Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 29 Août 2025
Un nouveau manga de fantasy débarque dans le catalogue des éditions Komikku en cette fin août: Le Royaumes d'Orcsen. Le mangaka Takeshi Nogami, dont la carrière dure au Japon depuis plus de vingt ans mais que nous ne connaissions jusque-là en France que pour sa participation à une anthologie collective de Lycoris Recoil, adapte ici un light novel inédit en France, écrit depuis 2021 par Kyouichirou Tarumi et illustré par Thores Shibamoto. Cette adaptation manga compte quatre volumes au Japon à l'heure où ces lignes sont écrites, et suit son cours là-bas depuis 2024 sur la plateforme Comic Nova des éditions Hifumi Shobo sous le titre (retenez votre souffle) "Orcsen ôkokushi: Yaban na ôku no kuni wa, ikanishite heiwa na elf no kuni wo yakiharau ni itatta ka" (un titre à rallonge que l'on peut traduire en "L'histoire du Royaume d'Orksen : Comment la nation barbare des orcs en est venue à brûler la paisible nation elfique" ).
Tout commence ici par ce qui est un horrible nettoyage ethnique au sein d'Elfind, nation elfique qui n'est donc pas si paisible que ça, dès lors que les 70000 elfes de la nuit, qui vivaient tranquillement en tribu, commencent à être massacrés par les elfes du jour. Parvenant à se sortir vivante de cette purge avec quelques-unes de ses semblables, la matriarche des elfes de la nuit Dinéluth Andariel, à bout de forces, se retrouve secourue par des orcs, tout comme ses compagnes de mésaventure. Au sein du royaume orc d'Orcsen qu'elles avaient combattu plus d'un siècle auparavant, les elfes de la nuit rescapées craignent déjà le pire, tant la réputation des orcs est terrible: répugnants, vicieux, incivilisés, guidés par leur appétit sexuel, capables de cannibalisme... mais la rencontre de Dinéluth avec Gustave Falkenhayn, le roi d'Orcsen, risque bien de la décontenancer totalement, en bien. Elle découvre un individu gentil, bon, à tel point que quand elle le supplie de l'aider à sauver son peuple à Elfind quitte à ce qu'en contrepartie elle devienne son esclave, Gustave accepte d'exfiltrer les elfes de la nuit ayant survécu, mais en proposant tout autre chose à notre héroïnes: qu'elle et son peuple s'installent en sûreté dans son royaume, qui accueille déjà toutes sortes d'espèces.
Au-delà de la part de fantasy brutale où la guerre est susceptible d'éclater à tout moment, ce premier volume voit surtout les auteurs poser avec efficacité et curiosité les bases de leur univers, à travers les yeux de Dinéluth qui, en même temps que ses compagnes, va découvrir un royaume d'Orcsen à des années-lumière de ce qu'elles imaginaient, loin des souvenirs de la guerre entre elfes et barbares orcs qui eut lieu 120 ans auparavant. Entre une capitale accueillante, une civilisation avancée même en matière d'agronomie, ou encore un sens de l'accueil pour tous les peuples qui le souhaitent si bien qu'il y a un côté très cosmopolite (orcs et elfes bien sûr, mais aussi kobolds, nains, loups géants...), les elfes de la nuit ont de quoi se réjouir, et Dinéluth a sans cesse l'occasion d'être admirative face à un roi bienveillant, ayant fait les bons choix pour développer son pays, ne semblant avoir aucune arrière-pensée vicieuse (il ne profite aucunement de sa condition de roi pour abuser de ses pouvoirs), étant aussi un fin stratège... et cela, même si elle pourra aussi observer avec amusement ses petits défauts comme son insouciance ou son grand appétit. A vrai dire, Gustave est si radicalement différent de l'image habituelle des orcs que notre héroïne en vient même à se demander s'il en est réellement un, et c'est là une piste qui pourrait gagner en intérêt sur la longueur.
Cependant, derrière tout ça, les auteurs mettent aussi en place un univers aux multiples influences européennes (un peu prusses, scandinaves, latines, et surtout beaucoup allemandes avec en particulier beaucoup de termes liés à la Deuxième Guerre mondiale) que ce soit dans les noms ou dans les paysages et architectures, et où le contexte de guerre imminent donne lieu à quelque chose de très militarisé, ce qui explique aussi le côté stratège de Gustave et le fait que ce soit surtout l'armée qui semble dirige le pays. Evidemment, il faudra accrocher à cet aspect militaire prononcé, mais dans tous les cas il faut reconnaître que les auteurs l'exploitent pour l'instant efficacement sous de nombreux aspects, et qu'il sera sans doute intéressant de suivre les affrontement qui arriveront inévitablement, que ce soit dans le cadre de la future vengeance contre Elfind ou du besoin de se préparer face à certaines possibles invasions, notamment des humains.
Cette atmosphère de "fantasy militaire" se voit, qui plus est, bien rendue par les dessins de Takeshi Nogami, celui-ci s'appliquant beaucoup dans les uniformes et les armes, mais aussi bien sûr dans les designs des différentes espèces qui, sans chercher une originalité particulière (les orcs ont des physiques porcins, les elfes de la nuit ont le teint marron avec de grandes oreilles, la routine en somme), sont soignés et participent beaucoup à l'immersion. Les choix d'adaptation par rapport au light novel sont eux aussi toujours clairs, même si parfois on sent vraiment beaucoup certaines coupures faisant que le récit avance par moment de manière un peu abrupte.
Reste que, dans l'ensemble, la mission est fort bien accomplie pour ce premier tome, qui a tout ce qu'il faut pour intriguer et donner envie de découvrir la suite. Au-delà de tout le contexte guerrier et militaire qui devrait plaire aux amateurs, on se demande surtout quels secrets pourrait bien cacher le roi d'Orcsen Gustave, et le découvrir à travers les yeux d'un autre personnage en la personne de Dinéluth a quelque chose d'assez stimulant.
Côté édition française, enfin, c'est propre dans l'ensemble: la jaquette est soigneusement adaptée de l'originale japonaise, le logo-titre est bien pensé, le papier souple, assez épais et bien opaque permet une qualité d'impression satisfaisante, la traduction de Jordan Mangeon s'en sort bien même si certains tournure de phrases paraissent un peu poussives et moins naturelles, et l'adaptation graphique du Studio Charon et soignée. Soulignons aussi la présence d'un carte postale en couleurs détachable en guise de sympathique bonus.