Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 07 Novembre 2024
L'histoire de Saint Seiya, sous tous ses supports, est un récit particulièrement dense, qu'il s'agisse de la naissance de l'œuvre de Kurumada, sa destinée, ou les différents spin-offs et projets animés. Une histoire finalement à la hauteur de l'œuvre qui, si sa popularité semble avoir décliné chez nous, reste un mythe du shônen d'aventure. Né dans le Shônen Jump, et par conséquent au sein de l'écurie Shûeisha, Saint Seiya a progressivement migré chez la maison Akita Shoten dès le début des années 2000, notamment avec le manga Saint Seiya : Episode G de Megumu Okada. À terme, de nombreux mangas dérivés seront lancés (dont le plus célèbre reste The Lost Canvas), tandis que Masami Kurumada y dessinera la suite de son œuvre majeure, Saint Seiya : Next Dimension. Une seule incohérence subsiste alors : la non-existence de l'œuvre originale chez Akita Shoten. L'éditeur et Kurumada y remédient dès 2021 en lançant une nouvelle mouture intitulée "Final Edition", prometteuse sur le papier puisque le mangaka en profite pour corriger son récit, tandis que certains chapitres inédits plus récents agrémentent ces nouveaux volumes. Cette version, qui comptera 20 tomes au total, a forcément intrigué par-delà l'océan, y compris dans nos contrées. Si le succès de Saint Seiya n'est décidément plus celui d'autrefois chez nous, l'aura de la série reste forte, suffisamment assez pour qu'un cercle de lecteurs demande cette dernière itération en date. Un souhait finalement exaucé en cet automne 2024 avec la sortie du premier volume de la Final Edition de Saint Seiya dans nos librairies.
Et parce que Saint Seiya approche aujourd'hui des 40 ans, une petite piqure de rappel sur l'intrigue et l'univers. Au fil des générations, la déesse Athéna s'est réincarnée et reste sans cesse protégée par ses Chevaliers, de puissants guerriers qui revêtent les armures de bronze, d'argent ou d'or, et dont la capacité à utiliser leur Cosmos leur permet de vendre la terre à la force de leurs poings. Le jeune Seiya est l'un des acteurs du projet ambitieux du richissime japonais Mitsumasa Kido qui a adopté 100 orphelins avant de les envoyer à travers le monde les faire suivre des formations de Chevaliers. En Grèce, Seiya est sur le point de remporter l'armure de Pégase et ainsi devenir l'un des fameux protecteurs d'Athéna. Mais son projet est bien différent : séparé de sa sœur durant son enfance, le jeune garçon compte bien la retrouver. Mais pour cela, il devra d'abord se plier aux excentricités de la fille de Mitsumasa Kido, Saori, qui a repris le projet de son défunt père et organise un tournoi qui confrontera les 10 orphelins ayant accompli leur mission, depuis devenus des Chevaliers...
Découvrir le manga Saint Seiya peut être aujourd'hui un exercice compliqué. Le style de Masami Kurumada ne paie pas de mine, sa narration semble datée et sa mise en scène limitée. Pourtant, il y a un charme certain dans cette patte et un véritable style dans la manière de représenter les Chevaliers en action, tandis que les planches elles-mêmes sont suffisamment généreuses pour attester un travail assez minutieux du maître. En revanche, ce sont les débuts de l'histoire qui auront certainement du mal à passer. Le premier arc de Saint Seiya n'est clairement pas celui que les fans retiennent, si ce n'est pour son caractère introductif et donc indispensable. Kitch et peut-être poussif sur certains points, la saga des Galaxian Wars peinera certainement à capter un nouveau lectorat aujourd'hui, en 2024. En revanche, le style clivant de Kurumada, lui, a de quoi interpeller. En bien ou en mal, certes, mais ses différents aspects ne peuvent laisser indifférent. Il y a donc un véritable charme dans une relecture de Saint Seiya de nos jours, y compris sur un premier arc aussi déséquilibré.
Mais parce que nous sommes près de 40 ans après la naissance du mythe, on sait d'avance ce que deviendra l'aventure de Seiya, à quel point celle-ci sera passionnante et souvent poignante, et quelle envergure folle prendra l'univers. Le supplément propre à ce premier tome joue justement en ce sens. Ainsi, l'ouvrage ne débute pas par l'aventure de Seiya mais par "l'épisode 0", une minisérie de trois chapitres dessinés entre 2017 et 2018 par Masami Kurumada et qui lève le voile sur l'événement majeur de la saga du Sanctuaire qui interviendra un peu plus tard. En plus d'approfondir l'humanité de certains personnages, ces chapitres amènent directement l'intensité dramatique qui sera ensuite dominante dans l'œuvre. Il reste alors une ombre au tableau : ce préquel révélant les enjeux de la partie du Sanctuaire, sa lecture entachera le plaisir de découverte des nouveaux lecteurs, et les rebondissements à venir seront beaucoup moins impactant. C'est en ce sens qu'on peut estimer que ces épisodes se destinent avant tout aux fans. Dans cette optique, l'épisode 0 est un savoureux bonbon qu'on apprécie comme il se doit.
Vient ensuite un sujet fort quand on parle de cette version : l'édition en elle-même. Si le terme de "Final Edition" laisse rêveur puisque ces tomes succèdent à la précédente édition Deluxe, il a de quoi décevoir. Plus épais que les tomes originaux, les volumes sont des tankôbon classiques, autrement dit dignes des opus reliés communs. Pas de pages couleur, donc, et un papier somme toute classique. Le caractère ultime de cette version vient alors du contenu du récit puisque les chapitres dessinés par Kurumada durant les 10 dernières années sont inclus, et que l'auteur a retouché certains textes pour fluidifier son histoire. Pour un lecteur occasionnel de Saint Seiya, cet aspect ne se ressent pas vraiment. Mais pour les vieux de la vieille ou pour les lecteurs qui découvrent l'œuvre par cette version, c'est l'assurance d'obtenir la vision décisive de son auteur. Il faut néanmoins accepter de faire l'impasse sur un joli papier ou sur la présence des planches colorisées ou en bichromie. Fort heureusement, Kana laisse disponible l'édition Deluxe pour les personnes intéressées par une version plus luxueuse, mais celle-ci ne contient pas les chapitres supplémentaires et les corrections de Masami Kurumada... En bref, l'édition parfaite de Saint Seiya n'existe pas à ce jour !
Enfin, difficile de ne pas souligner les débats qui ont secoué les réseaux sociaux lors de la parution de ce premier tome autour de la traduction. Si ce sont finalement des mises en page du texte qui ont surtout été pointés du doigt, on peut regretter que Kana se soit contenté d'une actualisation et d'une correction de la précédente traduction, ce qui laisse l'opportunité à un résultat imparfait, alors qu'il aurait fallu reprendre le texte original depuis le départ pour un rendu plus fluide et fidèle. A noter que l'éditeur a pris conscience de ces soucis et semble réfléchir à une solution, d'après ses déclarations sur les réseaux sociaux.
Alors, notre mot de la fin sur ce premier tome de la Final Edition sera le suivant : Au-delà du début du récit qui est ce qu'il est et qui a assez mal vieilli, (re)découvrir le style de Kurumada est une expérience en soi. Une patte datée, certes, mais qui a son cachet et qui garde son charme. Et si on accepte que l'édition en elle-même soit bien en deçà de la Deluxe, une volonté qui vient directement du Japon, on prendra plaisir à redécouvrir les débuts de l'épopée de Seiya, et surtout de découvrir les trois chapitres de l'épisode 0 de ce tome.