Poor Little Mina - Manga

Poor Little Mina : Critiques

Kawaisou na Miina

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 17 Octobre 2024

Après une absence beaucoup trop longue, la talentueuse Ebine Yamaji s'offre décidément une belle actualité française dans cette dernière partie d'année 2024: après le superbe ouvrage "Le monde dans leurs yeux" qui est sorti le mois dernier aux éditions Vega-Dupuis et qui fut auréolé de notre Coup de coeur hebdomadaire, la mangaka s'offre une deuxième parution en un mois, cette fois-ci dans la collection Moonlight des éditions Delcourt/Tonkam, avec Poor Little Mina, un recueil qui est sorti au Japon en juin 2022 aux éditions Enterbain, et qui regroupe deux histoires d'environ 100 pages chacune que l'autrice a dessinées entre 2017 et 2022 pour le prestigieux magazine Comic Beam, magazine auquel elle est fidèle depuis une dizaine d'années.

La première histoire nous immisce auprès de Mina, une jeune fille de 17 ans qui est malade de naissance, et dont la santé fragile l'oblige quasiment toujours à rester dans son lit. Alors quand, à l'approche de son 18e anniversaire, elle se réveille un matin suffisamment en forme pour aller pique-niquer avec ses parents, elle est tout en joie ! Mieux encore, lors du pique-nique, son habituelle solitude s'envole suite à sa encontre avec un jeune homme qui montre beaucoup de gentillesse à son égard, au point de lui offrir une bague. Mais hélas, il s'agira là du dernier beau souvenir de Mina en tant que vivante puisque, trois jours plus tard, sa maladie l'emporte... pour faire d'elle un fantôme. En effet, dans son cercueil, au moment de rejoindre le monde des morts, Mina loupe le coche, trop occupée à penser au garçon qui a été si gentil avec elle et qu'elle aimerait revoir. Errant seule dans le monde des vivants où plus personne ne la voit et ne peut lui répondre, elle finit par retrouver le jeune homme et décide, même si celui-ci ne peut aucunement communiquer avec elle, de s'installer chez lui. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que sa décisions pourrait finir par avoir de graves répercussions...

Ebine Yamaji nous offre donc ici une histoire de fantôme,mais pas comme on a l'habitude de les lire: rien d'effrayant ici, bien au contraire, puisque la première partie de l'histoire nous permet très facilement de nous attacher à Mina, jeune fille qui est dans un premier temps la narratrice de sa propre histoire, et que l'on voit seule à la fois en tant que vivante à la santé fragile puis en tant que fantôme. Et pourtant, rien de trop dramatique non plus: Yamaji a le bon goût de ne jamais forcer sa narration dans des choses larmoyantes, et se permet même quelques notes d'humour, en particulier dans les premiers temps de Mina en tant que fantôme. La suite du récit, elle, suit un déroulement classique où Marcel (le jeune homme qui a offert la bague à Mina) et son entourage doivent trouver un moyen de faire rejoindre le paradis à Mina avant que le pire n'arrive, pour un résultat standard dans le déroulement mais très joliment tourné sous la patte de cette autrice: tout en nous laissant nous prendre encore plus d'empathie pour Mina qui ne se rend naïvement pas compte qu'elle agit comme une sorte de poison sur les vivants qu'elle côtoie, Yamaji en profite surtout pour cristalliser toute sapeur de la solitude, elle qui était déjà enfermée dans sa chambre quand elle était vivante et qui, même une fois morte, peine encore à communiquer avec les autres.

Dans la deuxième et dernière histoire de ce recueil, la mangaka s'essaie à l'adaptation d'une nouvelle étrangère, ce qui est une première dans sa carrière. C'est Immensee, une nouvelle écrite par l'allemand Theodor Storm au milieu du 19e siècle, qui a attiré son attention au point de vouloir la mettre en images. Tout commence par la vision d'un vieil homme nommé Reinhard et par le regard triste qu'il pose sur le cadre d'une jeune fille, Elisabeth, accroché à son mur. Puis arrive un long flashback en forme de souvenir précieux qui débute sur l'enfance de Reinhard, 10 ans, et Elisabeth, 5 ans, inséparables et s'étant fait une belle promesse dès leur plus tendre jeunesse: se marier quand ils seront grands. Les années passent et rien ne semble devoir entacher les sentiments toujours plus forts que ces deux-là se portent. Mais Elisabeth a beau être tour pour Reinhard au point que celui-ci écrit des poèmes sur elle, vient le jour où le jeune homme choisit de quitter le bourg natal pour ses études. Les deux jeunes gens ont beau s'être promis de s'écrire souvent, les études de Reinhard et sa découverte d'autres lieux et d'autres personnes l'éloignent peu à peu de sa promesse,si bien que quand il en prendra conscience il sera peut-être déjà trop tard...

Dans cette seconde histoire aussi, le déroulement est assez classique, même s'il l'était peut-être un peu moins au 19e siècle. Au fil des années, Reinhard et Elisabeth sont on ne peut plus proches, puis s'éloignent, puis se retrouvent,puis s'éloignent de plus belle, toujours sous l'impulsion des choix de vie de Reinhard qui a peut-être perdu de vue l'essentiel, jusqu'à une issue soulignant simplement la manière dont on peut sacrifier sa jeunesse pour les études et les ambitions. La patte de Yamaji est ravissante pour porter ce type de récit,dans lequel elle amène même quelques élans de lyrisme. La mangaka avoue elle-même avoir fait énormément attention à sa mise en images dans cette adaptation, et cela se ressent très souvent à travers ses vues, ses compositions, des découpages soignés, les pauses narratives qu'elle y fait parfois, les poses de ses personnages, ou même la jolie petite métaphore visuelle autour du nénuphar aussi inatteignable qu'Elisabeth. Et pour rester sur le pur plan visuel, de manière générale le trait régulier, fin, assez épuré, très blanc et parfois contrasté de l'autrice fait des merveilles sur les deux histoires, en dégageant une sensibilité assez retenue.

Nous voici donc avec un recueil fort joli, nous invitant à retrouver le style toujours aussi ravissant et bien mûri d'Ebine Yamaji, mais cette fois-ci au service d'un récit de fantôme puis d'une adaptation de nouvelle, soit deux facettes que l'on ne connaissait pas encore vraiment chez l'autrice, elle que l'on retient surtout pour ses excellents portraits de femmes (mais mine de rien, ici aussi, entre Mina et Elisabeth, nous avons des portraits féminins ayant du sens). Une jolie petite lecture qui est,en plus, servie dans une très belle édition, attirant l'oeil dès sa jaquette très joliment composé, restant proche de l'originale nippone et se parant de jolis éléments en vernis sélectif dont un qui met en valeur le statut fantomatique de Mina. L'intérieur, lui, propose un papier souple et assez opaque, une qualité d'impression très correcte, un lettrage propre de Tomoko Benezet-Toulze, et une traduction claire de la part d'Essia Mokdad. Enfin, remarquons le contour noirci des pages, offrant un certain cachet et cet objet-livre.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs