Simple comme l'amour Vol.14 - Actualité manga

Simple comme l'amour Vol.14 : Critiques

Tennen Kokkeko

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 21 Juin 2013

Parmi les grandes injustices du paysage éditorial francophone, « Simple comme l’Amour » se place très haut dans mon classement personnel. Énorme flop à n’en pas douter au niveau des ventes, la série n’a clairement pas trouvé son public et n’est pas parvenue à séduire. Le pouvait-elle seulement ? Le mot « amour » qui classe la série directement pour beaucoup dans du shôjo basique très fleur bleue, mais un graphisme qui ne pouvait que rebuter un public adepte de ce genre de romance. Et les autres lecteurs potentiels aussi dans leur majorité, compte tenu qu'un dessin lisse et d’une beauté très formelle étant largement préféré de nos jours… Un suicide commercial assuré (proportionnel au nombre de fois où cette chronique sera lue certainement), mais Akata a voulu y croire (comme j’ai envie de croire que ce texte sera lu), ou du moins faire découvrir envers et contre tout à une petite frange du public manga ce titre d’exception. Et je ne les en remercierai jamais assez pour avoir pu mener ce titre jusqu’au bout.

Pour faire simple, cette série est un condensé de tout ce que la bande-dessinée japonaise à de meilleur à nous offrir en termes d’œuvre « mature » de la part d’un auteur. À comprendre dans le sens d’aboutissement total dans la maîtrise de son art, la narration graphique. L’ambiance qui se dégage de chaque chapitre, le découpage général de l’histoire, la maîtrise d’un scénario très banal mais mis en scène d’une façon absolument merveilleuse… « Simple comme l’Amour » dégage une beauté particulière, qui n’a rien à voir avec son scénario, ses personnages ou ses graphismes séparément, mais bien dans le point de vue de l’auteure et le regard qu’elle porte sur son œuvre et qu’elle nous transmet par la lecture. À moins d’être emporté directement par ce type de graphisme, il est très difficile de se faire une réelle idée de la valeur intrinsèque de « Simple comme l’Amour » lors d’un simple feuilletage. Un autre désavantage en sa faveur pour conquérir un public qui a pourtant besoin d’œuvres de ce genre pour réellement comprendre ce qu’est la maîtrise de la narration graphique. Mais je m’égare, revenons au sujet, le dernier tome…

Au début de ce volume 14, Osawa a quitté le petit village de Ki pour retourner à Tokyo pendant un moment avec sa mère, qui a plus ou moins décidé de se remettre avec le père d’Hiromi … Reviendra-il un jour, ou bien sa relation avec Soyo prendra-elle finalement fin avec la distance et l’absence ? La question est entière, jusqu’à la fin de l’avant-dernier chapitre (magnifique dans son exécution). Tout du long de cet ultime volume, dans chaque chapitre, la mangaka s’attache à nous décrire l’impact qu’a eu Osawa sur la vie de chacun. Avec beaucoup de tendresse et de subtilité, l’auteure revient sur les moments les plus importants pour Soyo dans sa relation avec le jeune homme, et nous fait ressentir réellement le vide qu’il laisse par son départ, que ce soit au village, au lycée, ou dans la simple vie de tous les jours. Sans pathos, sans emphase, une phrase de Soyo illustre parfaitement l’état d’esprit de cette absence et de ce regard en arrière :
« Hiromi n’est pas revenu. Suis-je désespérée ? Pas vraiment, il ne manque pas tant que ça. C’est plutôt que je suis déçue. Terriblement déçue… Ces trois années passées ici ne signifient donc rien pour lui ? Je ne peux pas lui reprocher d’être resté à Tokyo, mais… Il aurait tout de même pu m’en parler. »

Pas d’apitoiement, pas de grandes tirades, pas d’effet d’emphase qui sonne trop « romantique », juste l’authenticité d’une déception, d’un doute sur l’avenir et sur une relation d’adolescents. L’auteure a tout simplement le don de donner vie à ses personnages et de nous faire croire à leur existence, de nous donner l’impression que nous sommes à leurs côtés, ou même carrément à leur place, par simple empathie authentique, par une réelle compréhension de ce qu’est l’humain et de ce qu’il ressent.
Par exemple, Osawa représente typiquement le genre de garçon avec qui j’aurais eu beaucoup de mal à m’entendre au lycée, et à la lecture, je ressentais souvent le fait que « je ne l’aimais pas beaucoup », par rapport à mon ressenti personnel en tant que personne réelle. Pourtant, j’aime son personnage, les réactions qu’il crée au sein de la petite communauté du village, ses relations avec les autres et ce qui en découle, son histoire avec Soyo… Et plus je l’observais dans ses interactions, plus je venais à l'accepter pour ce que qu'il est et à le comprendre (particulièrement dans son dernier échange avec son professeur, juste parfait d'un point de vue émotionnel), et j’insiste sur ce mot. L’auteure ne nous force pas à ressentir de l’empathie pour ses enfants de papier, mais fait en sorte que nous ne les détestions jamais complètement et que nous comprenions toujours d’où ils venaient. En somme, elle nous laisse toujours le choix d’apprécier ou non chaque personne peuplant son manga et jamais l'émotion n'est dirigée dans une certaine direction. En fait, au-delà de leur rôle dans l’intrigue, l’auteure est parvenue à nous rendre ses personnages « vivants », réellement. Pas seulement à nous faire nous intéresser à des acteurs dans une histoire avec un début et une fin, mais bien à nous faire croire dur comme fer que ces personnages existent réellement. Tant chacun est crédible dans sa psychologie, tant chacun nous amuse et nous attendrit ou nous énerve à sa façon, tant chacun est « humain » au sens le plus réel qui soit, tant la mangaka est parvenue à insuffler de la vie dans son récit, en s’intéressant non pas uniquement à l’histoire qu’elle développait, mais en créant de la vie autour d’un fil conducteur très banal mais terriblement authentique.
La conclusion de la série est superbe, tout simplement. Sans éclats, mais avec toujours cette maîtrise de la narration et de l’ambiance qui ne s’apprécie qu’en prenant son temps, uniquement en lisant le volume d’une traite pour bien comprendre où la mangaka a voulu en venir, pour bien saisir toutes les techniques qu’elle emploie pour rendre son récit fluide et passionnant, s’en imprégner, et comprendre où elle souhaite nous amener dans le développement des personnages. Ce n’est pas uniquement une question de ressenti, le talent de l’auteure dans son domaine est palpable à chaque chapitre et fait preuve d’une véritable personnalité et d’une véritable passion pour son sujet. Sous sa plume, les habitants du village de Ki sont vivants. Une formidable maîtrise qu’on observe rarement dans la narration du quotidien, où souvent l’humour ou l’émotion prédomine sur tout le reste, mais « Simple comme l’Amour » réussit un formidable mélange entre réalisme et divertissement, qu’il n’est possible d’allier qu’avec beaucoup de talent et de maturité.

« Une œuvre majeure de la littérature féminine » écrit Akata à l’arrière de cet ultime volume. Ce n’est que trop vrai. Fusako Kuramochi dépasse l’aspect commercial propre au système de création manga, et nous propose une histoire qui s’affranchit de toute calibration ciblant un public particulier, un titre qui mérite sans aucun doute le qualificatif de « littérature », un divertissement qui recèle une profondeur et une maîtrise de l’art narratif à couper le souffle via la représentation graphique. Un titre qu’on peut aisément comparer aux meilleurs œuvres cinématographiques, avec cependant l’immense avantage de pouvoir développer son histoire et ses personnages avec beaucoup moins de contraintes techniques et beaucoup plus d’approfondissement de chaque héros de l’œuvre.
Bref, « Simple comme l’Amour » n’est pas un titre pour les fans de shôjo ou les amateurs de tranche-de-vie, mais un titre pour tous ceux qui apprécient les œuvres de qualité et qui transcendent les barrières du manga tout en reprenant ses codes et restant immensément accessible et divertissant. Les mots me manquent pour exprimer au mieux la force de ce titre, mais cela sonnerait quelque chose comme : Une série intelligente, chaleureuse, divertissante, sensible, sensée, attachante et authentique. Une œuvre mature, culte, inoubliable et indispensable, voire parfaite. Et là, on se rapproche d’un « tout est dit ».


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Sorrow
20 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs