Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 26 Mai 2025

L’amour de Kazuki Takahashi pour le comics américain n’est pas un secret. Dès les premiers volumes de Yu-Gi-Oh !, le regretté mangaka utilisait cette esthétique pour créer son propre personnage fictif dans l’univers du roi des jeux, Zombire. On le savait aussi fan de Mike Mignola, les deux artistes s’étant même échangé des réalisations du protagoniste d’autrui sous leurs traits respectifs. Il vouait aussi beaucoup d’admiration pour Simon Bisley, Drew Struzan et Adam Hughes. Les influences du comics sont d’autant pour notables qu’elles ont réellement construit l’art de Kazuki Takahashi. Lors de ses débuts en tant qu’artiste, alors qu’il cherchait son propre style, le maître a jonglé entre le réalisme, le trait manga « classique » et l’art du comics américain. Son style final, celui vu sur Yu-Gi-Oh !, résulte d’un mélange de toutes ces influences.


À côté, Shûeisha, éditeur principal du mangaka, a noué des liens forts avec Marvel durant la dernière décennie. Fin 2018, les deux maisons proposent à Kazuki Takahashi de réaliser son propre comics en utilisant les personnages de son choix. En somme, le maître a carte blanche, ce qui le pousse à exploiter ses héros préférés, Spider-Man et Iron-Man, à travers une histoire intitulée ‘Secret Reverse’. C’est le 27 novembre 2019 que paraît officiellement son projet sur la plateforme Shônen Jump+ avant une sortie physique quelques mois plus tard, le 4 février 2020. Le 14 juin 2022, la boucle est bouclée avec une sortie aux États-Unis en tant que comics. De notre côté, puisque Panini s’intéresse fortement aux mangas tirés de l’univers Marvel, voir paraître ‘Secret Reverse’ était attendu. La sortie français a alors un goût de parution posthume. Panini a publié l’ouvrage en novembre 2022, près de quatre mois après le décès du maître. Rien d’opportuniste dans cette démarche (une publication ne se faisant pas en si peu de temps), mais un coup du destin qui peut résonner comme une lecture hommage en ce qui nous concerne.


Dans ce cross-over qui réunit Iron-Man et Spider-Man, Tony Stark est convié au Japon pour participer à la présentation d’une technologie révolutionnaire, un appareil capable de donner vie au célèbre jeu de cartes à collectionner Secret Reverse. À la tête du projet, Fudajiro Kaioh est sur le point de chambouler le monde du divertissement. Fruit du hasard, Peter Parker participe aussi à la démonstration. Mais derrière cette machine hors norme se cache un sombre dessein et un grand danger pour l’humanité.


Soyons honnêtes : ‘Secret Reverse’ n’a clairement pas l’ambition de renouveler l’écurie Marvel. Kazuki Takahashi a indéniablement cherché à se faire plaisir et à apporter sa patte, qu’elle soit graphique ou scénaristique, en combinant les aventures de ses deux super héros préférés au type d’univers qu’il chérit tant. Ce qui tombe à pic, puisque Yu-Gi-Oh ! est une série qui mêle le jeu de cartes à des menaces d’ordre surnaturelles, aussi introduire un antagoniste d’origine cosmique dans un univers de ce type s’inscrit complètement dans la démarche du mangaka.


En peu de temps, l’auteur a le luxe et le challenge de dessiner une histoire complète. Le format ne lui laisse guère le loisir de proposer un récit aussi riche que son œuvre phare, ce dont il semble avoir conscience puisqu’il ne cherche que peu à développer ses personnages et s’en tient au minimum, de manière à créer un peu d’empathie pour ses nouvelles figures. A la place, il favorise une action quasi permanente et nous régale de son style dont les influences liées au comics américain s’expriment à 100 %. Car Takahashi était un artiste fasciné par l’impact graphique des récits de super héros, et on sent qu’il se fait plaisir à jouer à son tour dans cette catégorie. L’univers présent n’est alors qu’un prétexte pour dessiner un récit intense de bout en bout, mais qui aurait peut-être gagné à jouer un peu plus sur l’alchimie entre Tony Stark et Peter Parker. Aussi, et là est certainement la limite de ce format court, le nouveau jeu de cartes présenté n’affiche pas de règles claires et fait presque office de décoration. On aurait préféré que les univers du maître soient assumés à 100 % et que Magic & Wizards soit le jeu clé de cette histoire, mais la question de droit vis-à-vis de Konami devait certainement jouer dans la balance. Se dire qu’Iron-Man et Spider-Man auraient potentiellement pu affronter le Blue Eyes White Dragon est donc particulièrement frustrant !


Enfin, ‘Secret Reverse’ est aussi le moyen d’apprécier la patte moderne de l’auteur, un style qu’il a embrassé depuis qu’il s’est mis au dessin numérique aux alentours de l’année 2007. Ses designs de personnages ont évolué dans leur trait tout en gardant la démesure stylistique qu’on aime tant chez le maître tandis que la possibilité d’apporter de nombreux effets d’ombres dans un récit entièrement en couleur lui permet de présenter une touche unique à ce jour. Visuellement, ‘Secret Reverse’ est un petit délice qui démontre complètement le style aux multiples influences de Kazuki Takahashi, celui qui part du manga « classique » mais qui s’est imprégné d’une grande touche de comics américain.


Alors, ce comics fait office de petite curiosité, une expérimentation délicieuse pour les fans du regretté mangaka et certainement un petit ovni stylistique pour ceux qui le découvriront par ce récit. Si le scénario ne réinvente pas la poudre en matière d’histoire Marvel, celle-ci est suffisamment rythmée et généreuse en action pour qu’on ne lui fasse que peu de reproches.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
15 20
Note de la rédaction