Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 09 Avril 2024
Prépublié au Japon en 2021 dans le magazine Canna des éditions Printemps Shuppan sous le titre "Ikotsu no Tabiji" (dont le titre français est une traduction très proche), et paru dans notre langue au mois de janvier dernier aux éditions Hana, Le périple des cendres est la toute première publication française de Conro, une mangaka qui, après avoir fait ses armes dans le milieu amateur à travers plusieurs doujinshi (dont beaucoup sur Kuroko's Basket), a débuté dans le milieu professionnel du manga en 2015 et, depuis, poursuit sa carrière exclusivement dans le domaine du yaoi.
Dans ce récit en sept chapitres (plus un petit épilogue exclusif au volume broché, pour un total d'environ 190 pages), tout commence par un drame: le suicide Hajime, qui a mis fin à ses jours en se jetant par une fenêtre et en laissant sa famille endeuillée, que ce soit son père qui comptait faire de lui un grand médecin, ou son petit frère Tokio qui se demande pourquoi il a fait ça. Pourtant, voici un bon moment que Tokio avait pris ses distances avec ses proches qui le rabaissaient souvent en le comparant à son parfait grand frère, ce qui fait que le jeune homme restait également très froid et distant envers Hajime. Pourtant, désormais, Tokio a des regrets, en se disant qu'il aurait peut-être dû prêter une oreille plus attentive à Hajime quand il voulait passer des moments avec lui, et en ne pouvant s'empêcher de penser que, dans le fond, il ne connaissait sans doute tant que ça ce frangin qui, derrière ses allures de perfection et de réussite, cachait vraisemblablement lui aussi des zones de douleur. C'est dans ce contexte que quelque temps après le décès, Tokio a la surprise plutôt sinistre de surprendre un jeune homme sur le point de voler l'urne funéraire de Hajime. Il s'appelle Ren, il affirme qu'il avait un lien fort avec le défunt, et il compte bien partir avec ses cendres pour un ultime voyage qu'ils devaient faire ensemble. Tokio décide alors de l'accompagner dans ce voyage, dans l'espoir d'en découvrir davantage sur son frère disparu, et sans savoir que cela lui apportera encore bien plus.
Avec son titre lugubre et son pitch démarrant par une mort, Le périple des cendres avait largement de quoi intriguer, et l'on pouvait notamment espérer un récit poignant autour du deuil et des regrets. Mais même si ces deux sujets sont effectivement présents, le traitement qu'en fait la mangaka reste malheureusement minime, totalement en surface et donc très lisse, malgré les idées classiques mais intéressantes autour des pressions parentales et de l'impossibilité de choisir la voie à donner à sa propre vie. Si bien qu'en réalité, tout retombe assez vite dans un scénario basique où, derrière les promesses de départ, on a finalement droit à une histoire d'amour de plus... et qui plus est une histoire d'amour qui ne convainc que très moyennement, tant Tokio semble tomber amoureux en deux secondes, du tout au tout. Pourtant, il y a quelques moments plus touchants et assez convaincants: les instants où les deux voyageurs parlent plus intimement du défunt, la façon dont Ren finit par se confier sur ses sentiments, la vérité sur ce que ressentait réellement Hajime... mais tout ceci est vite abordé au milieu du reste, en paraissant alors trop lisse là aussi. Et ne parlons pas du fameux voyage, du périple donnant son nom au titre de l'oeuvre: jamais spécialement mis en avant, il ne se ressent pas beaucoup.
Sur le plan visuel aussi, Conro oscille entre le sympathique et le moins convaincant. Assez propres dans l'ensemble, son dessin et son découpage manquent toutefois de personnalité. Plus particulièrement, les trames sont souvent grossière, et surtout l'ensemble souffre de quelques quelques gros soucis de mouvements (à un moment, l'un des personnages a la tête tournée de façon improbable qui devrait lui valoir un coup du lapin), de perspective (comme une tasse de café qui semble défier les lois de la gravité) et d'anatomie (certains nez très bizarres quand ils sont de profil).
On ressort alors de cette lecture sur une impression mitigée: sans nous faire passer un mauvais moment, Le périple des cendres donne l'impression de passer en grande partie à côté des possibilités qu'offrait un tel sujet de départ, pour finalement tomber très vite dans une intrigue banale et trop lisse. Qui plus est, l'édition française peine à être à la hauteur elle aussi avec un papier trop transparent, des moirages trop réguliers dans l'impression, et un lettrage très simple. Reste la traduction de Vanessa Gallon, tout à fait honnête.