Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 25 Avril 2023
Quelques années sont passées, et la vie a suivi son cours pour Yotarô. Sur le plan personnel, il a épousé Konatsu et est ainsi devenu le père de l'enfant qu'elle porte et qui est issu d'une union qu'elle n'a jamais voulu dévoiler. Et côté rakugo, il est désormais devenu shin.uchi en prenant le nom de Sukeroku. C'est à travers l'adorable petit Shinnosuke, l'enfant de Konatsu et de Yotarô déjà âgé de quelques années, que l'on entrevoit toute la progression de notre personnage principal dans un début de tome particulièrement efficace: Yotarô est devenu très populaire auprès des personnes qui viennent encore voir du rakugo dans le yosé, il fait la fierté de son fils, et dans un bel élan il pousse même Konatsu à concrétiser quelque peu l'un de ses rêves. Mais devant lui plane l'ombre de l'homme qu'il respecte plus que tout: Yakumo. Le brillant rakugoka et puissant président de l'association de rakugo a beau proposer à Yotarô d'interpréter Inokori avec lui, il y met quelques conditions et susciter surtout quelques craintes auprès de certains de ses proches: sentant que l'âge d'or du rakugo est bel et bien révolu et que ce divertissement a été dépassé par bien d'autres de nos jours, ne souhaiterait-il pas "tuer le rakugo" après lui ?
Au vu de ces enjeux qui se dessinent, c'est alors avec intérêt que l'on se replonge dans la série de Haruko Kumota, au fil d'un quatrième et avant-dernier tome double où la mangaka fait encore parler, en premier lieu, tout son art pour retranscrire le charme de cette forme de spectacle si propre au Japon. En particulier, la dessinatrice excelle quand il s'agit de nous faire suivre certaines histoires de rakugo racontées par ses personnages, où elle nous invite à bien scruter toute la diversité, les nuances et la précision des gestes et des expressions des rakugokas. Egalement, l'autrice n'est pas avare en petites informations et réflexions sur cet art, que ce soit sur son côté un peu désuet aujourd'hui, sur sa faculté à traverser les époques malgré tout en restant authentique, sur différents modes d'expression dans le rakugo, ou même sur une jolie petite mise en valeur des yosé, bâtiments qui vieillissent aussi mais qui restent les témoins privilégier de ces spectacles à part.
Sur ces nombreuses qualités, la mangaka peut ainsi poursuivre un récit qui prend assurément un tournant soudain un peu avant le milieu du volume, en cristallisant en premier lieu une chose: Yakumo vieillit, son corps commence à lui échapper, si bien que bientôt il ne pourra peut-être plus être au meilleur pour l'art auquel il a dédié toute sa vie, si bien qu'il semble proche de prendre des décisions radicales, alors même qu'avec lui pourrait disparaître le dernier grand nom du rakugo de Showa. Et si cela questionne en premier lieu la place que prendra à l'avenir Yotarô en tant que possible rakugoka d'un nouveau type, tout ceci permet surtout à Kumota de poursuivre ses approfondissements touchants sur ses personnages, à commencer évidemment par le ressenti de Yotarô et de Konatsu face à ce qui arrive à Yakumo, tandis que Yakumo lui-même reste travaillé avec beaucoup de finesse dans son rapport à ses fantômes du passé liés à Sukeroku et Miyokichi ainsi que dans le secret qu'il veut à tout prix emporter dans la tombe pour protéger Konatsu. N'oublions pas, enfin, la place accordée à des personnages comme Mangetsu, Matsuda et Higuchi, chacun étant amené à prendre des décisions et à en révéler un peu plus sur son lien avec les autres et avec le rakugo.
Finement mis en scène et brillamment narré, le récit de Haruko Kumota reste magnifique, à la fois beau dans sa mise en avant du rakugo, et sensible et humain dans son travail effectué sur les personnages. Inutile de dire que l'on va se ruer sur le cinquième et dernier tome double, paru en France il y a quelques jours.