Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 07 Septembre 2022
Avec l'arrivée de la série en 5 tomes Pakka aux éditions Mangetsu en ce début de mois de septembre, c'est un mangaka particulièrement apprécié ici que l'on retrouve enfin dans notre pays, à savoir Daisule Imai. Après avoir été découvert en 2015-2016 chez Casterman avec l'excellent Sangsues, première série un peu longue de sa carrière, ce jeune auteur bourré de promesses a fait deux incursions dans le catalogue des éditions komikku, tout d'abord avec le très joli et ambitieux projet Destins Parallèles en 2018, puis en 2019 avec le très bon recueil Instants d'après. Et dans ce qui est sa dernière série en date, prépubliée au Japon en 2020-2021 dans l'excellent magazine Big Comic Spirits des éditions Shôgakukan, le mangaka explore une nouvelle fois son genre de prédilection: la tranche de vie teintée de surnaturel.
On découvre ici Kei Suemori, alors qu'il s'apprête à faire son entrée au lycée à une période où les pluies sont anormalement longues.
Au collège, le jeune garçon était un peu la vedette du club de natation, mais il faut dire qu'il n'y avait pas forcément beaucoup de concurrence et qu'il est en réalité assez moyen puisque, un peu indifférent à la compétition, il n'a jamais fait d'énormes efforts dans le domaine. A vrai dire, de son propre aveu, en se rendant compte qu'il n'a en fait aucun talent particulier, il est plus du genre à baisser les bras qu'à persévérer.
Et baisser les bras, c'est encore ce qu'il semble sur le point de faire quand, dès ses débuts au club de natation du lycée, et malgré les encouragement (trop) insistants du capitaine, il se fait battre à plates coutures par une fille. Pourtant, cette fois-ci, c'est la persévérance que Kei pourrait peut-être tenter, car la fille en question, en plus d'être LA championne du club en étant qualifiée en tournoi, n'est autre que Saki Hanazono, son amie d'enfance avec qui il nageait autrefois et qui lui a un peu tout appris en natation, qu'il avait perdue de vue ces dernières années (hormis avoir été dans les mêmes cours de natation, ils n'ont jamais été à l'école ensemble auparavant), et pourquoi il a toujours eu des sentiments à part.
Alors c'est décidé: Kei propose à Saki que, s'il parvient à la battre en natation, elle acceptera de sortir avec lui, chose à laquelle la jeune fille troublée promet de réfléchir ! Mais alors que l'on retrouve l'adolescent en plein entraînement dans la piscine, un étrange événement a lieu: l'eau devient soudainement plus lourde, comme s'il ne pouvait plus s'en extirper. Et au moment où Kei pense se noyer, il a la surprise de se réveiller avec la bouche d'une fille collée contre la sienne. Cette fille, il s'agit de Shizuku Kawano, une débutante du club qui semble adorer être dans l'eau. Et si elle a pu sauver l'adolescent, c'est parce qu'elle n'est en réalité pas tout à fait humaine: kappa de son état, elle a pu partager son âme avec Kei en l'embrassant, et ainsi lui sauver la vie en le rendant, lui aussi, kappa...
Cette fois-ci, Daisuke Imai se réapproprie donc à sa manière la célèbre figure du kappa, ce yôkai (créature folklorique japonaise) souvent vu comme une diablotin d'eau farceur, mais qui prend ici les traits d'une craquante jeune fille un peu timide et souhaitant s'intégrer du mieux qu'elle peut aux humains, au point qu'elle demandera à notre héros de devenir son ami. Mais bien évidemment, le mangaka reste fidèle à certains traits typiques des kappa: leur amour des concombres (Shizuku a une casquette disant qu'elle adore ça), leur attrait pour l'eau dans laquelle ils sont plus à l'aise... et, surtout, le fait qu'ils peuvent se dessécher et laisser apparaître leur vraie forme s'ils ne sont pas assez humidifiés avec une eau spéciale.
Pour Kei, cela implique beaucoup de choses: devenu en partie kappa en partageant son âme avec Shizuku, il risque de laisser apparaître des écailles sur sa peau à la moindre occasion lui faisant perdre de l'eau, comme du stress ou des activités physiques trop fortes et le faisant alors suer. Et à l'heure où le jeune garçon comptait enfin faire des efforts et s'impliquer pour essayer de conquérir Saki, autant dire que cela va être un peu embêtant. plus encore quand s'ajoutent à ça des interrogations toutes naturelles chez Kei. Comment contrôler ses transformations ? Va-t-il cesser d'être un humain ? peut-il redevenir totalement humain ? Pourra-t-il continuer à mener une vie normale ? Les petites interrogations sont bien posées, mais dans l'immédiat Imai a le mérite de ne pas en faire trop là-dessus, car ce qui l'intéresse le plus est surtout à chercher dans la chronique adolescente qui se bâtit autour des trois personnages principaux et de leur relation. D'un côté de Kei, il y a effectivement Shizuku, cette fille-kappa timide, un peu étrange, voulant son amitié, et avec qui il a désormais un lien à part. Et de l'autre côté, il y a Saki, l'amie d'enfance et premier (et seul) amour de notre héros, cette fille qui est naturellement spéciale à ses yeux, et est à vrai dire si spéciale qu'il aura le bon goût, dans la dernière partie du tome, de se poser des questions sur la notion même d'amour: pourrait-il vraiment être heureux de sortir avec elle uniquement parce qu'il l'a battue en natation, qui plus est en étant aidé par sa condition de kappa ?
Le ton trouvé par Imai est excellent: tout comme dans ses précédentes oeuvres, l'ambiance est très travaillée, assez posée, plutôt intimiste... et elle se voit fort bien servie par le travail visuel d'un auteur qui, en plus de proposer un trait fin avec juste ce qu'il faut d'épure dans les designs,offre toujours autant de soin dans les décors réalistes, en particulier quand il attire l'attention sur des détails dans ses cases afin de nous immerger pleinement dans ses cadres. mention spéciale, également, aux quelques élans de découpage plus originaux, à l'image des cases déconstruites quand Kei semble proche de se noyer puis se réveiller.
Ce premier volume de Pakka accomplit donc à merveille son rôle. En pouvant compter sur ses habituels talents en termes de visuels, de narration et d'ambiance, Daisuke Imai entame une nouvelle tranche de vie surnaturelle où il devrait peaufiner avec soin les relations de ses personnages. Et en prime, le tout est servi dans une édition très satisfaisante, qui attire d'emblée l'oeil avec sa jaquette imaginée par Tom "spAde" Bertrand, à la fois très proche de l'originale japonaise et dotée d'un très beau vernis sélectif, notamment sur les parties écailleuses. A l'intérieur, on a droit à un papier souple et sans transparence, à une bonne qualité d'impression, à un lettrage soigné d'Anne Demars, et à une traduction au top de la part de Miyako Slocombe, celle-ci ayant particulièrement soigné les différences entre les personnages dans leur façon de parler.