois d'août les deux premiers volumes de This monster wants to eat me. Techniquement, et comme d'autres séries de la collection, cette oeuvre n'est pas vraiment un yuri, mais plutôt un seinen aux accents shôjo-ai puisqu'elle est prépubliée au Japon dans le Dengeki Maoh d'ASCII Mediaworks/Kadokawa, magazine estampillé seinen dont proviennent aussi plusieurs séries bien connues en France comme Spice & Wolf, Sword Art Online Alternative - Gun Gale Online, Persona 3 ou encore Les Promeneuses de l'apocalypse. En cours depuis 2020 sous le titre original "Watashi o Tabetai, Hitodenashi" (dont le titre anglais de la version française a un sens assez proche) avec huit tomes parus à l'heure où ces lignes sont écrites, il s'agit de la première publication française et de la toute première série de la carrière de Sai Naekawa, une mangaka qui, depuis, a aussi conçu quelques autres histoires, en ayant participé à une anthologie collective sur Yuri Is My Job!, et en ayant démarré l'année dernière l'adaptation manga du light novel Koukyuu Ichiban no Akujo.

L'action prend place dans une petite ville nippone calme de bord de mer qui est fictive, mais pour laquelle l'autrice avoue dans sa postface s'être directement inspirée de son bourg natal, situé quelque part sur la côté de la mer intérieure de Seto, dans la préfecture d'Ehime sur l'île de Shikoku. C'est là que réside Hinako, une adolescente enfermée dans une spirale de mélancolie depuis la mort soudaine de ses parents et de son frère quelques années auparavant. Visiblement un peu délaissée par sa tante qui l'a prise en charge depuis ce drame, et malgré tout le soutien que lui montre sa pétillante meilleure amie Miko, la jeune fille ne trouve rien de bon dans son existence: ses souvenirs traumatisants la hantent toujours, année après année, si bien qu'elle est incapable de profiter de choses normalement joyeuses qui lui rappellent les moments tristes, à commencer par l'été de manière générale puisque c'est lors de cette saison que sa famille a disparu.

"Depuis ce jour, c'est comme si mon coeur avait sombré dans les profondeurs de l'océan."

C'est pourtant au coeur de l'interminable saison estivale que Hinako fait une rencontre qui risque de bouleverser sa vie et qui est on ne peut plus surprenante: alors qu'elle semble (pour son plus grand plaisir) proche de mourir dans les eaux, la jeune fille est secourue par Shiori, qui ne l'a toutefois pas sauvée par pure bonté: cette étrange fille est effectivement une sirène, et elle est là dans une but bien précis. En effet, la chair et le sang de Hinako auraient pour rare spécificité d'être attirants pour tous les yôkais, qui se verraient alors bien la goûter (c'est bien pour ça que, assez vite dans ce tome, on ressent que des dangers planent souvent sur notre héroïne). Et si Shiori a décidé de la sauver, c'est précisément pour elle-même dévorer l'adolescente le jour où sa "viande" aura atteint le degré de maturité idéal. A partir de là, la sirène fera tout pour protéger Hinako des dangers et pour rendre sa vie moins pénible, car pour avoir un corps sain il faut aussi que la jeune fille ait un esprit plus sain. Et l'idée de savoir qu'un jour Shiori la dévorera semble faire ni chaud ni froid à Hinako, dont l'unique désir depuis ces dernières années est que l'on mette fin à son existence complètement vide...

Derrière un volume de mise en place assez classique dans son déroulement (l'installation de Shiori auprès de Hinako, l'arrivée de la sirène à apparence humaine en tant que nouvelle élève du lycée, les premiers petits élans de jalousie de la très pimpante et positive Miko en voyant sa meilleure amie être approchée par la nouvelle venue...), Sai Naekawa intrigue déjà assez autour de l'avenir qui sera réservé à Hinako et à sa relation nouvelle avec Shiori, tant la mangaka s'applique déjà à plutôt bien jouer sur l'ambiguïté de la sirène, cette dernière pouvant être aussi gentille et hypnotique que terrifiante et presque horrifique, d'autant plus quand on a bien conscience de tout ce que la situation pourrait finir par impliquer: Shiori ne verra-t-elle toujours Hinako que comme son futur repas, ou y aura-t-il un attachement plus profond et sincère ? Hinako aura-t-elle toujours envie de se laisser dévorer si jamais la sirène parvenait vraiment à embellir son existence et à finalement lui redonner l'envie de vivre ?

En attendant de le découvrir sur la longueur, ce qui marque assurément le plus dans ce début de série, c'est la forte atmosphère de spleen, de mélancolie et de désintérêt pour l'existence qui découle de Hinako, quand bien même Miko se montre quasiment toujours là pour elle avec son côté plus joyeux. Hinako ne montre aucun intérêt pour sa vie, a pour l'instant plus envie de disparaître qu'autre chose, est en profond mal-être... Et pour bien marquer cela, l'autrice dégage quelque chose d'assez baudelairien jusque dans certaines pensées assez littéraires de Hinako (la narration passant essentiellement par elle et ses pensées, tandis qu'on ne suit jamais celles de la mystérieuse Shiori) et dans quelques séquences où le beau se confronte au laid via la sirène (assez captivante quand elle est sous sa forme humaine, et plus inquiétante lorsqu'elle laisse apparaître des partie de son corps plus monstrueuses). Enfin, l'autrice a également pour qualité de vouloir apporter un aspect un brin poétique, surtout en jouant sur l'élément aquatique: certains effets d'eau (notamment des bulles) sont régulièrement là dans les visuels, et la mangaka emploie pas mal de métaphores et d'allusions liées à l'eau, à l'océan, à la mer.

Il faut désormais voir comment la mangaka compte développer les choses après cette phase de mise en place, et pour ça la sortie simultanée du tome 2 est sûrement une bonne idée. mais sur ce seul premier opus, au moins une chose est sûre: Sai Naekawa soigne beaucoup son atmosphère teintée de spleen profond, d'éléments aquatiques et d'ambiguïté autour de l'insaisissable sirène, pour un résultat assez fascinant et immersif.

Côté édition, la copie proposée par Meian est convaincante: la jaquette est très fidèle à l'origine japonaise, le logo-titre est sobre et propre, les trois premières pages en couleurs sur papier glacé sont très jolies, le papier est agréable bien qu'un peu trop transparent par moments, l'impression est très correcte, le travail de lettrage et d'adaptation graphique du Studio Carrieres est très correct, et la traduction effectuée par Leonore Carrascosa sonne très juste, notamment pour retranscrire l'état d'esprit de Hinako et le côté assez littéraire et métaphorique de certaines de ses pensées.



Chronique 1 :


Depuis quelque temps, l'éditeur Meian accorde une importance toute particulière à sa jeune collection Yuri, si bien que pas moins de cinq nouvelles séries ont été lancées sur la période de juillet - août. Des œuvres aux tons variés, complémentaires avec les titres déjà disponibles dans la collection, dont l'un qui peut faire office d'OVNI : "This Monster Wants to Eat Me".

En cours depuis 2020 dans la revue seinen Dengeki Maoh des éditions ASCII Mediaworks, l'œuvre a pour titre original "Watashi wo Tabetai, Hitodenashi" et dénombre à ce jour 8 volumes au Japon. Il s'agit de la toute première série de son autrice, Sai Nekawa, qui a aussi participé à la série d'anthologies "Lycoris Recoil : Reload" que nous pourrons lire prochainement.

Depuis qu'elle a vécu une vraie tragédie, Hinako n'a plus le cours de vivre. Bien qu'entourée d'amies, la lycéenne subit une existence morne, comme si elle était plongée dans les abysses. Alors qu'elle manque de se faire engloutir par une créature, un yokai, une jeune fille de son âge lui apporte son aide. Mais Shiori n'a rien d'une adolescente ordinaire. Elle est une sirène qui, derrière ce doux visage humain, cache celui d'un monstre qui souhaite préserver Hinako en vue de dévorer sa chair. Contre toute attente, cette nouvelle ne chamboule pas la demoiselle meurtrie...

Avec ce premier volume, Sai Naekawa nous offre un début de récit hybride, dans lequel la douceur du trait, des personnages et des métaphores visuelles viennent s'opposer à des enjeux presque sanglants. Dans ses grandes lignes, "This Monster Wants to Eat Me" a tout d'un drame sordide, mais c'est avec une certaine poésie que la mangaka développe l'amorce de son œuvre.

Car avant tout, il règne une mélancolie constante dans ce premier tome, ce grâce à sa protagoniste : Hinako. Cette dernière n'a plus l'envie de vivre, suite à une tragédie dont on devine les tenants et les aboutissants, bien que l'intrigue reste volontairement évasive à ce sujet. La noirceur de l'héroïne, on la ressent par les expressions indifférentes de son visage, par les traumas qui reviennent la hanter, et par la superbe narration de l'autrice qui présente la vue de Hinako de son existence par la métaphore de l'océan. La mer devient ainsi une figure à la fois rationnelle et irréelle, symbolisant le passé sombre de la demoiselle tout comme son état d'esprit nébuleux.

Une présentation du personnage central séduisante, donc, à laquelle vient se confronter Shiori dont l'apparente quiétude n'est qu'une façade, celle d'un monstre qui attend le moment propice pour se délecter de la chair de Hinako. C'est sur leur alchimie que l'autre part du cœur de ce début de récit va se jouer, tant la mangaka parvient à développer une relation assez unique, à la fois douce et terrifiante, par laquelle les discussions intimes entre les deux jeunes filles ne cachent jamais l'enjeu sanglant qui se cache derrière leur rapport. Dans cet aspect, le lecteur a de quoi être à la fois dérouté, mais aussi touché par cette union consentante, par laquelle Hinako pourrait en ressortie grandie... avant de servir de repas à son amie et prédateur. À ce stade, on peut se demander si l'issue sera, à terme, pleinement assumée, ou si la suite de l'intrigue portera la relation entre Hinako et Shiori vers de nouveaux sentiers. Car il est difficile de parler de romance ici, malgré l'alchimie très particulière entre les deux personnages principaux. La suite de la série peut-être nous surprendre ? C'est ce qu'on demande à voir. Dans tous les cas, son ambiance douce-amère et mélancolique aura de quoi nous porter pendant un bon petit moment, sans parler du trait de Sai Nakeawa, fin et plein d'idées pour dépeindre une narration toujours efficace pour sublimer l'atmosphère de ce premier volet.

Du côté de l'édition, Meian livre une copie conforme à ses standards, incluant un papier de qualité, une impression optimale, et une couverture mate d'un joli effet. Signée Leonore Carrascosa, la traduction semble sans fausse note tant le texte français contribue énormément aux tons particuliers de ce début d'intrigue. Le studio Carrieres assure l'adaptation graphique, incluant un lettrage bien calibré et un logo sobre et efficace pour traduire les intentions du récit, tout en respectant la typographique originale.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

15 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
15.5 20
Note de la rédaction