7 Shakespeares Vol.1 : Critiques

7 Nin no Shakespeare

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 05 Avril 2012

Quelques années après Beck, manga rock ayant conquis nombre de lecteurs, Harold Sakuishi revient aux éditions Kazé Manga avec sa dernière oeuvre en date, Seven Shakespeares. Un manga qui, comme son nom, l'indique, s'avère original et ambitieux, puisqu'il propose ni plus ni moins que de se pencher sur la vie énigmatique du célèbre dramaturge et sur ses oeuvres, en mettant en avant sa possible imposture.

Le premier chapitre nous plonge donc en l'an 1600, à l'époque où l'une des plus célèbres pièces de Shakespeare, Hamlet, fait un carton auprès des amateurs, y compris auprès de la Reine d'Angleterre elle-même. Pourtant, tout le monde ne voit pas encore d'un bon oeil le théâtre de Shakespeare, vu comme un loisir vulgaire et corrupteur brisant la bienséance. Ce partage d'idées autour du théâtre, c'est ce que nous propose de découvrir Harold Sakuishi dans un premier temps, tout en dressant en Shakespeare un personnage un brin énigmatique, ce que viendra confirmer l'une des dernières répliques du chapitre : le célèbre dramaturge serait en réalité un imposteur.

Ici, il faut reconnaître l'indéniable talent du mangaka pour introduire son histoire : les enjeux du théâtre shakespearien, apprécié des uns et vu par les autres comme un blasphème, est parfaitement mis en valeur par un premier chapitre intriguant, qui nous immerge vite et bien dans le vif du sujet, en se basant sur quelques réalités fondées, à l'image de détails intéressants telles l'importance du manuscrit pour une pièce de théâtre, la date d'aboutissement de Hamlet, qui a vraisemblablement réellement vu le jour vers l'année 1600, ou la reprise de personnages ayant réellement existé, comme le chambellan Georges Carey ou la Reine d'Angleterre elle-même, dont le goût pour le théâtre shakespearien était certain. L'introduction se fait facilement immersive, jusqu'à cette conclusion sonnant comme un coup de théâtre (c'est le cas de le dire) : Shakespeare serait un imposteur.

Et c'est précisément à ce moment-là que le récit commence réellement. Si le premier chapitre est sobrement nommé "prologue", ce n'est pas pour rien, et Harold Sakuishi va alors, par la suite, nous perdre volontiers sur une première piste en nous faisant voyager dans le temps, un peu à la façon de Naoki Urasawa dans Billy Bat, histoire de faire un comparatif facile avec un manga débuté récemment en France. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le lecteur se sentira peut-être un peu perdu dans la suite de l'oeuvre, Sakuishi mettant vite la pause sur l'imposture de Shakespeare pour nous amener 13 ans auparavant, en 1587, au sein d'une communauté chinoise installée à Liverpool : Chinatown est née. Et si les plus pointilleux pourront soulever les possibles erreurs de l'auteur, le quartier chinois de Liverpool étant vraisemblablement apparu au 19ème siècle, difficile de ne pas succomber au charme de ce que raconte le mangaka, même si l'on ignore d'abord totalement où il veut en venir... à la manière d'Urasawa sur Billy Bat.

Après 60 premières pages immersives, le récit s'engage donc, de manière étonnante, sur une tout autre voie, bien éloignée de Shakespeare, puisqu'elle nous propose de découvrir la vie de plusieurs familles chinoises installées à Liverpool. Une vie loin d'être facile, ces étrangers, aux coutumes bien différentes des occidentaux, étant mal vues par les Anglais. Ainsi l'auteur s'engage-t-il dans une réinterprétation de la fameuse "Chasse aux Sorcières", tout en explicitant les origines de l'arrivée des Chinois à Liverpool. Le récit est clair, fluide, se tient bien et dresse d'emblée des personnages bien reconnaissables, à commencer par la dénommée Li, que nous découvrirons largement plus en détail, puisqu'elle sera le réel point central de ce premier grand arc. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Harold Sakuishi dresse en cette jeune fille un personnage profondément charismatique, attachant, énigmatique... et mystique, étant donné qu'elle semble posséder un pouvoir lui permettant de prédire l'avenir proche des personnes autour d'elle, ce qui lui vaudra bien des tourments la rendant toujours plus attachante tant on la prend en pitié, et qui permettra au mangaka d'enchaîner sur un nouveau saut dans le temps pour découvrir son tragique passé. Mais cette dose de surnaturel pourra aussi être la plus critiquable, tant elle pourra apparaître facile pour les réfractaires.
A vrai dire, si les personnages, nombreux mais pourtant tous facilement reconnaissables, ont tous un petit quelque chose rendant leurs aventures pourtant assez simples plaisantes à suivre, c'est bel et bien sur la jeune Li que tout repose, Sakuishi la mettant en avant sans forcer, puisque l'on comprend rapidement que c'est elle qui sera l'enjeu de cette première partie. Shakespeare semble ici bien loin, on se demande un peu où veut en venir le mangaka, mais quoi qu'il en soit, le portrait qu'il nous propose ici captive tant il est fluide, prend le temps de bien amener les enjeux sociaux et économiques de Chinatown, de bien développer les choses (sans, toutefois, éviter quelques longueurs, en se répétant au sujet des facultés surnaturelles de Li). Là aussi, on ne peut s'empêcher de comparer les portraits de personnages à ceux qu'est capable de faire Naoki Urasawa. Et les portraits de personnages constituent justement l'une des grandes forces de ce dernier.

Visuellement, il paraît là aussi difficile, comme c'est parti, de ne pas faire un rapide comparatif avec Naoki Urasawa : à l'image de ce dernier, Harold Sakuichi possède indéniablement un don pour créer des "gueules", des visages aisément reconnaissables, expressifs et tous bien différents, parfois à la limite de la caricature sans perdre cette lueur de réalisme dans l'expression des émotions, mais servant exceptionnellement bien le fond. On découvre des bouilles attachantes, collant bien aux différents caractères. Les lecteurs de Beck reconnaîtront tout de suite la patte de l'auteur, tandis que les autres découvriront un trait expressif, chaleureux, allant un brin dans la surenchère au niveau des visages, et qui nous donne l'impression de connaître les différents protagonistes depuis longtemps.

Sans savoir où Harold Sakuishi va nous amener, on se laisse donc porter par cette première grande partie fort bien racontée, jusqu'à un final s'enfonçant petit à petit dans le tragique, avant de nous laisser entrevoir le rapprochement avec le sujet initial, qui, rappelons-le, est Shakespeare. En cela, ce premier volume finit de nous convaincre : la fin du tome et la bande-annonce du deuxième volume laissent clairement entrevoir où Sakuishi va en venir, et l'on a le sentiment que l'auteur sait parfaitement où il va, comme le laisse suggérer le titre. 7 Shakespeares, ou 7 grandes inspirations à l'oeuvre du célèbre dramaturge ?

Malgré quelques petites longueurs et le doute que peut laisse l'aspect surnaturel, et bien qu'il ne faille vraisemblablement pas le considérer comme un récit rigoureusement strict quant à tous les différents aspects historiques abordés, 7 Shakespeares nous propose d'emblée une belle réinterprétation de la rumeur selon laquelle le célèbre dramaturge serait un imposteur. Le concept est original, la lecture est fluide, haute en couleurs, surprenante et ambitieuse dans sa construction, et se présente clairement comme une lecture à essayer à tout prix.

Du côté de l'édition, Kazé Manga nous offre un travail d'excellente facture. La traduction coule de source, l'impression et le papier sont de qualité, les premières pages en couleur sont un plus sympathique, et le prix que 9,99€ se justifie facilement quand on voit que l'on a affaire à un joli pavé de près de 300 pages.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs