Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 23 Septembre 2024
Discrète depuis pas mal de temps, la collection Life des éditions Kana s'est offert, début septembre, sa toute première nouveauté de 2024, à savoir Smoking behind the Supermarket with You, une série qui arrive dans notre langue en étant auréolée d'une réputation assez flatteuse. D'abord lancée à compte personnel par son auteur Jinushi (dont ce fut la toute première série) sur twitter, l'oeuvre y a rencontré un tel succès qu'elle a ensuite été repérée par l'éditeur Square Enix, qui a décidé de lui offrir à partir de 2022 une prépublication dans son magazine Big Gangan ainsi qu'une parution en volumes brochés. Depuis, l'oeuvre suit toujours son cours à l'heure où ces lignes sont écrite, en confirmant sa solide popularité avec plus d'un million d'exemplaires vendus au Japon en 5 tomes, un prix au Next Manga Award catégorie web en 2022, et une nomination aux 16e Manga Taisho Awards en 2023.
Cette tranche de vie teintée d'humour et de romance nous immisce auprès de Sasaki, un employé de bureau tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Vivant seul à 45 ans, usé par le travail quotidien où il enchaîne les heures supp', il n'a que deux seuls petits plaisirs quotidiens: profiter du doux sourire et du visage angélique de la jeune et lumineuse Yamada, caissière à la supérette où il a ses habitudes, puis fumer une cigarette à la sortie du magasin après avoir fait ses courses. Le quarantenaire n'en demande pas plus: la lecture nous montrera qu'il n'est pas comme d'autres clients obsédés tournant autour de Yamada, qu'il n'a pas du tout mauvais fond, et qu'il n'a pas envie ni l'intention de s'incruster dans la vie d'une femme qui doit avoir une vingtaine d'années de moins que lui.
Les choses pourraient s'arrêter là, à ceci près qu'une "autre rencontre" va finir par chambouler un peu le quotidien bien huilé de Sasaki: un soir où il ne voit pas Yamada en service, le salaryman est invité par une jeune femme qui lui propose de fumer une cigarette ensemble, à l’arrière de la supérette. En cette fille disant s'appeler Tayama, qui bosserait aussi dans le magasin et qui a une façon d'être ainsi qu'un look totalement différents de Yamada, Sasaki n'imaginerait jamais que sa nouvelle partenaire de clope et la joviale caissière pourraient être la même personne... et pourtant, c'est bien le cas ! Alors, au fil de leurs nouveaux rendez-vous quotidiens de quelques minutes pour fumer ensemble derrière la supérette, une relation atypique commence à se bâtir entre le gentil et droit employé de bureau un peu benêt, et celle qui s'amuse volontiers à le taquiner un peu (surtout au sujet de Yamada ! ) en tâchant de ne jamais lui dévoiler sa vraie identité, comme pour mieux camoufler, peut-être, ce qu'elle pense vraiment de cet homme.
Au fil de ce premier tome où il faudra passer outre deux éléments qui pourraient rebuter une partie du lectorat (la différence d'âge très prononcée entre les deux personnages et où c'est comme souvent l'homme qui est le plus vieux, et la mise en avant de cette m***e qu'est la clope), on découvre un début de série sur lequel on a envie de dire qu'il s'agit un peu d'une sorte de Quand Takagi me taquine/Karakai Jozu no Takagi-san qui aurait level up pour arriver dans le monde adulte et dans le milieu du travail. En effet, l'essentiel de ce début d'oeuvre se résume à des retrouvailles entre les deux personnages principaux derrière la supérette pour leur pause cigarette, où il est surtout question pour la charismatique Yamada/Tayama de taquiner et de sonder un peu Sasaki, salaryman sans aucun doute exagérément benêt (franchement, ne pas du tout reconnaître qui est vraiment Tayama, ou ne même pas émettre l'hypothèse, alors qu'il y a littéralement 2-3 trucs qui changent dans le look de la jeune femme et qu'elle garde forcément la même silhouette et la même voix, c'est très gros). Et dans l'ensemble, sur ce premier volume ça fonctionne plutôt bien, non seulement parce que le dessin de Jinushi n'a pas d'autre prétention que de jouer soigneusement sur l'allure et l'expressivité de ses personnages, mais aussi parce que l'auteur fait assez bien appel à tout ce qui peut opposer ces deux-là, entre d'un côté un Sasaki qui a 45 ans, qui est sérieux/effacé dans sa personnalité, qui a l'allure typique du salaryman en costard-cravate et qui a des soucis potentiellement typiques de son statut et de son âge (travail en entreprise éreintant, méconnaissance des smartphones, vue qui commence à baisser...), et de l'autre côté une Yamada/Tayama qui est dans la vingtaine, qui a un look bien plus travaillé et une personnalité quand même plus affirmée.
Reste, alors, la question du renouvellement sur la longueur. En effet, Smoking behind the Supermarket with You est typiquement une série à concept qui, au fil des volumes, va avoir besoin de renouveler sa recette pour ne pas lasser, or pour le moment il n'y a pas grand chose qui indique de possibles évolutions réelles, tant les chapitres restent plutôt très indépendants. Il y a bien le cas de Gotoh, manager de la supérette et fan de romance, qui voit déjà quelque chose entre Yamada et Sasaki et qui permet d'instaurer plus concrètement cette possibilité d'évolution. Mais à part ça, c'est pauvre en terme de ligne directrice, le mangaka nous faisant même déjà le coup éculé du chapitre semblant amener une évolution importante avant que tout ne retombe comme un soufflé (oui, on pense ici au 16e chapitre, le dernier du tome).
A l'arrivée, sur ce seul premier volume Smoking behind the Supermarket with You se présente comme une tranche de vie qui, une fois les idées de départ acceptées, développe un petit capital-sympathie grâce à ce que que ses deux personnages principaux dégagent. Cependant, au vu de certains chapitres tournant déjà un peu en rond, on sent que Jinushi va devoir rapidement se renouveler un peu plus pour ne pas lasser. Dans l'immédiat, on est sur une lecture gentille et agréable sans plus, qui ne justifie pas encore sa popularité et ses prix/nominations, et dont on attend donc forcément davantage sur les tomes à venir.
Côté édition, enfin, la copie proposée par Kana est satisfaisante. Derrière une jaquette adaptant fidèlement l'originale japonaise tout en s'offrant un logo-titre bien dans le ton, on trouve un papier un petit peu transparent mais souple et de correcte facture, une impression convenable, un lettrage très soigné, une traduction propre d'Olivier Huet, et une première page en couleurs sur papier glacé pour bien démarrer la lecture.