Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 23 Octobre 2024
Avec le one-shot La résidence où l'on meurt en silence, l'éditeur Le Lézard Noir a accueilli dans son catalogue, le mois dernier, la mangaka Nazuna Saitô, que l'on a pu découvrir l'année dernière chez Atelier Akatombo avec l'ouvrage "Au tomber du soleil". Née en 1946 dans le département de Shizuoka, cette autrice a d’abord été illustratrice avant de faire ses débuts de mangaka à l’âge de 40 ans. Souvent inspirées de sa propre vie, ses histoires, dans lesquelles elle n’hésite pas à se mettre en scène, dépeignent le quotidien des gens.
Prépublié au Japon à partir de 2017 dans le magazine Big Comic Original des éditions Shôgakukan sous le titre Bocchi Shi no Yakata, ce récit est ensuite sorti là-bas en un unique volume d'environ 220 pages en janvier 2023.
L'histoire se déroule dans une résidence HLM vieillissante, construite pendant la période de croissance économique rapide du Japon. Cet endroit ne regroupe désormais plus que des personnes âgées, souvent seules et désargentées. Isolées malgré la présence à proximité, elles semblent vouées à devoir attendre leur mort solitaire, ou presque solitaire quand elles sont accompagnées de leurs chats. Mais dans le fond, sont-elle tout à fait seules ?
Avec un long prologue où d'emblée on assiste au décès d'une vieille dame, puis où un mangaka vétéran s'installe dans la résidence en se demandant s'il ne pourrait pas retrouver un peu d'inspiration en ce lieu en observant ses nouveaux voisins et en se questionnant sur la vie qu'ils ont pu avoir, Nazuna Saito donne d'emblée le ton: il sera certes constamment question de mort au fil des chapitres s'intéressant à différents personnages, mais la mangaka ne se veut pas vraiment misérabiliste pour autant sur le sort de ces personnes âgées seules qui pourraient souvent sembler attendre la mort. En réalité, l'autrice s'intéresse à dépeindre nombre de choses sur eux, au gré d'un récit où défilent le décès et les nouveaux résidents comme un cycle sans fin: leurs passe-temps, leur rapport à la société moderne (sont-ils tous réellement largués faces aux technologies actuelles et aux réseaux sociaux ?), leurs doutes ou désirs face à un avenir qui pourrait paraître inexistant à leur âge... et, surtout, leur vie, qui ils ont pu être, comment ils ont vécu avant de venir finir leur vie dans cette résidence. Ils ont tous leur histoire, leur passé, leur personnalité, ce qui leur confère naturellement une humanité, tout en permettant aussi à la mangaka de poser un regard sur certaines réalités d'avant mais aussi de notre époque, et de mettre en avant une condition humaine universelle puisque nous sommes tous susceptibles de traverser inévitablement cette étape de la vieillesse avec tout ce qu'elle peut impliquer.
Servi par un dessin à la tonalité très réaliste pour mieux servi la mise en avant de cette galerie humaine, La Résidence où l'on meurt en silence est un très beau manga au fil duquel Nazuna Saito, derrière l'aspect un brin social, dépeint surtout des gens très vrais avec réussite. De plus, le tout est servi dans une édition convaincante, avec le grand format sans jaquette ni rabats typique du Lézard Noir, une couverture très bien pensée, une traduction très claire de Laurent Lemercier, un papier souple, assez épais et peu transparent, et une qualité d'impression très correcte (même si l'on regrettera toujours que l'éditeur n'indique qu'un vague "U.E." comme origine du lieu d'impression).