Pays des cerisiers (le) - 2e Edition - Actualité manga
Pays des cerisiers (le) - 2e Edition - Manga

Pays des cerisiers (le) - 2e Edition : Critiques

Yunagi no Machi Sakura no Kuni

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 31 Août 2023

Chronique 2 :


Voici bien trop longtemps, depuis la sortie du deuxième et dernier tome de Dans un recoin de ce monde en novembre 2013 (et exception faite d'un coffret ayant regroupé les deux volumes de cette série en septembre 2017), que nous n'avions plus rien eu de la part de l'excellente Fumiyo Kouno en France, cela ayant été dû en grande partie au changement d'éditeur de la mangaka au Japon: celle-ci s'est effectivement séparée de son éditeur historique Futabasha il y a quelques années pour rejoindre les éditions Coamix, ce qui a mit fin à tous les contrats et empêché la réimpression de ses titres en France. Mais cette malheureuse situation a ouvert la voie à de nouvelles opportunités et a permis à Kouno de repenser la charte graphique de ses rééditions, apportant des améliorations à chaque nouveau volume via l'ajout de plusieurs suppléments inédits qui n'étaient pas présents dans les anciennes éditions. Ainsi, c'est en grandes pompes que cette artiste essentielle fait enfin son retour dans notre pays en cette fin août, toujours au sein de la collection Made In des éditions Kana, avec d'un côté Les Fleuristes du coin de la rue (la toute première série de sa carrière, datant de 1995 et jusqu'à présent inédite en France), et de l'autre côté une nouvelle édition enrichie de l'un de ses mangas les plus réputés: Le Pays des Cerisiers, alias Yunagi no Machi Sakura no Kuni en version originale, oeuvre dont elle prépublia initialement les trois chapitres dans le magazine Manga Action de Futabasha.

Première oeuvre de Fumiyo Kouno à être parue en France au mois d'avril 2006, Le Pays des Cerisiers arriva dans notre pays avec une réputation on ne peut plus flatteuse: Grand Prix du Japan Media Arts Festival en 2004 et "Creative Award" du Prix Culturel Osamu Tezuka l'année suivante, ce manga d'à peine 100 pages, en seulement trois chapitres à la fois indépendants et connectés entre eux, a su développer avec brio son sujet, à savoir la bombe atomique de Hiroshima et ses conséquences sur les civils pendant les décennies qui ont suivi.

Le livre s'ouvre sur l'année 1955. A Hiroshima, dix années après la bombe atomique, Minami Hirano, jeune femme de 23 ans, poursuit sa vie dans une apparente insouciance. Lorsqu'elle ne travaille pas avec entrain dans son entreprise de vêtements avec ses collègues, elle s'occupe de sa mère, ou alors s'entretient avec Uchikoshi, un jeune homme amoureux d'elle, pour lequel on devine rapidement qu'elle éprouve aussi quelques sentiments. Tout simplement, elle tente de poursuivre sa vie, comme si de rien n'était... Mais peut-on oublier si facilement ce sinistre jour d'août 1945 ? A chaque fois que Minami voit le bonheur arriver devant elle, elle ne peut s'empêcher de songer à nouveau au passé. De culpabiliser en repensant à la manière dont elle a pu échapper au pire pendant que d'autres gisaient ou étaient déjà morts. De revivre les traumatismes, les pertes d'êtres chers provoquées par ce drame. De s'interroger sur la place qu'elle doit désormais occuper dans ce monde alors que d'autres n'ont pas survécu. Pourquoi ceci est-il arrivé ? A-t-elle le droit d'être heureuse ? Et plusieurs années plus tard, ceux qui ont lancé la bombe atomique sont-ils heureux de savoir que des humains souffrent encore de ce qu'ils ont fait par le passé ?
Avec son habituel trait doux, enfantin et presque naïf, Fumiyo Kouno croque, en seulement une trentaine de pages, un portrait psychologique fort, touchant, tragique mais sans pathos, d'une jeune femme qui ne demande rien d'autre que de retrouver une vie normale et heureuse. Mais la bombe atomique est ce qu'elle est, peut rattraper les humains à tout moment. Et dans un élan dramatique allant crescendo et où les tourments de Minami sont de plus en plus forts, l'autrice nous fait suivre avec force et justesse une issue qui ne peut pas être heureuse. Un ton d'autant plus juste que Kouno s'applique à retranscrire le quotidien de l'époque : ville de Hiroshima qui se reconstruit doucement mais qui peine malgré tout à effacer le souvenir de la bombe, références médiatiques typiques du Japon des années 50, portrait du travail de Minami dans sa société de vêtements... Et Minami touche, dans la manière qu'elle a de tenter de faire face au passé. Son histoire a beau être tragique, on garde d'elle le souvenir d'une personne qui a tenté courageusement de reconstruire son existence.

Afin de ne pas gâcher certaines surprises touchantes, nous en dirons un peu moins sur les deux chapitres suivants.
Nous pouvons évoquer le fait qu'ils se passent à d'autres époques, l'un quelques décennies après le premier chapitre et l'autre quasiment à notre époque, mais que malgré les années qui passent les vies à Hiroshima restent marquées par le souvenir de la bombe, au fil des générations.
Et nous pouvons parler de la principale héroïne de ces deux chapitres, Nanami, enfant de 11 ans dans l'un et femme célibataire de 28 ans dans l'autre. De son amitié avec la jeune Tôko qu'elle a été contrainte de laisser derrière elle dans sa jeunesse, et qu'elle retrouve 17 ans plus tard dans un contexte à la fois différent et identique. De ses aïeuls marqués à jamais par les malheurs de la bombe, malgré les nombreuses années qui passent toujours.
Tout en s'appliquant à dépeindre quelques évolutions de Hiroshima dans le temps, Fumiyo Kouno soulève toujours plus de questions. Les préjugés liés aux hibakusha, terme péjoratif désignant les personnes victimes de la bombe ou de ses effets. Le fait que des êtres toujours en vie soient victimes de ces craintes sur la bombe, alors que d'autres sont mortes sans qu'on ait accusé celle-ci, comme une loi du silence. Et, en guise de signe d'espoir, la volonté de ne pas oublier les générations antérieures et ce qu'elles ont enduré.

En moins de 100 pages, Fumiyo Kouno parvient alors à nous faire vivre et ressentir un demi-siècle lié à la bombe et à ses effets, au fil de plusieurs générations qu'elle croque admirablement, avec une grande application et une certaine tendresse. Son oeuvre nous fait constamment passer de la tristesse au bonheur en passant par la mélancolie et l'amertume. Découvrir ce manga, ou le redécouvrir 17 ans après sa première parution française, reste d'une incroyable force émotionnelle. Et dans tous les cas, il s'agit d'une forme de témoignage profondément essentielle, qui offre un brillant travail de mémoire, émouvant sans être pathos, et qui propose régulièrement de belles lueurs d'espoir autour d'une vie qu'il faut reprendre en main et qu'il faut vivre avec optimisme, à l'image de la déclaration presque naïve des pages 92-93.

Reste désormais une interrogation légitime pour les personnes possédant déjà la première édition: cette version enrichie vaut-elle suffisamment le coup que pour l'on repasse à la caisse ? Concrètement, hormis un papier forcément différent depuis 17 ans (un peu plus blanc, un peu moins opaque, mais qualitatif malgré tout) ainsi qu'une légère refonte de la maquette de la jaquette et de la couverture, le contenu de la première édition n'a aucunement changé: les dessins, la traduction le lettrage, les trois jolies premières pages en couleurs sur papier glacé, ou encore les suppléments (bibliographie documentaire, notes explicatives, plan du centre-ville de Hiroshima et postface d'août 2004 de l'autrice) sont identiques. L'intérêt d'un rachat vient alors uniquement des pages bonus inédites, qui sont au nombre d'une vingtaine. On y découvre une longue et belle deuxième postface de trois pages que la mangaka a écrite en avril 2005, six pages d'anecdotes d'un voyage à Hiroshima que l'autrice fit en janvier 2008 et qui furent initialement proposées avec le DVD japonais de l'adaptation en film du manga (ce long-métrage étant sorti dans son pays d'origine en juillet 2007), un très joli texte de 5 pages écrit par Kouno au sujet d'une enseignante qu'elle a eue autrefois (ce texte ayant évidemment un rapport avec le sujet du manga), et enfin une petite histoire courte de 3 pages, entièrement en couleurs, nommée "Un rêve dans le vent", déconnectée du pays des Cerisiers, et présentant simplement, avec la douceur mélancolique récurrente chez Fumiyo Kouno, une jeune femme adulte songeant à sa grand-mère via un souvenir d'enfance. Sans être indispensables, ces petits suppléments sont un plaisir quand on est un très grand fan de la mangaka.



Chronique 1 :


Fumiyo Kôno est une mangaka au fort succès d'estime, et qui avait manqué sur le marché français. Pour cause, les droits de ses mangas, initialement édités chez Futabasha, sont passés à Coamix. Pour les éditions Kana, impossible de rester sur les précédentes éditions, puisque cette passation impliquait de nouveaux contrats. Heureusement, l'autrice n'a pas été oubliée par la maison franco-belge qui marque son retour en grande pompe avec un inédit, "Les fleuristes du coin de la rue", ainsi qu'une première réédition, "Le pays des cerisiers".

Entamer la salve des rééditions de l’œuvre de Fumiyo Kôno avec ce one-shot a du sens, puisqu'il fut couronné à deux reprises, d'abord du Grand Prix lors du 8e Japan Media Arts Festival, puis du prix "new life" pour le 9e Prix Culturel Osamu Tezuka.
Divisé en deux parties, le manga naît en 2004, dans les pages du magazine Manga Action, suite aux conseils de l'éditeur de l'artiste qui suggérait un manga sur Hiroshima. Une anecdote parmi d'autres, présente dans les diverses postfaces présentes en fin d'ouvrage, et l'un des points d'intérêt de cette nouvelle version de l’œuvre, mais nous y reviendrons.

Les deux parties du "Pays des cerisiers" se font donc écho par leur thème, celui de la ville de Hiroshima représentée par la catastrophe qui frappa la cité le 6 août 1945. Dans son manga, l'artiste ne dépeint pas le moment même de la catastrophe ni les jours, semaines et mois qui ont suivi, mais bien l'héritage de l'événement plus de 10 ans plus tard, par les regards d'individus marqués par le drame.

La première histoire est celle de Minami Hirano, une survivante qui a connu l'horreur de la bombe et qui, malgré un quotidien paisible marqué par une certaine pauvreté post-guerre, ne parvient pas à oublier la tragédie pour se tourner vers le lendemain. Une histoire douce-amère de prime abord, tant Fumiyo Kôno ancre le drame dans une tranche de vie tantôt guillerette, tantôt mélancolique. La mangaka, par sa puissance graphique à base de représentation d'environnement solide, un style douillet et inhabituel et des pans de narrations inspirés et symboliques qui surviennent quand on s'y attend le moins, offre un moment de lecture bouleversant. Car ces planches gagnent en richesse et en évocation tandis que le récit progresse vers quelque chose de plus tragique, représenté avec brio. Tandis que l'histoire aborde son message de manière radieuse, une réalité historique vient prendre aux tripes les personnages comme le lectorat. Aussi, la fin de "La ville de Yûnagi" est un véritable coup de poing, douloureux, mais qui fait prendre conscience de tout ce qu'a représenté la bombe larguée sur Hiroshima. Pas seulement un désastre sur l'instant, mais une tragédie qui a maudit les habitants de la ville sur plusieurs générations.

Dans la seconde histoire, qui sonne à l'ouvrage son titre, nous suivons sur plusieurs années Nanami Ishikawa, parente de l'héroïne de la première intrigue, qui va découvrir les séquelles laissées par la bombe, par le prisme de sa grand-mère et de son père. Plus dense, et plus léger au premier abord, ce deuxième récit gagne en mélancolie au fil des pages, quand la mangaka nous fait comprendre à deux reprises les élans tragiques de son oeuvre, par deux moments forts. Un aspect à côté duquel on pourrait passer à côté si on ne prête pas attention aux noms des protagonistes, communiqués dès la première intrigue, et qui crée le lien et la cohérence du recueil. Dès lors, la petite quête de l'espiègle Nanami dans la deuxième partie se transforme en véritable road-trip bouleversant, qui ne laisse plus aucun doute sur le dénouement de "La ville de Yûnagi", le premier chapitre. Mais cette fois, Fumiyo Kôno est plus indulgente avec son lectorat, demeurant brillante par ses planches et l'aura qu'elles émanent, tout en cristallisant son trait léger et doux par des moments qui oscillent entre comédie et moments sensibles.

C'est donc par cette histoire en deux temps, celle d'une famille marquée par les séquelles de la bombe atomique, que l'autrice nous livre un récit poignant et lourd de sens, ramenant aux réalités de la tragédie et nous ramener à notre devoir de mémoire afin que de tels drames ne se reproduisent plus. "Le pays des cerisiers" nous revient à un moment opportun, quand la guerre est à nos frontières et que la crainte de l'utilisation de telles armes est de plus en plus forte, comme si les expériences du passé demeuraient vaines. Alors, difficile de ne pas ressortir un poil chamboulé par cette lecture.
Un récit fort, donc, marqué par une édition tout à fait ravissante. Un résultat qu'on constate d'abord par la fabrication de l'ouvrage, et sa couverture au papier granuleux d'un très bel effet. Puis, il y a les bonus nouveaux de cette version, à savoir une postface supplémentaire qui nous en apprend plus sur la démarche de l'artiste dans l'élaboration de ces trois chapitres, un carnet de voyage de son retour à Hiroshima en 2008, un témoignage dédié à l'une de ses institutrices d'époque qui a connu la bombe, et une courte histoire en couleur de deux pages. Tant de suppléments qui s'inscrivent dans l'optique du devoir de mémoire de l'ouvrage, donnant un poids plus important à ce one-shot qu'est "Le pays des cerisiers". Pour ces raisons, certains seront sans doute tentés de repasser à la caisse, de manière à obtenir la version la plus riche possible du récit, sans être lésés en ce qui concerne les histoires en elles-mêmes.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

19 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs