Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 30 Août 2022
En cette année 2022, les éditions Kana semblent avoir décidé d'accentuer leur offre de créations originales françaises, tout d'abord avec un premier projet arrivé dans nos librairies en avril dernier: Sweet Konkrete. On doit ce manga à Senchiro, jeune auteur né en 1995 à Colombes. Après avoir fait plusieurs petits boulots puis s'être lancé en tant qu’illustrateur freelance, il fait la rencontre en 2018 de Timothée, éditeur pour les éditions Kana. Il envoie ensuite son dossier sur Sweet Konkrete à l'éditeur, aboutissant sur la signature d’un contrat. Et autant dire que Kana a eu à coeur de mettre la série en avant, notamment en lui offrant une prépublication hebdomadaire sur la plateforme Mangas.io !
Sweet Konkrete nous plonge dans la mégalopole de Cielazur, une cité fictive gangrénée par la corruption et par les secrets bien gardés. C'est dans cette ville qu'agit Asa, une policière tellement éprise de justice qu'elle emploie régulièrement des méthodes un peu trop radicale,s au grand dam de son supérieur ! Mais il faut dire que la jeune femme a, depuis toujours, quelque chose qui bout en elle: le désir de lever le voile sur la disparition nimbée de mystères de son père il y a bien des années, lui-même policier, et qui enquêtait alors sur la Citadelle, le ghetto de Cielazur bouclé depuis bien longtemps, dans lequel on ne peut pénétrer, et qui est censé n'avoir aucun contact avec le reste de la ville... Alors quand Asa met la main sur l'ancienne arme de fonction de son paternel et y découvre un étrange symbole gravé sur le canon, elle comprend qu'elle va devoir trouver un moyen de s'infiltrer dans la Citadelle afin de découvrir la vérité...
Une cité cachant des zones d'ombre, une citadelle inviolable, une héroïne battante et grande gueule qui fera tout pour percer le mystère de la Citadelle et de la disparition de son père... Les ingrédients de ce pitch de départ sont classique, mais sont typiquement de ceux qui ont tout pour offrir du bon divertissement, le récit de Senchiro n'ayant aucune autre ambition que cela. Mais fort heureusement, Senchiro va bien vite enrichir sa petite intrigue au fil de ce premier opus assez mouvementé, en particulier dès qu'Asa arrivera à pénétrer dans la Citadelle par l'intermédiaire d'un procédé surnaturel qui ne fait que renforcer la part de mystère.
On découvre donc la Citadelle en même temps que la jeune policière, et cela commence par l'immersion dans un ghetto anarchique où la loi du plus fort domine entre les différents clans des lieux, chacun devant survivre à sa manière entre les habitants plus simples qui font profil bas et celles et ceux qui luttent, notamment dans les conflits de territoire. Honnêtement, on touche là ce qui est peut-être la principale lacune de ce début de série: la mise en place des clans est si rapide qu'on ne les retient pas vraiment, même si l'on sent bien que c'est la règle du "sans foi ni loi" qui anime leurs velléités. En revanche, Senchiro accomplit fort bien l'essentiel en installant efficacement les deux autres visages voués à accompagner Asa dans ses péripéties: un mercenaire aussi ténébreux que malin, et une gamine aussi choupi qu'énergique utilisant son agilité pour s'en sortir. Contrairement à d'autres séries, ces trois héros sont très loin de se faire confiance pour l'instant, peuvent s'embrouiller, en particulier via le mercenaire Diego qui reste très ambigu pour l'instant, ce qui a le don de dynamiser encore plus les pages.
Mais puisque l'on parle de dynamisme, il va de soi que Senchiro l'entretien autant que possible tout du long via plusieurs éléments. On ressent, bien sûr, des influences cinématographiques, par exemple avec la flic fonceuse, ou via la scène de l'interrogatoire par Irène qui nous montre en parallèle ses questions à Asa et Diego et qui est un gimmick de pas mal de films policiers. Le système de clans dans la Citadelle, de son côté, a quelque chose de très mafieux, en rappelant en particulier les triades chinoises. Et en plus des côtés enquête, mafia et action, il y a aussi une part qui dénoterait presque avec la pointe de surnaturel via le portail, le pistolet, et surtout le concept d'Animalus qui devrait permettre des pouvoirs originaux mais qui n'est pas sans contreparties pour les personnages via les malus.
Côté visuels, malgré quelques moments d'action un brin fouillis qui nous rappellent bien qu'il s'agit de la première oeuvre de l'auteur, l'ensemble s'avère être assez pêchu. Les personnages ont tous un design bien reconnaissable avec parfois quelques originalités : Irène avec ses cheveux bichromiques, Grimm avec son costume de piaf, Kenotte avec sa dent pointue, Diego avec son bandana, les membres des clans avec par exemple celui qui a une banane... Mais c'est sûrement au niveau de ses décors que Senchiro mettra le pus de monde d'accord, car le fait est que l'on ressent sa passion pour le dessin de fonds, lui qui dessine entièrement seul. L'auteur avoue d'ailleurs dans sa postface que l'idée initiale de l'oeuvre lui est venue quand il s'est pris de passion pour un endroit qui n'existe plus aujourd'hui: la citadelle de Kowloon qui existait à Hong Kong jusqu'au début des années 1990, et dont l'architecture insolite et riche l'a captivé. Du coup, cela donne dans l'oeuvre un paquet de décors que l'on devine très minutieux: ruelles étroites bourrées d'enseignes et de néons, bâtisses achalandées sur plusieurs étages, canaux avec petits ponts... Et il est alors amusant de voir que Sweet Konkrete est publié par kana qui, justement, a dans son catalogue un manga mettant aussi Kowloon à l'honneur: le magnifique Kowloon Generic Romance de Jun Mayuzuki, que Senchiro nous a d'ailleurs avoué en interview avoir découvert avec délectation l'année dernière, en le considérant comme sa meilleure découverte manga de 2021 (ce qui est le cas de l'auteur de cette chronique également).
A l'arrivée, Sweet Konkrete ce présente comme une oeuvre pleine de promesse, les premiers abords assez classiques laissant peu à peu apparaître un récit rythmé avec quelques beaux élans visuels. On attendra la suite avec intérêt, en espérant qu'elle confirmera nos espoirs !