Suburban Hell - Manga

Suburban Hell : Critiques

Kôgai Jigoku

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 12 Décembre 2023

Jamais avares quand il s'agit de mettre en avant en France des artistes de manga underground à la patte très personnelle, les éditions IMHO nous proposent, depuis le mois d'octobre dernier, de découvrir l'univers horrifique malsain, glauque et violent de Taro Kanafuro. Si cet auteur planche depuis 2019 sur sa première série d'horreur Mizugoi, on le découvre toutefois dans notre langue avec Suburban Hell, un recueil d'environ 190 pages qui est sorti au Japon aux éditions Leed en janvier 2022, et qui regroupe sept histoires (dont les deux dernières sont plus ou moins connectées) de 20-30 pages chacune qui furent initialement prépubliées à rythme mensuel, entre décembre 2020 et juillet 2021, sur le site Leed Café, un site laissant beaucoup de liberté créatrice à ses auteurs.

Les différentes histoire de Suburban Hell reposent, à la base sur trois fois rien, en partant d'une idée initiale assez simple sur le papier. On découvrira ainsi, tour à tour, un homme qui ne ressortira pas indemne d'une expérience de pornographie en réalité virtuelle, un autre homme se retrouvant pris à son propre piège en voulant agresser des prostituées contactées sur une application de rencontres, un père de famille se remémorant petit à petit un souvenir d'enfance qui se révèlera très sordide, une mère semblant perdre complètement pied en étant persuadée d'être surveillée par des ondes, un livreur effectuant d'étonnantes livraisons dans une ville infestée de sortes de zombies, et une cité où des ressentiments plus ou moins anciens risquent de commettre des ravages.

La plupart de ces récits n'ont pas l'air spécialement originaux à première vue, et pour cause: si l'on excepte 2-3 brèves notes surnaturelles (comme les zombies) qui semblent plus là pour servir d'allégories concernant certains aspects de notre société, ainsi que certains éléments plus cryptiques pouvant rendre un ou deux récits plus difficiles à cerner à la première lecture, ces histoires se veulent toutes encrées dans le réel, comme en témoignent d'ailleurs les décors et les designs de personnages qui se veulent réalistes. Et c'est précisément de ce réel que ressort toute l'horreur chez Kanafuro, puisque les sources du mal ici ne sont jamais d'ordre paranormal et proviennent bel et bien des humains eux-mêmes, de toute la folie et des horreurs dont ils sont capable. Le mangaka joue alors sur un paquet de tares découlant de la noirceur de l'âme humaine: il pourra tour à tour être question de meurtres comme exutoire face aux pressions, de prostitution, de pédophilie ayant laissé des séquelles à la victime au fil des années, de paranoïa, de maltraitance parentale... La volonté de l'artiste étant d'être assez jusqu'au-boutiste dans ses représentations visuelles de ces horreurs.

En effet, si l'on a dit précédemment que Kanafuro propose une base très réaliste dans ses dessins au niveau des décors et des designs de personnages, c'est ensuite pour mieux y insuffler nombre de choses plus glauque, et c'est précisément en mariant le réalisme et le glauque que l'auteur obtient son horreur. Il y a une violence viscérale puisque rien n'est occulté (la décapitation en plein ébat sexuel dans le chapitre 1 devrait suffire pour vous en convaincre), un rendu très noir et dense, des cadrages faisant tout pour rendre malsains les visages et même certains éléments de décor (oursons en peluche en tête), quelques variations de style troublantes, quelques déformations de cases nous plongeant bien dans les tourments psychologiques et troubles psychiques de certains personnages...

Tout est fait par Taro Kanafuro pour que l'on ne ressorte pas indemne de la lecture, et dans cette optique le contrat est rempli. Bien que certains récits, peut-être à cause de leur brièveté, donnent l'impression d'être moins clairs, l'artiste impose un style hardcore très impactant pour jouer efficacement sur une horreur découlant toujours de la noirceur humaine. Un très bon coup d'essai dans l'ensemble... avant une publication française de Mizugoi ? On ne va pas vous cacher qu'après avoir lu Suburban Hell, ici on en rêve un peu, afin de voir ce dont ce prometteur artiste est capable sur une histoire plus longue.

Côté édition, si l'on excepte quelques cases/bulles un peu tronquées en bordure des pages, on a droit à du bon travail de la part d'IMHO. Le grand format sans jaquette ni rabat, typique de l'éditeur, est assez idéal pour s'imprégner du travail graphique de l'auteur. La jaquette reste proche de l'originale japonaise tout en donnant d'emblée une idée de l'ambiance, le papier souple et assez opaque permet une bonne qualité d'impression, le lettrage est soigné, et la traduction effectuée par Malou Micolod est claire.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs