Self___ : Critiques

Surtout connue pour la série Frankenstein Family qui avait connu l'honneur d'une adaptation animée et que l'on avait découverte en France en 2019 grâce à Chattochatto, l'autrice Yanai fait son retour chez l'éditeur pour Japan Expo avec un court récit d'environ 80 pages (100 pages en comptant les suppléments) vendu exclusivement pendant le salon parisien, mais aussi sur le site de Chattochatto jusqu'à rupture de stock: Self___, un récit autobiographique conçu en 2022 et où elle change complètement de registre en décortiquant une épreuve qu'elle-même a dû traverser: sa propre dépression.

Tout commence ici par une dispute qui pourrait sembler un peu anodine, si l'on excepte des mots durs et des conséquences terribles pour Yanai, en l'embarquant dans une spirale infernale dont il est très difficile de sortir: la dépression, où quand tout ce qui a été accumulé pendant des années en termes de doute finit par jaillir jusqu'à nous faire envisager le pire, l'autrice évoquant même ses mutilations et ses pensées suicidaires (même si elle dit aussi clairement qu'elle n'a jamais envisagé de réellement passer à l'acte). Le risque avec ce genre de projet est l'apitoiement, mais il s'agit d'un écueil que Yanai évite avec beaucoup de force tant ce n'est pas son but.

D'un côté, l'autrice prend le soin d'évoquer les différentes facettes, les quelques hauts et surtout les nombreux bas de cette période difficile de sa vie, avec une simplicité de ton et une narration très directe et assez introspective qui permettent avant tout de montrer à quel point il est difficile de sortir d'une dépression, sorte de cercle vicieux passant par différentes étapes: rejet de soi-même, sentiment de ne pas se comprendre, rejet de ses proches (qu'on a l'impression de voir penser pour nous même s'ils veulent bien faire), renfermement sur soi sans pouvoir en sortir car plus on se renferme plus on le sentiment d'être une loque inutile, perte de goût pour toute chose y compris pour le dessin qui devient ici une corvée pour elle alors qu'il s'agissait d'un travail-passion et d'une immense partie de sa vie... Et de l'autre côté, Yanai, à partir de là, prend soin d'évoquer comment on peut s'en sortir (en tout cas comment, elle, elle s'en est sortie): se lancer dans des activités qu'elle avait toujours voulu essayer, marcher pour se vider la tête, courir pour se sentir en vie, parvenir à mieux extérioriser et à se confier, voir un psychologue dont le métier est précisément d'écouter et d'aider sans rien juger et sans imposer des choses... et, surtout, parvenir à se comprendre soi-même, ce qui demande forcément un travail sur soi. De manière générale, Yanai nous fait bien comprendre que beaucoup de choses, dans ce genre de situation dépendent de soi-même.

Pour accompagner ce récit difficile mais nécessaire, l'autrice s'appuie sur un dessin qu'elle a choisi de garde très brut, sans trames, sans détails, avec des cases dessinées à la main, et le résultat est là: il y a constamment une impression de franchise directe, comme si Yanai avait étalé tout ce qui devait sortir d'elle sur le coup, comme un exutoire, alors même que son cheminement et ses nombreuses réflexions intérieures semblent très bien pensées.

A l'arrivée, Self___ se présente comme un bref récit puissant de par l'humanité qui s'en dégage et ses messages sur la dépressions. N'occultant rien de cette période de sa vie, Yanai s'offre sans doute ici un exutoire mais nous offre aussi une décortication très juste de la dépression, en évoquant à la fois ses redoutables rouages psychologiques et physiques et tout son cheminement pour parvenir à s'en sortir. Cela en fait une lecture précieuse, nécessaire et sincère, que l'on ne peut que conseiller.