Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 06 Novembre 2024
La toute fin du mois d'octobre, et de ce fait la période de Halloween, furent le moment idéal pour que les éditions Panini Manga lancent en France leur nouveau thriller à tendances horrifique et fantastique: Shibatarian. Toute première série de la carrière de Katsuya Iwamuro, l'oeuvre a achevé sa prépublication au Japon cet été, devrait a priori totaliser cinq volumes (seuls quatre tomes sont sortis au Japon à l'heure où ces lignes sont écrites), et fut lancée en 2023 dans le magazine numérique Shônen Jump+ des éditions Shûeisha, dérivé du célèbre Shônen Jump qui est réputé pour laisser plus de liberté créatrice aux auteurs, en ayant alors accouché de quelques-uns des shônen les plus inventifs ou populaires de ces dernières années, à l'image de Chainsaw Man, DanDaDan, SPY x FAMILY ou encore KAIJU N°8.
Cette histoire nous immisce auprès de Hajime Satô, un collégien qui n'est pas tout à fait du genre à s'intégrer facilement, et que certains qualifieront peut-être d'un peu hautain. Estimant ne pas être comme les autres, il méprise ses congénères qu'il ne voit que comme des suiveurs faisant tous la même chose, la réalité autour de lui semblant souvent lui donner raison. C'est alors qu'au printemps de sa troisième année de collège, il fait une rencontre pour le moins étonnante: un garçon de son âge, enterré dans le sol, dont seule la tête dépasse au pied d'un cerisier, et qui dit s'appeler Hajime Shibata. Affirmant qu'il est dans la même école que Satô mais que tout le monde l'ignore, Shibata serait donc du genre à passer naturellement inaperçu, à tel point que c'est ce qui lui aurait valu d'être brimé et enterré par des racailles... et, surtout, qu'absolument personne ne sait qui il est ni ne le voit au collège. Seule la déléguée Michika Watari, jeune fille elle-même mise à l'écart et moquée, semble croire Satô quand il affirme l'existence de Shibata. Malgré cette bizarrerie, Satô se lie toujours plus d'amitié avec Shibata, les deux garçons partageant une même passion pour le cinéma. Cela les motive même à concevoir ensemble, pour le festival culturel de l'établissement scolaire, un film scénarisé par Satô ! Ce dernier semble enfin s'épanouir au contact de son nouvel ami, au point de même affirmer qu'il aimerait que tous les habitants de la Terre soient comme Shibata. Hélas, l'accueil réservé au projet de film par les autres élèves de la classe est désastreux: personne ne veut le voir, et tous conspuent Satô qu'ils prennent pour un fou, si bien que celui-ci en arriver à souhaiter la mort de tous ces "abrutis". Ces simples mots seront,eut-être, à l'origine de sinistres événements qui vont se multiplier...
Cinq ans après ce festival culturel raté, Satô, désormais âgé de 20 ans, n'a plus jamais revu Shibata, et n'a même trouvé aucune trace de lui bien qu'il ait cherché partout. De ses années de collège, il ne reste à ses côtés que Michika, qui n'a jamais remis en doute sa parole, est devenue une précieuse amie, et semble même ressentir plus que de l'amitié pour lui. C'est dans ce contexte que, soudainement, Shibata réapparaît de nulle part. Et c'est à partir de là que les véritables dangers, sinistres, mortels et invraisemblables, vont réellement débuter...
A partir de là, nous ne dirons rien de plus sur le déroulement de ce premier volume, tant spoiler le moindre événement reviendrait à gâcher le plaisir de lecture, dans la mesure où Shibatarian repose avant tout sur une chose: voir Katsuya Iwamuro nous balader totalement, autant que ses malheureux personnages principaux, et ainsi nous sortir constamment de notre zone de confort en restant toujours imprévisible, sans donner spécialement de réponses à ce délire angoissant et malsain pour le moment... et on ne peut évidemment pas rêver mieux pour une oeuvre se voulant horrifique !
Pour ça, le mangaka multiplie déjà les effets très stylisés, et cela dès son premier chapitre introductif où Shibata met immédiatement mal à l'aise dans son genre: toujours souriant (même quand il est enterré...), doté d'un physique mince très banal où ressortent pourtant ses grands yeux aux pupilles entièrement noires, il ne peut pas laisser indifférent, et on sent instantanément que quelque chose cloche avec lui. Ce n'est pourtant qu'une mise en place avant l'arrivée de l'ellipse de cinq ans et, avec elle, le début des vrais problèmes et de la véritable folie.
Folie visuelle, tout d'abord, car Iwamuro intensifie alors ses trouvailles graphiques, ne serait-ce que ses jeux sur le noir, ses sourires toujours plus malaisants de Shibata, ses élans malsains où la mort frappe violemment sans avoir besoin d'être gore pour déranger, ou encore son impeccable gestion du découpage où l'on sent que le danger peut surgir à littéralement chaque page. Et bien sûr, on en passe, pour ne pas gâcher certains effets !
Mais aussi folie scénaristique, car tout en prenant assez soin de ses personnages (on appréciera les remises en question de Satô et on s'attachera plutôt facilement à Michika pour ce qu'elle montre envers notre héros et pour son émancipation vis-à-vis du destin tout tracé que sa mère voulait pour elle) et en multipliant les clins d'oeil au cinéma qui n'est pas là que pour faire beau, le mangaka sait particulièrement bien entretenir notre curiosité, nous rendre addicts aux surprises pouvant arriver à n'importe quelle page, et nous laisser émettre nos premières hypothèses pour tenter de rationaliser un minimum et sans certitudes tout ce qui se passe. Satô a-t-il raison de vouloir garder confiance en le Shibata originel qui fut son ami ? Shibata existe-t-il seulement puisque Satô est le seul à le voir ? Les souhaits que Satô a faits auprès de Shibata au collège ainsi que son scénario de film sont-ils à l'origine de la sordide et inexplicable tragédie qui a débuté ?
Il faudra attendre pour avoir ou non les réponses à tout ça, mais dans l'immédiat une chose est sûre: Shibatarian s'offre un premier volume aussi intrigant qu'addictif, au fil duquel Katsuya Iwamuro nous mène par le bout du nez et offre déjà un bon paquet d'idées en termes de représentations graphiques et de découpages. Un vrai petit régal dans son genre !
Enfin, côté édition, Panini propose ici un petit format shônen convaincant, ne serait-ce que pour avoir intelligemment conservé et adapté en français la jaquette originale japonaise, celle-ci donnant immédiatement une idée de la tonalité étrange et inquiétante de l'oeuvre. Le papier est plutôt souple, assez épais et opaque, l'impression est très correcte,la traduction de Nathalie Lejeune est efficace dans l'ensemble, le lettrage de Miriam Esteban Rossi et Massimo Stella est plutôt propre... Bref, il n'y a rien de spécial à redire.