Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 02 Juin 2022
Quand on évoque l'idée d'un récit qui parlerait des coulisses de l'édition du manga, Bakuman est sans nuls doutes le titre qui vient en tête en premier lieu. Depuis quelques mois maintenant, Glénat nous proposent un autre représentant de cette thématique avec le titre Réimp' ! sur lequel il y a beaucoup à dire.
En cours depuis 2012 au Japon, dans les pages du Gekkan! Spirits de la maison Shôgakukan, la série est née sous le titre original Jûhan Shuttai!, qui signifie littéralement « réimpression », marquant ainsi le bon choix de l'intitulé français. Son autrice est Naoko Matsuda, prenant ici le nom de plume Naoko Mazda. Mangaka née à la fin des années 60, son œuvre dense lui a permis de brasser bien des genres. Des œuvres que nous n'avons jamais pu lire puisque Réimp! est le premier de ses récits à nous parvenir.
Le manga compte 18 tomes au Japon, à ce jour et est désormais un titre bien installé, dont on peut supposer que la longévité ira de pair avec le nombre d'idées que l'autrice a à développer. Fort de son petit succès et d'une volonté de le mettre en lumière, une adaptation drama d'une dizaine d'épisodes fut diffusée au Japon au printemps 2016.
Jeune femme sportive, Kokoro Kurosawa embrassait jusqu'à présent une carrière de judoka, jusqu'à ce qu'une blessure la contraigne à se retirer. Elle décide alors de relever un nouveau défi, celui de l'édition, en postulant auprès de la société Kohtokan. Survivant à une phase de sélections des candidats loin d'être gagnée d'avance, elle finit par intégrer la petite équipe du magazine de prépublication "Vibes", et s'apprête à découvrir toutes les nuances, subtilités et joies derrière le métier d'éditeur, que ce soit dans les contacts avec les auteurs où dans le combat de tous les jours à mener pour faire briller une œuvre dans les librairies.
Avec son amorce presque farfelue, Réimp! nous confirme dès ses premières pages que le manga de Naoko Mazda se dote d'une fraîcheur prête à nous happer à chaque instant. Dès ce premier volume, ça ne manque pas, si bien que cette tonalité va progressivement constituer l'élément phare qui nous séduira chapitre après chapitre. Cette ambiance, nous la devons en grande partie à son héroïne, Kokoro, un vrai concentré d'énergie pour une jeune femme déterminée à accomplir chacune de ses missions avec l'entrain nécessaire. Une protagoniste haute en couleur donc, dont on devine tout le potentiel à nous surprendre dès lors qu'elle doit son embauche à une prise de judo faite sur le grand patron, alors grimé en concierge pour observer incognito le fameux examen d'entrée dans sa société. C'est déroutant, mais ça fait mouche, tout comme les quelques événements dépeints dans un premier opus riche en enseignements... et en émotions !
Avec ce premier volume, le monde de l'édition est brassé sous différents aspects, Réimp'! Montrant d'emblée une volonté de diversifier ses optiques en s'intéressant aussi bien à un auteur vétéran qui peine à s'accommoder à son lectorat d'aujourd'hui, aux dilemmes derrière les politiques d'impressions chez un éditeur, et les possibilités d'accentuer un succès par différentes actions conjointes avec les librairies. Parce que le milieu a beaucoup à dire, Naoko Mazda ne reste jamais dans les mêmes écueils d'une histoire à l'autre. Le sujet devient alors passionnant par cette diversité, par les explications fournies ci et là, et surtout par ses personnages.
Car si Kokoro est une tête d'affiche attachante, ses nouveaux collègues ont tous une part touchante d'eux à montrer à travers ces véritables missions éditoriales. Et là est la plus grande force de ce début de série : Sa générosité. Réimp'! S'impose déjà comme une série qui a du cœur, qui ne développe pas seulement un secteur du divertissement mais bien un pan culturel vecteur de bien des passions. C'est justement cet amour du livre et du manga qui animera chaque instant du récit, une énergie que l'ouvrage et ses personnages nous communique aisément. S'il est encore trop tôt pour juger l'œuvre dans son ensemble, cette épopée éditoriale sonne comme un cri d'amour de la part d'une autrice forcément concernée par les sujets brassés.
Le récit, outre les informations qu'il a à nous communiquer, joue donc sur une ambiance que la patte de Naoko Mazda accentue à chaque fois. Vivant, dynamique et sensible, le récit se permet parfois quelques excentricités visuelles pour mettre en relief les caractères des personnages, des plus explosifs aux plus discrets, le trait de l'artiste parvenant toujours à s'adapter à ces identités pour faire briller tout ce petit casting le long de ce premier volet. Si certains trouveront peut-être cette esthétique minimaliste en feuilletant l'opus, lui donner sa chance en tant que lecteur permettra sans nuls doutes de comprendre la patte de Naoko Mazda, et probablement de s'en amouracher.
Côté édition, Glénat offre son traditionnel format seinen, impliquant des cartouches de couleur marron sur la jaquette, et un papier fin de qualité correcte pour un ouvrage souple. On saluera notamment la belle maquette de couverture qui donne des allures de bible éditoriale, tout comme le travail de traduction de Djamel Rabahi qui sait retranscrire les subtilités de ton de la série, ainsi que le lettrage bien calibré d'Anne Demars.
Saisissant, surprenant, drôle, instructif, communiquant sa passion avec sincérité, Réimp'! Se dote dès ce premier tome de tout un tas de qualité qui font immédiatement mouche. Un premier tome qui a du cœur, et dont il serait dommage de se priver, potentiellement par quelques a priori sur le style développé par son autrice.