Nude Model : Critiques

Yamaguchi Tsubasa Tanpenshuu - Nude Model

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 16 Juin 2023

Après la série à succès Blue Period et le one-shot Elle et son chat, les éditions Pika continuent d'explorer la carrière de la mangaka Tsubasa Yamaguchi en publiant son recueil d'histoires courtes Nude Model. Paru au Japon au mois d'août 2022, ce recueil regroupe trois histoires courtes qui furent initialement prépubliées dans le magazine Afternoon des éditions Kodansha (magazine dont proviennent aussi Blue Period et Elle et son chat) entre 2015 et 2022. L’histoire courte qui donne son nom au recueil est celle que Tsubasa Yamaguchi a publiée dans ce magazine après avoir remporté le Monthly Afternoon Rookie Award “Four Seasons Award” en 2015. Les deux autres histoires courtes, "Une fille" et "Kamiya", ont été prépubliées dans le magazine en 2022.

Dans "Nude Model", histoire durant environ 45 pages, on suit Niko Momose, lycéen qui vient de se voir adresser un gage par ses potes après avoir perdu un pari: coucher avec Natsume, jeune fille solitaire et marginalisée qui ne vit que pour sa passion pour la peinture. Entreprenant d'abord de simplement et bêtement réaliser son gage en utilisant Natsume, il lui propose de lui servir de modèle pour ses tableaux, et décide me^me de poser nu pour tenter de l'émoustiller. Tout en découvrant la difficulté d'être modèle, la dureté de devoir tenir la pose, mais aussi l'étrange sentiment d'être scruté sous tous les angles dans le plus simple appareil, Niko a aussi l'occasion de ressentir le vrai regard d'artiste que pose Natsume sur lui en toute neutralité, de cerner un peu plus son univers au point de se mettre à la respecter... Alors, après ça, sur quelle issue aboutira son fameux gage idiot ? Bien que l'on regrettera 2-3 petites choses dues à la brièveté du récit (par exemple, le contexte familial de Niko a l'air particulier, mais c'est juste vaguement sous-entendu sur une page et ça n'apporte finalement rien), cette petite intrigue se révèle vraiment intéressante, dans le portrait d'artiste qui y est fait, en plus de servir un peu de prémisse à Blue Period puisqu'il y était déjà question d'Art.

Longue d'environ 45-50 pages elle aussi, l'histoire intitulée "Une fille" nous présente Yada, un adolescent qui est un peu à l'âge bête et qui, comme beaucoup d'autres garçons de son âge, pense beaucoup au sexe, aux filles, à la masturbation... au point qu'il sera presque détestable avec ça parfois, comme quand il se moque de sa camarade de classe Asahina sur qui d'affreuses rumeurs courent. Si bien qu'un jour, ne pouvant plus se contenter du porno classique, il s'enregistre lui-même vocalement en train de pousser des cris de plaisir en prenant une voix de fille. Cet étrange enregistrement vocal rencontrant le succès auprès d'autres garçons, sa soif de reconnaissance lui fait alors prendre une voie qui, à terme, pourrait se révéler dangereuse... Cherchant à jouer sur plusieurs créneaux à la fois (les enregistrement érotiques, le rapport à Asahina, le cas du professeur Senoo) en peu de pages, ce récit se fait un peu trop pêle-mêle, mais la finalité est là aussi intéressante: non seulement la mangaka y dresse un certain portrait du rapport au sexe (le désir sexuel à l'adolescence, le rapport au sexe opposé, le regard sur l'autre), mais en plus elle n'hésite pas à placer Yada et Asahina dans une situation particulièrement grave et traumatisante pour, peut-être, mieux mettre en garde sur certaines errances de ses personnages.

Plus long récit du recueil en s'étirant sur deux chapitres pour un total de quasiment 100 pages, "Kamiya" nous immisce auprès de Sachi Tanaka, une jeune docteure qui estime avoir échoué dans sa carrière: alors qu'elle voulait devenir chirurgienne, sa phobie du sang l'a obligée à revoir ses ambitions à la baisse, et ses parents ne manquent pas la moindre occasion de le lui reprocher en exerçant alors un sorte de pression néfaste sur elle. Alors quand la jeune femme a vent de Kamiya, un mystérieux club d'hôtes d'un quartier mal-famé où les garçons seraient soi-disant des vampires suçant le sang, elle se dit que, peut-être, ce serait l'occasion de vaincre sa phobie... Mais à quel prix ? Elle a beau se sentir de plus en plus éprise de Yohan, un hôte qui lui suce le sang de façon parfois presque érotique, et savoir en son for intérieur qu'il ne joue qu'un rôle auprès d'une cliente, elle se laisse toujours plus aller au plaisir que lui procure cet homme. Cependant, de sombres rumeurs courent sur le club Kamiya, que l'on suspecte d'être impliqué dans la mort de plusieurs personnes retrouvées entièrement vidées de leur sang... malgré une issue peu claire sur certains aspects, cette petite intrigue a de quoi captiver dans son genre, avec sa façon de reprendre le sujet vampirique pour proposer un petit portrait un peu critique du milieu des clubs d'hôtes, avec sa manière de brouiller les frontières entre suçage de sang et désir sexuel.

Sous le dessin bien reconnaissable de Yamaguchi, chaque histoire a donc son intérêt, et plus encore au vu des ambiances qui y sont proposées: dans une moindre mesure, on peut effectivement dire que la mangaka, loin de la tranche de vie de Blue Period, se lâche dans des atmosphère un peu plus sobre, un peu plus dures, un peu plus crues, avec sa première histoire où il est beaucoup question de nudité, sa deuxième histoire où ça parle constamment de sexe et où une terrible tentative de viol a lieu (soyez prévenus si vous êtes sensibles à ça, chose que Pika a aussi eu l'excellente idée de signaler en début d'ouvrage), et sa troisième histoire au petit parfum de polar inquiétant jusqu'à sa conclusion fatale. Tout ceci nous permet, alors, de découvrir une autre facette de la mangaka, via ces formats courts où les mangakas peuvent bien souvent se permettre plus de choses.

Pour finir, soulignons la beauté de l'édition française, Pika ayant confectionné une jaquette particulièrement séduisante reprenant la texture d'une toile, le tout avec un petit vernis sélectif. A l'intérieur, on regrettera juste quelques moirages dans l'impression, mais à part ça le papier est de qualité assez honnête, le lettrage est soigné, et la traduction de Nathalie Lejeune (déjà à l'oeuvre sur Blue Period) est très bonne.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs