Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 22 Septembre 2011
« Il est hors de question que je salisse cette arme avec du sang d’innocents. »
« Vous là ! Oui vous, qui vous entrez dans mon saloon par hasard, asseyez-vous, prenez donc une pinte et détendez-vous ! Saviez-vous au moins que vous êtes ici dans un lieu historique ? C’est ici même, dans ce bar, dans notre bonne vieille ville de Schwarz, qu’a débuté la légende du plus grand pistolero que l’Ouest a connu : j’ai nommé Hope Emerson ! Oui, c’est ça, celui-là même qui avait reçu des mains de son père mourant son redoutable revolver, le Pacificateur. On en a entendu beaucoup sur lui, mais que de mensonges ! A l’époque, c’était pas encore un grand duelliste, il valait guère plus qu’un clochard… mais je l’ai vu moi, avec mes jeunes yeux, lorsqu’il a dézingué Hans Giles en plein milieu de la grand-rue ! Hélas, en s’en débarrassant, il a aussi cherché noise aux terrifiants Crimson Executers, mais c’est aussi comme ça que tout a commencé…
Comment, vous voulez connaître la suite ? Fort bien, mais avant cela, reprenez donc un verre ! »
Loin de tout le folklore nippon que nous avons l’habitude de retrouver, le western est sans doute l’un des genres les moins représentés dans le marché du manga, même si certains titres s’en inspirent grandement. Des années après l’anecdotique Et Cetera, l’éditeur Glénat refait parler la poudre avec Peace Maker, nouveau titre phare de Ryouji Minagawa, encore en cours au Japon dans le mensuel Ultra Jump. Dans sa trépidante série Arms, l’auteur avait déjà manifesté sa passion pour le genre en offrant même quelques aventures à ses héros dans l’ouest sauvage. Le mangaka nous fait découvrir ici sa vision très personnelle du far west, dans un monde sublimé qui n’est pas tout à fait le notre, où le duel au pistolet est devenu une source de spectacle permanent.
Les premières pages silencieuses nous font rapidement plonger dans cet univers où les balles et le sang semblent monnaie courante. Pourtant, le désespoir n’est pas de mise : si tout semble pouvoir se résoudre à coup de guns, les grandes villes semblent avoir trouvé un équilibre en montant des paris, et la foule se réjouit de ces affrontements où la différence est lourde entre vainqueur et vaincu. C’est dans cette ambiance que nous ne tardons pas à rencontrer notre héros, Hope, constatant avec dépit les dérives de cette société. Derrière cet insouciant vagabond se cache pourtant l’héritier du célèbre Peace Emerson, et le jeune homme finira par prendre part aux combats, bien qu’il jure ne vouloir tuer que des « démons » avec son arme. Bien que la série soit considérée comme un seinen, le canevas de ces premiers chapitres nous rappelle des lectures plus jeunes au vu de l’accumulation de stéréotypes. Le héros empli de justice, passe pour un looser tant qu’il n’est pas avec l’arme au poing. Il sera vite rejoint dans son errance par une jeune fille très mature pour son âge, Nicola, voyant en lui un espoir de se débarrasser des Crimson Executers qui ne tarderont pas à croiser sa route. Enfin, Kyle, joueur invétéré, prend le rôle du faire-valoir un brin charmeur et roublard. Malgré quelques clichés, le trio reste attachant, chacun prenant à son tour un peu d’ampleur au fil du volume…
Pour l’instant, les péripéties restent assez sommaires : le groupe arrive dans une nouvelle ville, Hope rechigne à jouer du pistolet jusqu’à ce que la situation dégénère vraiment, il décide alors d’intervenir et tout se résout d’un simple tir. Pourtant, derrière des situations convenues, le travail narratif de Minagawa fait le reste. À l’évidence, son montage très cinématographique exprime à merveille les nombreux évènements. Parfois, il s’aventure à des points de vues inattendus pour faire ressortir la tension de son récit, tandis que chaque épisode est ponctué d’une double page lorsque Hope appuie sur la gâchette, pour accentuer l’aspect solennel du geste ! En revanche, certains lecteurs pourront ne pas apprécier le découpage très régulier des cases pouvant apporter une forme de froideur à l’ensemble, mais il s’agit là d’une des marques de fabrique du mangaka, à laquelle on finit par s’habituer bien vite.
Ryouji Minagawa n’a d’ailleurs pas bouleversé son travail graphique depuis Arms et D-Live!! : le trait se veut réaliste, les visages peu propices à des déformations, même s’ils manquent parfois de régularité. En revanche, son travail sur les décors, déjà remarquable dans les séries précédentes, apporte beaucoup de réalisme à l’ensemble pour renforcer notre immersion. L’édition de Glénat est satisfaisante, avec un papier de qualité, la préservation des pages couleurs, et une sur-couverture à texture gaufrée pour renforcer l’aspect ancien. On pourra regretter l’absence de plus-value sur des bonus inexistants. Il y a pourtant tant à dire sur le genre !
Après le très mésestimé Arms, Ryouji Minagawa nous revient avec une série d’action trépidante, dans un univers que nous sommes peu amenés à cotoyer. Si pour le moment, les évènements paraissent encore assez légers, laissant apparaître les faiblesses et facilités du récit et des personnages, la dynamique de la narration saura ravir les amateurs d’action et de gunfights. Un savoureux menu, à la bonne sauce western, mais sans les spaghettis !