Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 01 Février 2022
Autrice du merveilleux L'Académie Alice, sa série-phare (et la plus longue de sa carrière) qui avait su nous faire vivre nombre d'émotions variées au fil de ses 31 volumes (et qui reste, à mes yeux, l'un des meilleurs shôjo de ces 20 dernières années), Tachibana Higuchi est une mangaka devenue malheureusement plus discrète en France depuis la fin de son oeuvre emblématique en 2014, mais que les éditions Glénat tâchent malgré tout de ne pas oublier. Ainsi l'éditeur avait-il publié, en 2018, L'Académie musicale Alice, spin-off en trois tomes de L'Académie Alice, qui permettait notamment à Higuchi d'assouvir sa passion pour le théâtre et plus spécifiquement la revue Takarazuka dont elle s'inspirait pas mal. Et un peu plus de trois ans plus tard, voici enfin le retour de la talentueuse autrice dans le catalogue de l'éditeur d'origine grenobloise avec sa dernière série en date, Champignon no Majô.
Renommée dans notre pays La Sorcière aux champignons (une traduction littérale du titre japonais), cette oeuvre voit la mangaka faire une "infidélité" à son magazine de prédilection, l'excellent Hana to Yume des éditions Hakusensha, magazine dans lequel elle a publié toutes ses précédentes séries: c'est effectivement sur l'application de lecture en ligne de manga multi-éditeur et multi-genre Manga Park qu'elle propose son récit. Un choix qui lui permet d'être débarrassée des contraintes de rythme des magazines papier, et ainsi de peaufiner son oeuvre selon ses envies et à une vitesse qui lui convient (faisant que "seuls" 3 tomes sont sortis au japon depuis 2019, au rythme d'un volume tous les 8-9 mois), y compris en concevant autour d'elle d'assez longues et riches pages bonus où elle détaille de plus belle l'univers. Des pages bonus que, d'ailleurs, on retrouve tout au long de ce premier tome, en nous faisant bien ressentir l'implication et le plaisir que Tachibana Higuchi prend à imaginer petit à petit le petit monde de son nouveau manga.
La Sorcière aux champignons, tel est le surnom donné à Luna, une "sorcière noire" qui vit depuis toujours seule, à l'écart de la ville, au fin fond de la forêt noire, dans sa maison aménagée dans de gigantesques champignons vénéneux où plusieurs animaux merveilleux lui tiennent compagnie. Elle a beau avoir l'apparence d'une jolie jeune fille, ne vous fiez pas totalement à ça: en tant que sorcière, Luna vieillit beaucoup moins vite qu'un humain classique (voire ne vieillit pas), et vit depuis déjà bien longtemps. Mais cette vie, elle l'a toujours passée en solitaire, pour une raison: des champignons poussent sur ce qu'elle touche, et son souffle contient des spores toxiques, ce qui fait que les habitants de la ville préfèrent quasiment tous l'éviter, d'autant plus que les "sorcières noires" sont considérés comme potentiellement néfastes par le pays, contrairement aux "sorcières blanches" qui sont bien vues simplement parce qu'elles ont accepté de mettre leurs pouvoir au service de la nation depuis des générations, quand bien même elles ne sont en réalité pas forcément plus gentilles que les "sorcières noires".
Les premiers chapitres, pleinement portés par une narration externe attentive et posée comme pourrait l'être un conte, voient avant tout Tachibana Higuchi installer à la fois son univers et son héroïne. Côté univers, on découvre petit à petit un monde magique (magiciens/sorcières y existent, les créatures merveilleuses n'y sont pas rares...) qui est aussi le moyen pour la mangaka d'assouvir son fort attrait pour différents éléments du Moyen-Âge européen, en tête desquels les maisons, les métiers d'alors (apothicaire, etc) et surtout les vêtements, en se faisant une joie d'imaginer de nombreuses tenues, comme elle l'explique très bien dans certaines de ses nombreuses pages bonus. Mais cet univers, on devine donc aussi qu'il possède une part plus dure, en ceci que les "sorcières noires" y sont rarement bien vues, pour la simple raison qu'elles n'ont pas prêté allégeance au gouvernement du pays et se contentent de vivre à leur rythme de leur côté. Faut-il pour autant en conclure que les "sorcières noires" sont méchantes ou nocives ? La plupart des habitants de la ville semblent le croire, surtout au vu de ce que Luna semble semer sur son passage quand elle vient dans la cité: des champignons vénéneux peuvent pousser là où elle passe, son souffle contient des spores toxiques, la toucher peut même entraîner la mort à force... Et pourtant, si les citadins connaissaient la vérité derrière tout ça, peut-être changeraient-ils d'avis. Car tous ces éléments négatifs proviennent surtout du fait que Luna absorbe tous les miasmes présents en ville, purifiant ainsi les lieux. Mieux encore, la sorcière se veut en réalité très bienveillante envers autrui, ses visites en ville tous les trois mois lui permettant avant tout de venir vendre des remèdes qu'elle prépare, remèdes dont toutefois quasiment personne ne sait qu'elle en est la conceptrice (sinon, les habitants ne les achèteraient sans doute pas). Et quand elle ne vend pas ses potions, elle en profite pour dire bonjour aux rares personnes qui ne la traitent pas comme une pestiférée: le libraire chez qui elle achète les livres qu'elle adore et qui, en tant que mi-humain mi-esprit, la comprend un peu, puis le vieil apothicaire à qui elle confie ses remèdes et qui se montre relativement amical, chose que l'on comprend d'autant mieux en découvrant son passé, dans le dernier chapitre spécial, passé qui lui a bien fait comprendre la gentillesse profonde de Luna.
Sorcière très gentille mais ostracisée par sa situation et par les a priori sur elle, Luna aurait pu être l'héroïne d'une histoire purement triste, injuste et cruelle... Et même s'il y a un peu de ça, Tachibana Higuchi, en tout cas pour l'instant, sait éviter les écueils en dépeignant surtout beaucoup de douceur et de poésie. Cela, on le ressent en premier lieu via la façon d'être de notre héroïne dans cette situation: loin de dénigrer ces humains qui ont souvent peur d'elle, elle les comprend, et s'en accommode, en restant toujours sereine, tant qu'elle peut vivre tranquillement, apporter ses remèdes, dessiner, ou lire les livres qu'elle adore. Et puis, les adorables animaux merveilleux qui l'accompagnent sont là pour elle et l'adorent ! Il y a, cependant, quelque chose que, de par sa condition, elle n'a jamais connu et donc jamais compris: la chaleur humaine, le plaisir que ressentent les humains à se serrer l'un contre l'autre, et par extension la notion d'amour. Cet amour, pourtant, risque bien de se révéler enfin à elle, tout en douceur, petit à petit, dès lors qu'elle rencontre, dans des circonstance étonnantes, un certain Henri, jeune homme n'étant lui-même pas tout à fait "normal" en tant que descendant d'une hautaine génération de "sorcières blanches". C'est sur une idée aussi poétique que séduisante (le dessin pour se revoir, pour "matérialiser" Henri devant elle) que Tachibana Higuchi distille les prémisses de ce premier émoi amoureux, émoi que Luna ne comprend pas totalement elle-même puisqu'elle n'a jamais connu ça avant. Mais cet amour sera-t-il seulement possible ? La réponse qui se dessine est un peu cruelle et mélancolique tout en ayant en même temps cette part de douceur typique de l'autrice.
Ce premier tome pourrait presque se suffire à lui-même, et pourtant une chose est sûre: on a hâte de voir ce que Tachibana Higuchi voudra proposer par la suite. En attendant, ce premier volume séduit allègrement: l'univers qui se met en place transpire de la passion de l'autrice pour ce qu'elle imagine, son dessin typique a toujours autant de charme, l'atmosphère capable d'être aussi douce qu'un peu cruelle a quelque chose de très séduisant, l'héroïne se fait toujours plus attachante à observer au fil des chapitres... Nul doute que cette Sorcière aux champignons n'aura pas besoin de ses remèdes pour conquérir plus d'un coeur.
En ce qui concerne l'édition, on retrouve le format shôjo typique de l'éditeur (papier fin mais sans transparence, impression plutôt correcte), avec une première page en couleurs très jolie, une traduction soignée de la part de Pascale Simon qui colle bien à l'ambiance du récit, un lettrage propre du Studio Charon, et une jaquette restant très proche de l'originale japonaise.
Renommée dans notre pays La Sorcière aux champignons (une traduction littérale du titre japonais), cette oeuvre voit la mangaka faire une "infidélité" à son magazine de prédilection, l'excellent Hana to Yume des éditions Hakusensha, magazine dans lequel elle a publié toutes ses précédentes séries: c'est effectivement sur l'application de lecture en ligne de manga multi-éditeur et multi-genre Manga Park qu'elle propose son récit. Un choix qui lui permet d'être débarrassée des contraintes de rythme des magazines papier, et ainsi de peaufiner son oeuvre selon ses envies et à une vitesse qui lui convient (faisant que "seuls" 3 tomes sont sortis au japon depuis 2019, au rythme d'un volume tous les 8-9 mois), y compris en concevant autour d'elle d'assez longues et riches pages bonus où elle détaille de plus belle l'univers. Des pages bonus que, d'ailleurs, on retrouve tout au long de ce premier tome, en nous faisant bien ressentir l'implication et le plaisir que Tachibana Higuchi prend à imaginer petit à petit le petit monde de son nouveau manga.
La Sorcière aux champignons, tel est le surnom donné à Luna, une "sorcière noire" qui vit depuis toujours seule, à l'écart de la ville, au fin fond de la forêt noire, dans sa maison aménagée dans de gigantesques champignons vénéneux où plusieurs animaux merveilleux lui tiennent compagnie. Elle a beau avoir l'apparence d'une jolie jeune fille, ne vous fiez pas totalement à ça: en tant que sorcière, Luna vieillit beaucoup moins vite qu'un humain classique (voire ne vieillit pas), et vit depuis déjà bien longtemps. Mais cette vie, elle l'a toujours passée en solitaire, pour une raison: des champignons poussent sur ce qu'elle touche, et son souffle contient des spores toxiques, ce qui fait que les habitants de la ville préfèrent quasiment tous l'éviter, d'autant plus que les "sorcières noires" sont considérés comme potentiellement néfastes par le pays, contrairement aux "sorcières blanches" qui sont bien vues simplement parce qu'elles ont accepté de mettre leurs pouvoir au service de la nation depuis des générations, quand bien même elles ne sont en réalité pas forcément plus gentilles que les "sorcières noires".
Les premiers chapitres, pleinement portés par une narration externe attentive et posée comme pourrait l'être un conte, voient avant tout Tachibana Higuchi installer à la fois son univers et son héroïne. Côté univers, on découvre petit à petit un monde magique (magiciens/sorcières y existent, les créatures merveilleuses n'y sont pas rares...) qui est aussi le moyen pour la mangaka d'assouvir son fort attrait pour différents éléments du Moyen-Âge européen, en tête desquels les maisons, les métiers d'alors (apothicaire, etc) et surtout les vêtements, en se faisant une joie d'imaginer de nombreuses tenues, comme elle l'explique très bien dans certaines de ses nombreuses pages bonus. Mais cet univers, on devine donc aussi qu'il possède une part plus dure, en ceci que les "sorcières noires" y sont rarement bien vues, pour la simple raison qu'elles n'ont pas prêté allégeance au gouvernement du pays et se contentent de vivre à leur rythme de leur côté. Faut-il pour autant en conclure que les "sorcières noires" sont méchantes ou nocives ? La plupart des habitants de la ville semblent le croire, surtout au vu de ce que Luna semble semer sur son passage quand elle vient dans la cité: des champignons vénéneux peuvent pousser là où elle passe, son souffle contient des spores toxiques, la toucher peut même entraîner la mort à force... Et pourtant, si les citadins connaissaient la vérité derrière tout ça, peut-être changeraient-ils d'avis. Car tous ces éléments négatifs proviennent surtout du fait que Luna absorbe tous les miasmes présents en ville, purifiant ainsi les lieux. Mieux encore, la sorcière se veut en réalité très bienveillante envers autrui, ses visites en ville tous les trois mois lui permettant avant tout de venir vendre des remèdes qu'elle prépare, remèdes dont toutefois quasiment personne ne sait qu'elle en est la conceptrice (sinon, les habitants ne les achèteraient sans doute pas). Et quand elle ne vend pas ses potions, elle en profite pour dire bonjour aux rares personnes qui ne la traitent pas comme une pestiférée: le libraire chez qui elle achète les livres qu'elle adore et qui, en tant que mi-humain mi-esprit, la comprend un peu, puis le vieil apothicaire à qui elle confie ses remèdes et qui se montre relativement amical, chose que l'on comprend d'autant mieux en découvrant son passé, dans le dernier chapitre spécial, passé qui lui a bien fait comprendre la gentillesse profonde de Luna.
Sorcière très gentille mais ostracisée par sa situation et par les a priori sur elle, Luna aurait pu être l'héroïne d'une histoire purement triste, injuste et cruelle... Et même s'il y a un peu de ça, Tachibana Higuchi, en tout cas pour l'instant, sait éviter les écueils en dépeignant surtout beaucoup de douceur et de poésie. Cela, on le ressent en premier lieu via la façon d'être de notre héroïne dans cette situation: loin de dénigrer ces humains qui ont souvent peur d'elle, elle les comprend, et s'en accommode, en restant toujours sereine, tant qu'elle peut vivre tranquillement, apporter ses remèdes, dessiner, ou lire les livres qu'elle adore. Et puis, les adorables animaux merveilleux qui l'accompagnent sont là pour elle et l'adorent ! Il y a, cependant, quelque chose que, de par sa condition, elle n'a jamais connu et donc jamais compris: la chaleur humaine, le plaisir que ressentent les humains à se serrer l'un contre l'autre, et par extension la notion d'amour. Cet amour, pourtant, risque bien de se révéler enfin à elle, tout en douceur, petit à petit, dès lors qu'elle rencontre, dans des circonstance étonnantes, un certain Henri, jeune homme n'étant lui-même pas tout à fait "normal" en tant que descendant d'une hautaine génération de "sorcières blanches". C'est sur une idée aussi poétique que séduisante (le dessin pour se revoir, pour "matérialiser" Henri devant elle) que Tachibana Higuchi distille les prémisses de ce premier émoi amoureux, émoi que Luna ne comprend pas totalement elle-même puisqu'elle n'a jamais connu ça avant. Mais cet amour sera-t-il seulement possible ? La réponse qui se dessine est un peu cruelle et mélancolique tout en ayant en même temps cette part de douceur typique de l'autrice.
Ce premier tome pourrait presque se suffire à lui-même, et pourtant une chose est sûre: on a hâte de voir ce que Tachibana Higuchi voudra proposer par la suite. En attendant, ce premier volume séduit allègrement: l'univers qui se met en place transpire de la passion de l'autrice pour ce qu'elle imagine, son dessin typique a toujours autant de charme, l'atmosphère capable d'être aussi douce qu'un peu cruelle a quelque chose de très séduisant, l'héroïne se fait toujours plus attachante à observer au fil des chapitres... Nul doute que cette Sorcière aux champignons n'aura pas besoin de ses remèdes pour conquérir plus d'un coeur.
En ce qui concerne l'édition, on retrouve le format shôjo typique de l'éditeur (papier fin mais sans transparence, impression plutôt correcte), avec une première page en couleurs très jolie, une traduction soignée de la part de Pascale Simon qui colle bien à l'ambiance du récit, un lettrage propre du Studio Charon, et une jaquette restant très proche de l'originale japonaise.