Pineapple army Vol.1 - Manga

Pineapple army Vol.1 : Critiques

Pineapple army

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 09 Octobre 2024

C'est une nouvelle que les fans de Naoki Urasawa espéraient depuis des années: 26 ans après l'abandon de la première édition française par Glénat après seulement un volume, le manga Pineapple Army a fait son retour dans notre langue il y a quelques jours, grâce à la collection Sensei des éditions Kana. Cette nouvelle édition est vouée à compiler les huit volumes d'origine en trois gros pavés d'environ 600 pages chacun, à un prix de 18,50€ par tome.

Initialement prépublié au Japon entre 1985 et 1988 dans le magazine Big Comic Original des éditions Shôgakukan, ce manga fut la toute première série d'Urasawa, où il n'était qu'au dessin puisque le scénario est l'oeuvre de Kazuya Kudô, un auteur que l'on connaît aussi en France pour les scénarios des séries Le flic de la nuit (éditions Black Box) et Mai the Psychic Girl (dessinée par le grand Ryoichi Ikegami, autrefois partiellement éditée en France par Semic dans les années 1990, et qui fera son retour chez Vega-Dupuis en 2025), et qui est essentiellement connu dans son pays d'origine pour ses histoires d'action assez brutes.

Le principe de cette oeuvre est on ne peut plus simple sur le papier: on y suit Jed Goshi, un ancien mercenaire nippo-américain, devenu instructeur militaire, et mettant à profit son expérience pour diverses missions qui l'emmènent sur tous les continents et sur tout type de conflits. Mais il arrive souvent que ses clients les plus imprévisibles mettent un peu à mal son professionnalisme à toute épreuve, si bien que ses missions se terminent rarement sans casse...

Si l'on excepte une affaire s'étirant sur trois chapitres pour un total d'environ 100 pages, ce premier tome de 600 pages se compose de chapitres auto-conclusifs d'environ 25-30 pages chacun et proposant donc à chaque fois une nouvelle mission. Au vu du format court de chacune de ces affaires, Kazuya Kudô rentre alors toujours très rapidement dans le vif du sujet, quitte à ce que les affaires restent un peu lisses dans leur déroulement, et d'autant plus que le scénariste, en tant que spécialiste de récits d'action avant tout, aime aussi s'attarder sur les moments où ça se bat, où ça mitraille et où ça explose. Qu'on se le dise donc tout de suite: on n'a pas là la finesse d'écriture de Naoki Urasawa, ce qui est logique puisque le maître n'était qu'au dessin sur cette série. Pineapple se présente avant tout comme un divertissement d'action assez brute... ce qui ne l'empêche aucunement à la fois d'aller un peu plus loin et de, déjà, laisse apparaître ce que deviendra le style Urasawa.

De ce côté-là, ce qui marque avant tout, c'est l'ancrage du manga dans la réalité de son époque et des quelques décennies mouvementées qui ont précédé pendant le XXe siècle. Non content de faire référence à des organisations et contextes d'alors (par exemple, le régime politique de Mitterrand en France, ou celui de Kadhafi en Libye), Kazuya Kudô fait aussi écho à beaucoup de chose issues du passé récent du récit: la Guerre du Vietnam, les conflits arabes, les prises d'indépendance de pays africains, l'état de l'Inde après l'assassinat de la première ministre Indira Gandhi, liens du Honduras avec les USA... Sans forcément aller en profondeur sur ces sujets, le scénariste s'en sert avec immersion comme d'une toile de fond géopolitique à même de bien servir les missions diverses et variées de Jed, missions jamais lassantes puisqu'elles alternent suffisamment entre protection, défense, attaque, traques, enseignements d'autodéfense ou même petits drames du quotidien.

Cet aspect de la série peut rappeler volontiers l'oeuvre suivante d'Urasawa, à savoir Master Keaton, où cette fois-ci il mettait en images un scénario de Takashi Nagasaki et de Katsushika Hokusei, et où l'on retrouve un peu le même schéma: des contextes géopolitiques ancrés dans leur époque, des variations de tonalité selon les histoires... si bien qu'en enchaînant ainsi deux séries de ce style dans ses premières années de carrière, on cerne bien l'origine du goût d'Urasawa pour ensuite si souvent ancrer ses thrillers dans l'Histoire de notre monde ! Mais les points communs de Pineapple Army et de Master Keaton ne s'arrêtent pas tout à fait là: on y retrouve aussi une manière assez habile de nous plonger immédiatement auprès du personnage principal sans nous dire grand chose de lui, pour ensuite introduire de temps à autre quelques détails de son passé à travers certaines missions et ses retrouvailles avec de vieilles connaissances. Toutefois, par rapport à Master Keaton qui mettait vite en place quelques personnages récurrents truculents, ici les visages secondaires sont pour l'instant bien moins marquants, hormis deux ou trois têtes (coucou Janet et Charlotte).

Que dire d'autre ? Sans doute deux choses. Tout d'abord, une galerie de personnages féminins qui sont rarement là pour faire de la figuration, qui ne se laissent pas faire (même si elles ne s'en sortent pas toujours indemnes) et qui se veulent généralement assez fortes chacune à leur manière, élément intéressant quand on sait à quel point les séries suivantes d'Urasawa seront bourrées de personnages féminins forts. Ensuite, un dessin forcément daté et perfectible puisqu'il s'agissait de la première série d'Urasawa, mais où l'on remarque déjà pas mal des spécificités qu'il développera pendant les décennies suivantes, entre un découpage rythmé, des décors et équipements réalistes, et des designs bien différents et expressifs où les personnages ont généralement leurs petites particularités physiques.

A l'arrivée, il est plaisant de voir enfin comblé en France ce gros manque dans la bibliographie de Naoki Uasawa. Pineapple Army a beau être un peu daté et reste simple dans son écriture, le divertissement reste assuré, et on se plaît beaucoup à y chercher les origines du style Urasawa. C'est donc avec plaisir que l'on rempilera pour les deux pavés suivants, d'autant plus que le rapport qualité/prix proposé par Kana est très correct: le grand format se prête bien à ce type d'oeuvre (et puis de toute façon, un pavé de 600 pages en petit format aurait été improbable), la traduction de Thibaud Desbief est claire, le travail d'adaptation graphique d'Eric Montésinos est propre... et surtout, grâce à un papier à la fois souple, fin, très léger et assez opaque, on a droit à une qualité d'impression très correcte et à une prise en main facile malgré les 600 pages et quelques.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs