Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 29 Juillet 2024
Chronique 2 :
Depuis Tokyo Revengers, une nouvelle voie a été ouverte au furyo, en France. Boudé avant la fin de la décennie 2010 chez nous, le genre de manga de voyou a aujourd'hui trouvé un certain écho, si bien que les nouveaux titres se succèdent sur nos étalages. Parmi les récentes sorties, on pense bien évidemment à Nine Peaks chez Ki-oon, mais aussi à OUT chez Meian, une publication d'autant plus forte qu'elle profite du système d'abonnement de la maison qui donne accès à des goodies et des box de rangement.
En cours de parution depuis 2012 dans le magazine Young Champion de l'éditeur Akita Shoten, OUT est l'œuvre de Tatsuya Iguchi pour le scénario et de Makoto Mizuta pour le dessin. L'auteur est un nom particulièrement intéressant puisqu'il est à l'écriture de deux œuvres fortes du genre du moment, le présent présent et Chikin : "Drop" Zenya no Monogatari, lui-même lié au manga Drop de Hiroshi Shinagawa et Dai Suzuki. Dans ses deux mangas, Iguchi donne même son propre nom aux personnages et insuffle sa propre expérience d'ancien voyou aux histoires, de quoi leur donner une sorte d'authenticité. Au Japon, OUT a désormais atteint les 26 volumes, la série étant toujours en cours.
Âgé de 17 ans, Tatsuya Iguchi (le personnage, pas l'auteur) sort de prison. L'expérience l'a traumatisé, si bien qu'il accepte volontiers de rester dans le droit chemin durant sa période de probation. Pour devenir un jeune homme modèle, il est recruté dans le petit restaurant de quartier de son oncle et de sa tante, l'occasion pour lui de prendre un nouveau départ. Mais Tatsuya a un tempérament impulsif, et réfréner ses envies de castagne n'est pas toujours simple. Bien qu'il soit déterminé à ne plus céder à l'appel des bastons, sa rencontre avec un voyou du coin risque d'influer sur lui. Malgré les rencontres et les différends, le garçon devra se contenir pour ne pas être de nouveau "out"...
Le furyo est un genre garni d'une dimension sociale quasi inéluctable, tant il met en scène de jeunes gens en marge de la société, qui refuse ses règles pour mener une vie libre. OUT aborde directement ces thématiques par le biais de son protagoniste, Tatsuya, qui a fait les frais de ses choix de vie. Son passé aux côtés d'un gang violent lui a valu un séjour dans un centre de détention, une expérience qui l'a psychologiquement brisé. Ce premier tome aborde l'histoire de ce jeune homme tiraillé entre ses envies de retourner à sa liberté d'antan, si viscérale qu'elles sont représentées par le prisme de pulsions, et sa peur d'être de nouveau sanctionné pour ses écarts aux règles sociétales.
Ancien voyou, le héros est donc en période de probation, ce qui apporte d'emblée une certaine dimension à son histoire. Plantant les graines de sa nouvelle vie partagée entre volonté d'une existence rangée et flirt avec son naturel de voyou des rues, le premier volume brille de ces idées comme de sa formule qui embrasse à fond les codes du furyo que nous connaissons. Bien que peu de parutions ont intégré nos librairies en comparaison avec l'offre vaste du Japon, nous avons pu nous faire une idée du registre avec ses personnages hors des clous, mais dotés d'un bon fond, bagarreurs, mais habités par une morale parfois presque chevaleresque, avec un code d'honneur qui fait loi pour dicter les mésaventures de ces vagabonds des rues. Tatsuya ne fait pas exception, et ses premières rencontres collent totalement à cet esprit de droiture, bien que paradoxal si on le met en parallèle avec la société nippone et son cadrage strict. Le lecteur prend alors plaisir à suivre les premiers pas du héros dans cette nouvelle vie, des premières castagnes suivies de franches amitiés émergentes, d'une véritable société dans la société où évoluent de jeunes gens qui aspirent à leurs mœurs à et à leur liberté, le tout avec une véritable épée de Damoclès qui gravite au-dessus de Tatsuya. Toute bagarre déclarée, toute plainte portée ou tout écart sera synonyme de retour en prison. Et ça, le protagoniste ne peut certainement pas se le permettre, au nom de sa santé mentale.
On a beau se situer en terrain familier, le premier opus d'OUT fait ses preuves, sans aucun problème. Le cocktail est bien dosé, les premiers personnages attachants grâce à leurs valeurs et leurs sensibilités, tandis que l'enjeu omniprésent laisse sans cesse présager le pire, et ce n'est pas la finalité du volume qui viendra contredire l'efficacité de cette tonalité. Un très bon début, donc, pour un furyo déjà prometteur.
Côté édition, Meian reste dans ses standards grâce à un ouvrage solidement conçu. La traduction de Jordan Mangeon est particulièrement efficace grâce à son travail sur le langage et les dialogues, tandis qu'Elodie Baunard offre un lettrage globalement bien calibré. Quelques petites coquilles se sont glissées dans ce premier tome, mais elles restent mineures.
Chronique 1 :
S'il y a quelque chose que l'on ne pourra jamais enlever à l'inégal Tokyo Revengers, c'est bien d'avoir enfin suscité un certain engouement du lectorat français pour le sous-genre du furyo, que l'on apprécie particulièrement ici. Ainsi, même si l'on n'a toujours pas fait le deuil de certains mangas emblématiques du genre qui furent arrêtés en cours de route dans notre pays il y a plusieurs années faute de succès (Worst laissé en plan par Panini en 2008, Clover annulé par feu 12 Bis en 2010, Gangking abandonné par Taifu Comics en 2012...), il y a de quoi se réjouir de voir surgir, ces derniers temps, de beaux représentants du genre, qu'ils soient issus d'une nouvelle génération de furyo cherchant à moderniser un peu le genre (Wind Breaker chez Pika), représentants cultes du premier âge d'or du furyo (Rokudenashi Blues chez Pika également), ou un peu des deux à la fois (Nine Peaks chez Ki-oon, série récente reprenant certains codes du bon vieux furyo). Et en ce mois de juillet, c'est au tour des éditions Meian d'entrer dans la danse (enfin, dans la baston, plutôt) en lançant ambitieusement un joli morceau du genre: OUT, une oeuvre comptant 26 tomes à ce jour et suivant son cours au Japon depuis 2012 dans le magazine Young Champion des éditions Akita Shoten, l'écurie Champion de cet éditeur étant par ailleurs très réputées pour ses séries estampillées furyo (c'est de là que proviennent aussi Crows, Worst, Clover, Nine Peaks, Ping Pong Dash!!, Ban le bouseux, King of Ants... entre autres).
Dessiné par Makoto Mizuta d'après des chroniques de jeunesse autobiographiques de Tatsuya Iguchi basées sur ses souvenirs, OUT est généralement considéré comme une relecture d'un autre manga-fleuve de furyo, à savoir la série "Chikin - "Drop" Zenya no Monogatari", qui possède le même personnage principal et le même scénariste (qui s'appellent tous deux Tatsuya Iguchi, donc), qui est en cours au Japon depuis 2010 avec actuellement 41 tomes au compteur, et qui est elle-même dérivée du manga en 14 volumes "Drop" (2008-2011) écrit par Hiroshi Shinagawa et dessiné par Dai Suzuki. On vous rassure tout de suite: malgré ces affiliations, OUT peut se lire totalement indépendamment des deux autres séries citées, qui sont de toute façon inédites dans notre pays (mais on n'aurait évidemment rien contre une publication française de celles-ci à l'avenir...).
Enfin, avant d'aborder l'oeuvre en elle-même, notons que Meian a décidé de voir les choses en assez grand pour cette publication ambitieuse, avec un lancement des quatre premiers tomes en avant-première à Japan Expo (d'où l'arrivée de cette chronique quelques jours avant la sortie officielle des volumes en toute fin de mois) et, comme souvent avec les séries au long cours chez cet éditeur, la possibilité d'adhérer à un abonnement permettant d'acquérir en bonus des coffrets garnis de goodies, le premier de ces coffrets étant prévu pour accueillir les dix premiers tomes et comportant aussi dix ex libris de fort bonne fabrication, un marque-page et un poster.
OUT nous invite donc à suivre Tatsuya Iguchi, 17 ans au début de cette histoire, et ayant déjà à son actif un certain "CV" en tant que délinquant, si bien qu'il sort tout juste de la maison d'arrêt de Nagano, après six mois de prison qui furent pour lui un véritable supplice et où il a été envoyé après avoir attaqué des policiers en tant que membre de la cinquième génération des "Folly Outlaws de Komae" à Tokyo. Désormais, le voici en probation sous la surveillance de son éducateur Ishido, et il va devoir se tenir à carreau et bien travailler pendant une année entière afin de réellement retrouver sa liberté. Pour ça, il a été envoyé dans le restaurant de sa tante à Chiba, loin de ses anciennes fréquentations, et il compte bien faire de son mieux pour ne jamais retourner derrière les barreaux ! Mais au vu de son tempérament, il ne faudrait pas forcément grand chose pour que les poings de Tatsuya ne se remettent en action...
Mêlant le travail sérieux de Tatsuya au restaurant de sa tante et ses premiers contacts inévitables et pas forcément voulus avec certains loubards de Chiba, ce premier volume fait office d'introduction suffisamment prenante, dans la mesure où le contexte de départ et très vite et suffisamment bien posé, et où l'on découvre des premiers yankees prometteurs auprès de notre héros. On pense en premier lieu à Kaname Abe, bras droit du gang Kilihito, ayant lui aussi 17 ans malgré sa dégaine de vieux daron, et affichant un côté sérieux dans sa fonction en suivant un vrai code d'honneur. Et en attendant de découvrir plus tard certaines figures déjà évoquées comme Atsushi Tanzawa, le chef de la septième génération de Kilihito, on retient aussi la figure de Keiji Imai, garçon de 16 ans qui, derrière son sang très chaud, montre surtout une admiration et une totale fidélité envers Kaname, pour des raisons que l'on entreverra déjà lors de quelques brèves pages muettes. Tatsuya gardant lui-même un caractère facilement bagarreur et irritable (difficile de se refaire en si peu de temps), il va de soi que les liens d'amitié qu'il va commencer à bâtir avec ces deux-là va d'abord se faire à coups de poing et en suivant des règles propres à ces délinquants voulant prouver leur valeur à leur manière, pour notre plus grand plaisir de fans de furyo à l'ancienne.
L'univers global, lui, se met tranquillement en place, au gré de quelques détails: la présence du chiot Côtelette dont Tatsuya s'occupe montre bien les bons côté de cette tête brûlée, les quelques notes d'humour sont plutôt bien dosées, on reste curieux de voir si notre héros saura ne pas céder à l'appel de la baston ou s'il parviendra à s'y impliquer sans se faire griller... cette dernière donne nous laissant même déjà sur un bon petit cliffhanger dans les dernières pages. Le rendu visuel, lui, est parfois perfectible via des designs un petit peu inégaux par moments et des premières scènes de baston où le rendu des coups manque d'impact par instants, cependant on sent bien que Makoto Mizuta, dont il faut rappeler que c'est la première série, a une grosse marge de progression entre ses décors (de ville, de motos...) photoréalistes, ses dégaines typiques du genre et ses expressions faciales marquées, enragées et intimidantes quand il le faut.
Nous voici donc avec une bonne entrée en matière pour ce furyo à l'ancienne qui affiche d'assez bonnes promesses. Malgré le petit cliffhanger de fin, les auteurs prennent plutôt leur temps pour installer les premières figures de leur oeuvre et les premiers éléments de background, et ce n'est sans doute pas plus mal, en attendant de voir comment tout ceci va se développer.
Côté édition, enfin, nous sommes sur un rapport qualité/prix tout à fait honnête: la jaquette reste très fidèle à l'originale japonaise tout en se parant d'un vernis sélectif sur son logo-titre, la première page en couleurs sur papier glacé et appréciable, le papier est à la fois souple, assez épais et plutôt opaque même si l'on échappe pas à certains pages un petit peu transparentes, l'impression est très bonne, la traduction de Jordan Mangeon apparaît assez claire et souvent dans le ton même si certaines coquilles secondaires ont échappé à la relecture ("passer" p158, "barons" p165...), et le lettrage effectué par Elodie Baunard est de très bonne facture.