Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 05 Septembre 2025
2025 est décidément une belle année en France pour la talentueuse Haruka Kawachi, autrice parmi les plus intéressantes de ces 15 dernières années du côté du manga féminin plus adulte. En effet, après la réédition du magnifique Les Fleurs du Passé aux éditions naBan, et en attendant le lancement chez ce même éditeur du Ballet des coeurs (Musashino Rondo) en octobre, en ce mois de septembre ce sont les éditions Kana qui mettent en avant l'autrice avec le lancement de "Namida Ame to Serenade", joliment traduit dans notre langue en "Sérénade pour une Pluie de Larmes". Lancée au Japon en 2014 dans le magazine Kiss des éditions Kôdansha (magazine bien connu pour des séries comme Perfect World, Nodame Cantabile ou encore Princess Jellyfish), l'oeuvre compte là-bas 13 tomes à l'heure où ces lignes sont écrites, et il a tout récemment été annoncé qu'elle est entrée dans sa dernière ligne droite.
Ici, tout commence par un rêve étrange fait régulièrement par Hina Katagiri, lycéenne vive et sportive à défaut d'être studieuse, où elle se voit enfant en train de rencontrer un garçon à peine plus âgé qu'elle dans le jardin d'une grande maison de style occidental. Préférant ne pas en faire grand cas, la jeune fille continue de vaquer à sa routine, entre les cours, le kendo avec son club, les discussion avec son senpai Hiyoshi pour qui elle a un crusch, et l'attention qu'elle porte à un collier que sa grand-mère hospitalisée lui a confié et qui aurait été transmis par son arrière grand-mère il y a longtemps. Tout aurait pu s'arrêter là si, un beau jour, l'impensable n'arrivait: alors qu'elle est en cours, que la pluie s'abat dehors et que la prof de musique commence à passer un CD d'une musique classique ancienne, une lumière enveloppe Hina, et la pousse à s'endormir... avant qu'elle ne se réveille dans un contexte similaire à celui du rêve qu'elle fait habituellement, ceci près qu'elle et le garçon qu'elle rencontre habituellement dans ses songes sont cette fois-ci adolescents. Pensant d'abord qu'elle est toujours en train de rêve, Hina se comporte comme si c'était le cas, avec une certaine insouciance, non sans troubler un peu Takaaki Hongô, le garçon en face d'elle, qui l'appelle étrangement Hinako comme s'il la connaissait. Mais quand elle finit par comprendre que tout ceci n'est pas un rêve mais la réalité, et qu'elle a visiblement été transportée vers la fin de l'ère Meiji en 1907, la lycéenne a forcément de quoi s'étonner ! Plus étrange encore, elle ne tarde pas à rencontrer la fameuse Hinako, fille de la noble famille Takamine, qui lui ressemble trait pour trait et qui est fiancée à Takaaki...
Cette histoire s'inscrit donc en premier lieu dans le registre du récit de voyage temporel, et pour qu'une telle histoire fonctionne il faut sans doute veiller tout d'abord à trois choses: savoir dépeindre avec crédibilité l'époque du passé à laquelle l'histoire se déroule, bien montrer l'incrédulité initiale du personnage principal face à cette situation, et savoir jouer sur les décalages qui peuvent naître pour ce protagoniste lâché à une époque où les moeurs et les modes étaient forcément différentes. Sur ces trois points, Haruka Kawachi accomplit parfaitement sa mission: la finesse et l'élégance de son dessin retranscrit très bien le tout début du XXe siècle, nombre de détails sont là dans les dessins et dans les conversations pour accentuer la crédibilité du cadre (des objets comme le gramophone, le fait que des choses comme le cinéma et l'automobile commençaient tout juste à apparaître, les bâtiments d'époque...), la narration très proche des personnages permet de s'immiscer facilement auprès de Hina, de son incompréhension initiale puis de ses rencontres et découvertes... et c'est alors tout naturellement que l'on se pose les mêmes questions qu'elle: pourquoi a-t-elle été transportée dans le passé ? Pourquoi la dénommée Hinako est-elle son parfait sosie sur le plan physique ? Quelles douleurs cette fille et Takaaki peuvent-ils bien renfermer en eux ?
C'est en étant porté à la fois par la peinture d'époque immersive, par la part de mystère et par le tempérament très vivant et emballant de Hina que l'on suit alors les premiers abords de personnages, quitte à ce que pour ça l'autrice s'éloigne régulièrement de son héroïne pour aussi nous faire suivre l'état d'esprit de Takaaki et de Hinako, voire les fantômes du passé de ces deux-là. On n'en dira volontairement pas beaucoup plus là-dessus pour ne pas spoiler, mais on peut au moins dire que derrière la douleur de la perte d'un être cher, le statut d'enfant illégitime, les questions de mariage arrangé, ou encore le sentiment de ne pas pouvoir être libre de choisir le cours de sa vie en tant que femme, Haruka Kawachi joue déjà très bien sur les contraintes, diktats et autres chaînes des familles de la haute société de cette époque. Et à travers le lien étonnant qui se crée entre Hina et Hinako qui tâchent de ne faire qu'une aux yeux des autres, il sera également question d'identité, car quel sens donner à son existence, à son ego, si personne ne se rend compte que les deux filles sont différentes ?
Il y a, en somme, déjà beaucoup de choses à retenir de ce premier volume intrigant, ravissant et saisissant, et on n'en attendait pas moins de la part d'une autrice qui nous avait tant marqués pour sa finesse visuelle et émotionnelle dans Les Fleurs du Passé. Il n'y a plus qu'à attendre avec grand intérêt la suite de ce récit qui, en termes de mise en place, de premiers développements, d'atmosphère et de thématiques, commence très bien.
Du côté de l'édition française, la copie proposé par Kana est propre: le papier allie souplesse et opacité, l'impression est correcte, la traduction de Sophie Lucas apparaît très claire et appliquée, le lettrage est assez propre, la jaquette reste fidèle à l'originale nippone tout en se parant d'un logo-titre très esthétique et élégant... Soulignons, enfin, la présence d'une jolie jaquette alternative réversible, exclusivement pour le premier tirage du tome.