Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 04 Septembre 2025

Prolifique mangaka qui, en plus de 45 ans de carrière, s'est imposée comme une figure emblématique du manga féminin ayant considérablement influencé un grand nombre de ses congénères (en tête Ai Yazawa, la créatrice de Nana, qui a toujours beaucoup revendiqué son influencé), Ryo Ikuemi fait partie de ces autrices qui ne sont pas suffisamment publiées en France, si bien que pendant longtemps sa bibliographie française s'est résumée à trois titres: les courtes mais très bonnes séries Honey Bunny et Dites-moi que j'existe qui furent publiées par Panini en 2007-2008, et le chef d'oeuvre Puzzle, récompensé au Japon, et plusieurs fois Coup de coeur de notre rédaction pendant sa publication entre 2010 et 2013 par les éditions Delcourt à l'époque de leur collaboration avec Akata.

L'offre restait donc plutôt maigre autour de cette importance mangaka, mais depuis quelque temps le vent semble commencer à tourner grâce aux efforts des éditions Akata, celles-là même qui avaient fait découvrir Puzzle via Delcourt. Ainsi, en 2022 on a d'abord pu découvrir l'intéressante série en trois tomes Sans Complexe ?, et en cette année 2025 c'est une autre oeuvre assez populaire de l'autrice qui est lancée: Principal, série achevée en sept volumes et qui a été prépubliée au Japon entre 2010 et 2013 dans le magazine Cookie des éditions Shûeisha (magazine dont proviennent aussi Puzzle et Nana, entre autres).

Principal, c'est l'histoire de Shima Sumitomo, adolescente qui n'a pas vraiment eu la vie facile jusqu'à présent. A l'école, pour certaines raisons elle a fini par devenir une paria, exclue par celles qui se prétendaient ses amies, au point de ne plus oser aller en cours. Et à la maison familiale qui est censée être un refuge, cela fait bien longtemps que sa mère a divorcé et que, depuis, elle passe de conquête en conquête, si bien que la jeune fille a déjà eu droit à plusieurs beaux-pères et qu'elle ne s'entendait vraiment pas avec le dernier en date. Alors, l'adolescente a choisi de tourner la page, et de quitter Tokyo pour aller vivre à Sapporo dans la maison de son père, célibataire endurci qu'elle n'avait pas vu depuis dix ans. Tout en étant accueillie à bras ouverts par celui-ci, la jeune fille, pour ses années de lycée, s'est fait deux promesses: ne jamais se laisser dominer par ses sentiments du moment afin de ne pas devenir comme sa mère, et éviter de trop l'ouvrir à l'école pour être sûre d'éviter tout problème et de se retrouver à nouveau traitée en paria. Dans cette optique, tout semble d'abord assez bien se passer: Shima tâche de s'acclimater doucement mais sûrement à son nouveau cadre de vie et aux petites différence que Sapporo a par rapport à Tokyo, s'appliquer à lier des relations amicales qui sont censées ne pas lui poser de soucis même si la dénommée Haruka a plutôt une réputation de vipère hypocrite... Mais ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était de se retrouver liée aux deux garçons les plus populaires de son nouveau lycée: Wao, son nouveau voisin aussi beau que gentil, et son ami d'enfance Gen, une grande gueule pourtant aux petits soins avec son meilleur pote.

Reprenant la bonne vieille recette de la jeune fille se retrouvant soudainement à fréquenter les deux garçons les plus populaires du lycée, Ryo Ikuemi évite pour l'instant fort bien toutes les grosses ficelles sentimentales habituelles de ce genre de pitch, et c'est tout ce que l'on attendait d'elle: la mangaka est effectivement surtout réputée pour sa faculté à aborder avec réalismes ses personnages, leur psychologie et leurs relations, et c'est exactement ce qu'elle commence à faire ici aussi avec beaucoup de talent. Ainsi comprend-on immédiatement, au vu de tout ce qu'elle a vécu auparavant, pourquoi Shima est telle qu'elle est, et pourquoi elle peut parfois voir les fantômes de son passé ressurgir, à l'image des instants où elle a peur de se retrouver à nouveau exclue. C'est aussi ça qui explique son comportement vis-à-vis des deux garçons et plus encore de Wao: commençant à se sentir attirée par ce dernier alors qu'elle s'est promis de ne pas céder à ses sentiments, elle veut néanmoins en savoir plus sur lui et l'aider, mais craint en même temps de devenir trop intrusive. Et si l'on dit "aider", c'est bien parce que Shima n'est pas la seule à être développée: dès ce premier volume on commence à entrevoir la condition de Wao, celle de Gen, l'histoire commune de ces deux-là, avec tout ce que ça peut impliquer de complexité supplémentaire dans les relations qui commencent à se construire entre les personnages. A cela, la mangaka ajoute aussi des questions familiales où le père de Shima, sa mère, la mère de Wao ou encore la grande soeur de Gen sont autant d'autres personnages autour desquels toute une toile relationnelle commence déjà à se mettre en place, au point d'avoir sans doute de nombreuses influences dans les tomes à venir.

Sur le plan graphique, retrouver le dessin d'Ikuemi, à la fois fin, expressif sans en faire trop et assez réaliste, est un plaisir, tout comme profiter à nouveau de ses découpages assez spécifiques (notamment les contours noirs et certaines destructurations des planches) qui accompagnent soigneusement les développements et émotions des personnages.

La mission est alors fort bien accomplie par ce premier volume au fil duquel la talentueuse et expérimentée autrice pose tout ce qu'il faut. Jouant habilement entre famille, amour et amitié, Ryo Ikuemi tisse déjà une toile relationnelle assez dense, réaliste et crédible qui devrait lui permettre de développer en profondeur ses personnages et d'aborder un paquet de thèmes plus amples (en tête les brimades et l'exclusion ainsi que le besoin de se reconstruire).

Côté édition, saluons en premier lieu la jaquette, pour laquelle Tom "spAde" Bertrand a très soigneusement adapté la version originale japonaise au niveau des textes et du logo-titre, sans dénaturer quoi que ce soit. Et à l'intérieur, on trouve un papier souple et assez opaque, une impression convaincante, un lettrage très appliqué de la part de Catherine Bouvier, et une traduction très efficace car Anaïs Koechlin a tâché de la rendre vive et naturelle dans la manière de parler des personnages. Enfin, n'oubliez pas de retire la jaquette pour profiter, sur la couverture, des petites aventures de la vraie héroïne de cette histoire !


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction