Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 12 Avril 2024
Alors qu'il s'apprête à s'achever au Japon puisque son sixième et dernier volume paraîtra là-bas le 18 avril, le manga She is beautiful vient de débuter en France chez Kurokawa. Lancée dans son pays d'origine en 2022 sur le site Tonari no Young Jump des éditions Shûeisha (site accueillant aussi One Punch Man et Choujin X, entre autres), cette oeuvre est faite à quatre mains: on retrouve au scénario Jun Esaka (auteur de plusieurs romans dont Naruto - Sasuke Retsuden), et on découvre au dessin Takahide Totsuno (actif au Japon depuis 2016 mais dont c'est la première publication française.
Ce thriller d'anticipation commence par nous plonger en 2030, au coeur d'un lieu étonnant: l'enclos, un mystérieux centre de recherches qui élève des petites filles en ne leur laissant aucun contact avec l'extérieur depuis leur naissance. Dans ce dôme sécurisé et aseptisé où tout est entièrement supervisé et où le plafond reproduit artificiellement le ciel, tout est régi strictement: de nouveaux bébés naissent uniquement tous les trois ans, les fillettes grandissent en suivant des cours spécifiques, et à leur dixième anniversaire elles sont vouées à être placée dans la section qui leur correspond le mieux: la section sciences pour les plus grosses têtes comme la studieuse, intelligente et hautaine Sayaka, la section arts pour les enfants talentueuses dans ce domaine à l'instar de la jolie Hikari, la section production qui prépare apparemment les filles à donner naissance à de nouveaux bébés pour le centre, et la section labeur qui les voue visiblement à devenir des cobayes pour tout et n'importe quoi.
Kurumi est précisément une pensionnaire qui s'apprête à avoir dix ans, et qui se demande bien quel avenir l'attend. Petite fille assez enjouée et candide, elle adorerait rejoindre la section arts uniquement pour rester avec sa précieuse amie Hikari qui compte plus que tout pour elle, mais sait très bien qu'elle n'a aucun talent dans ce domaine, et se demande même si elle a le moindre talent. Cela ne l'empêche pas d'avoir d'autres rêves, à commencer par le désir de découvrir le monde extérieur une fois qu'elle aura été placée ! C'est en ayant en tête ses rêves, et à ses côtés Hikari avec qui elle fait la promesse de ne jamais s'oublier, qu'elle s'endort paisiblement lors de la nuit de son fameux dixième anniversaire... pour se réveiller 14 ans plus tard dans son corps d'adulte, hors du centre, sans Hikari, mais avec à ses côtés une personne qu'elle n'aurait jamais imaginée...
Au-delà de ces événements de base faisant le sel du premier chapitre, il est très difficile de parler de la suite du volume sans se risquer à quelques spoils, donc si vous ne voulez rien savoir de plus on vous conseille de sauter ce paragraphe, où l'on va aborder un petit peu plus ce qui attend une Kurumi forcément déboussolée, d'autant plus que malgré son corps adulte elle reste intérieurement une enfant de dix ans. Que fait-elle là et où se trouve-t-elle exactement ? Comment est-elle sortie du centre ? Qu'est-il arrivé pendant ces 14 années dont elle n'a aucun souvenir ? Et pourquoi la personne qui veille sur elle n'est autre que Sayaka, avec qui elle s'entendait mal autrefois ? Il s'agit là des toutes premières interrogations qui se posent, et ce n'est vraiment qu'un début puisque, dans la dernière partie du tome, la jeune femme se retrouve traquée et menacée de mort pour des actes horribles qu'elle aurait soi-disant commis, qu'elle ignore et dont elle n'a aucun souvenir. Et sur ce dernier point, on touche l'une des grosses spécificités intéressantes de l'oeuvre: à chaque fois qu'elle s'endort, Kurumi oublie tout car sa mémoire se réinitialise, la faute apparemment à un accident qu'elle a subi la nuit de ses dix ans. Un handicap de mémoire qui, forcément, risque de complexifier sa quête de vérité.
Car c'est bien une quête de vérité qui se dessine déjà au fil de ce premier volume facilement prenant: entre le besoin de découvrir ce qu'il s'est passé pendant ces 14 dernières années et plus spécifiquement lors de la nuit des dix ans de Kurumi, l'obligation pour elle de déterminer en qui elle peut avoir confiance ou non, les énigmes sur ce qu'est exactement l'enclos, la recherche de Hikari que la jeune femme souhaite revoir avant tout, et tout simplement la propre quête d'identité de Kurumi (car finalement, qui est-elle, elle l'amnésique qui a été élevée comme du bétail ? ), les mystères et autres zones d'ombre sont déjà largement au rendez-vous, en nous stimulant suffisamment puisque l'on peut déjà s'amuser à faire quelques hypothèses (ne serait-ce que sur les capsules regis évoquées au tout début et sur le comportement anormal des passant en fin de tome), et en étant d'autant plus immersifs qu'absolument toute la narration passe par Kurumi, ce qui fait que l'on ressent les mêmes sentiments d'incompréhension qu'elle face à ce qui lui arrive.
Ajoutons à tout ça un dessin soigné, clair dans ses découpages et sa mise en scène, assez profond dans ses designs et réaliste dans ses décors, et on obtient un tome de mise en place très prometteur. Tout s'installe très bien, la curiosité est toujours plus vivement piquée au fur et à mesure que l'on tourne les pages, les différents enjeux et nombreux mystères sont très clairs... Il faudra désormais attendre de voir comment les auteurs comptent répondre à tout ça, mais dans l'immédiat une chose est sûre: ils ont, toutes les cartes en main pour offrir un thriller addictif, et c'est tout ce que l'on espère !
Enfin, côté édition, Kurokawa livre une bonne copie: la jaquette reste très proche de l'originale japonaise, le papier est à la fois souple, opaque et agréable au toucher, l'impression est de très bonne qualité, le lettrage effectué par Sylvie Naddeo-Deloche est très propre, et la traduction assurée par Marie-Saskia Raynal est toujours très claire.