Shigahime Vol.1 - Manga

Shigahime Vol.1 : Critiques

Shigahime

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 18 Février 2022

Il y a quelques années, les éditions Komikku nous permettaient de découvrir, avec le thriller en trois tomes Assassins, la première oeuvre d'un mangaka plus que prometteur en Hirohisa Satô, tant cet artiste alors en début de carrière, sous couvert d'une intrigue classique mais efficace, parvenait à installer une ambiance prenante, à la fois pesante et touchante, par la force de sa narration claire et, surtout, de grosses qualités graphiques. Depuis, quelques années sont passées, et l'auteur est enfin de retour dans notre pays en ce début d'année 2022 avec la deuxième série de sa carrière, Shigahime, un titre que l'on pourrait traduire littéralement par "Princesse de la Mort" ou "Nécromancienne"/ Finie en 5 volumes, cette oeuvre fut prépubliée entre novembre 2016 et début 2019 chez l'éditeur Tokuma Shoten, dans les pages du magazine Comic Zenon, magazine qui a à ce jour publiée toutes les séries de l'artiste, et que l'on connaît bien en France pour pas mal de récit visuellement exigeants comme Arte, Angel Heart 2nd Season, Chiruran ou encore Mobuko no Koi.

Shigahime nous immisce auprès d'un lycéen plutôt lambda, Osamu Hirota. L'adolescent mène une vie qu'il trouve un peu ennuyeuse, sans passion, sans projets d'avenir précis, tant et si bien qu'il na pas prévu de faire de vieux os, sa seule lumière semblant être sa douce petite amie Chika Murase, avec qui il sort depuis deux mois, mais avec qui, par timidité, il n'est pas encore totalement à l'aise. Une chose est sûre: il n'écoute que très distraitement les discussions inquiétantes sur des disparitions ayant eu lieu en ville ces derniers temps, et fait à peine attention aux brimades que subit Sôichi Tachibana, un garçon de son âge. S'il savait que ces deux éléments étaient sur le point de se rejoindre pour le plonger en enfer... Car en effet, un beau jour, le dénommé Sôichi l'invite à le suivre jusqu'à un lieu qui tient secret, et Osamu s'exécute sans sourciller, avec sa nonchalance d'ado est peu perdu. C'est là que, dans un grand manoir esseulé, il fait la rencontre de la dénommée Miwako, une femme à la beauté envoûtante... quand elle ne dévoile pas ses aspects les plus monstrueux, celle-ci n'étant aucunement humaine. Sans avoir le choix, Osamu, qui a bien malgré lui éveillé l'intérêt de cette beauté réellement fatale, se retrouve contraint de devenir son familier, sans avoir le moindre choix, après avoir été transformé en un être qui, lui-même, n'est plus vraiment humain... Sa mission ? Elle semble à la fois simple et difficile: apporter à Miwako les proies dont elle a besoin pour se repaître du sang de leur coeur broyé alors qu'il est encore palpitant, le tout afin, visiblement, d'entretenir son immortalité.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que, comme il l'avait déjà si bien fait dans Assassins, Satô sait nous immerger d'emblée dans son univers et nous en faire sentir la teneur pesante, grâce à un travail de mise en place aussi rapide que précis: il ne lui faut pas plus de quelques pages pour poser son personnage principal et son côté peu passionné face à la vie, puis pour nous montrer tout l'effroi se cachant derrière le charme apparent de Miwako à travers une exécution servant efficacement et brutalement d'exemple. Ainsi, dès lors qu'Osamu est amené par Sôichi chez la belle, l'angoisse ne fait qu'escalader bien vite.

Le récit aurait ensuite pu se contenter d'un schéma basique où le nouveau familier de la macabre Miwako se serait contenté d'enchaîner les victimes à lui amener, mais fort heureusement le mangaka est plus malin que ça dans l'ensemble, en laissant miroiter bien d'autres sujets. Et en premier lieu, pour l'adolescent, il faudra découvrir sa nouvelle condition: un corps devenu différent et monstrueux, les effets douloureux du Soleil, sa force physique plus importante qu'avant... Il a tout pour susciter l'effroi, et certaines personnes le lui feront bien sentir en ne voyant en lui qu'un monstre à qui ils ne laissent même pas le temps de parler. Alors, peut-ils toujours avoir sa place parmi les humains ? Notre héros malchanceux va devoir questionner son identité, mais aussi bien prendre conscience que des choses chères à son coeur dans sa vie, il en avait bel et bien, à commencer par ses parents, sa petite soeur Kaede, sa chienne fripée, et bien sûr son adorable petite amie qu'il voudra tout faire pour protéger.

Mais la protéger risque fort de revenir à devoir se plier aux ordres de Miwako, dans une sorte de relation entre dominante et dominé dont il ne pourra sans aucun doute pas ressortir indemne. Et Miwako, justement, est sans doute l'un des atouts majeurs de ce début de récit, de par sa dualité. Infiniment belle et envoûtante quand elle en a besoin, et même très érotique lors de quelques scènes à la nudité frontale et lui permettant de faire tomber sous son emprise les adolescents victimes de leur propre puberté et de leur éveil au désir charnel. Mais cet érotisme évite d'aller trop loin puisqu'il n'y a aucun acte sexuel et que, assez vite dans le volume, il s'estompe pour laisser voir les autres facettse de Miwako, bien plus monstrueuse de physique comme de coeur. Il suffit de voir physiquement sa bouche déformée quand elle laisse voir ses crocs, et mentalement la pression psychologique qu'elle exerce sans scrupule et avec une cruauté diffuse sur ses familiers, ainsi que l'absence de sentiments qui semble être la sienne, Soichi étant peut-être le mieux placé pour le dire...

Visuellement, c'est beau, voire même très beau, Satô ayant encore fait des progrès depuis le déjà riche et dense Assassins. L'auteur dévoile un dessin souvent intense, plus encore lors des moments-chocs et de ceux cherchant un peu à iconiser Miwako, qui bénéficier d'un très beau travail de composition, certaines planches se gravant fort bien dans la rétine. Sur le plan de l'horreur, après l'angoisse plus diffuse des oeuvres de Junji Itô, Mangetsu s'essaie ici un une horreur bien plus frontale et visible, où les coeurs sont arrachés en toute précision, entre autres joyeusetés. l'auteur ne s'étale pas forcément plus que de raison sur les moments plus gores, mais quand il y en a il s'applique à les dessiner avec beaucoup d'intensité, de méticulosité, dans des cadrages recherchant la précision, pour mieux faire son effet sur le lectorat en un rien de temps.

Après cette installation fort réussie dans l'ensemble, il n'y a donc plus qu'à attendre de voir comment les bases de ce scénario vont se développer, car Shigahime a assurément tout ce qu'il faut pour sortir un peu voire beaucoup du simple manga d'horreur, notamment grâce à la part de mystère entourant la vénéneuse Miwako, et à tous les enjeux autour du pauvre Osamu (sa perte d'humanité, la question de son identité qui en découle, sa compréhension de ce en quoi il tient dans la vie, son désir de protéger Chika...). A faire à suivre de très près !

Côté édition, Mangetsu livre un objet qui attire l'oeil dès sa jaquette: non contente d'offrir un travail visuel soigné orchestré par Tom "spAde" Bertrand, celle-ci affiche un très joli effet métallique/brillant, faisant ressortir de plus belle l'éclat à la fois fascinant et monstrueux de Miwako. Et à l'intérieur, rien à redire: le papier souple et sans transparence permet une bonne qualité d'impression, le travail de lettrage de Farid Daoud est impeccable, et la traduction signée Aline Kukor s'avère toujours fluide et excellente.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs